Monique et Jean-Paul MOUREZ
à bord du Guépard
La nuit est déjà très noire lorsque, après des
préparatifs de dernière minute (dont l’isolation de la glacière
électrique achetée in extremis pour palier la défaillance soudaine
de notre frigo…), je mets le contact et prends la direction de
l’Autoroute des Cantons de l’Est.
Dans le confort de notre camion silencieux et
bien lesté, nous roulons une heure et demie pour quitter
l’autoroute à hauteur de Magog et chercher un bivouac près de
l’eau. Après quelques errements sur les quais et les jardins qui
bordent le lac, tous interdits au stationnement nocturne, nous
finissons par dégoter au dessus du petit port un parc de
stationnement municipal sur lequel nous nous installons pour la
nuit, seuls à côté d’un gros classe A (intégral) américain.
Mardi 8 août 2000 : de MAGOG à L’ÎLE SAINTE-CROIX/ST-ANDREW
Nuit paisible et assez chaude, durant laquelle une ronde de police vient apposer puis enlever (?) une contravention sur notre pare-brise sans nous déranger autrement. Il fait un temps magnifique au réveil. Aussi, après quelques vues sur le petit port tout proche, allons nous faire un tour sur la rue principale de Magog. Maisons anciennes – pour l’Amérique -, façades fleuries, animation sans excès de la petite ville de province. Nous complétons notre équipement d’un superbe balai dont le bleu/vert s’assortit presque parfaitement au revêtement laminé des placards, et Monique trouve en librairie quelques bouquins destinés à meubler les longues périodes de roulage qui s’annoncent sur la route vers Terre-Neuve.
En route vers Sherbrooke, où nous faisons un petit marché au Sobbey local, avant de poursuivre vers les " lignes " américaines franchies à Coburn Gore. Les agréables paysages vallonnés et verdoyants se font vite plus sauvages dès que nous pénétrons dans le Maine.
|
Le douanier nous pose - en français - les questions d’usage et nous remet un itinéraire qui nous permettra de franchir, au plus court et sans nous y perdre, les vastes étendues de forêts assez sauvages où les villages sont rares, reliés par des petites routes plus ou moins bien signalisées. Comme notre carte est assez grossière, nous nous fions à lui pour gagner au plus vite la frontière avec le Nouveau-Brunswick et retrouver le Canada à St-Stephen, au fond de la baie de Passamaquoddy. Un seul arrêt pour pique-niquer et admirer les grands fûts de Pine Cathedral qui abritent un confortable camping au bord du lac Flagstaff, un peu avant Stratton. |
Mercredi 9 août 2000 : de L’ÎLE STE-CROIX/St-Andrew à NORTHPORT (près d’Ahmerst) NS
Nuit excellente sur notre belvédère en vue de l’île et réveil sous le grand soleil qui illumine le paysage et réchauffe notre cabine (quoique sans excès). Nous faisons bien sûr le tour des panneaux qui expliquent de façon très claire et bien illustrée l’odyssée puis le calvaire de l’expédition de 1604 où, en l’absence de provisions suffisantes et de connaissances - apprises plus tard des amérindiens de Port-Royal-, 40 des malheureux compagnons de Champlain périrent du scorbut, ce qui sonna le glas de cette première tentative de colonisation.
Suit une demi-heure de combat avec le tiroir -
d'origine Ford - coincé sous le siège du passager qui refuse de
livrer les guides qu’on y a entassé. Il faudra finalement démonter
le fauteuil pour en venir à bout, au prix d’une bonne suée en
plein soleil.
St-Andrew : entrée de Ross Museum |
Nous démarrons enfin vers 9:30 pour traverser le Nouveau-Brunswick en diagonale mais en visitant auparavant le charmant village de St-Andrew : après le tour du fameux blockhaus restauré par Parc Canada, c'est celui des vieilles églises, du Musée commémoratif Ross meublé et décoré en style fin XIXème, de la maison du shérif restaurée dont les gardiennes nous reçoivent en robes d’époque… |
Le cachet du village est indéniable, grâce aux belles grandes maisons en bois peintes en blanc ou parfois en brique, aux jardinets clos et fleuris, et grâce à la multiplicité des églises et chapelles consacrées aux cultes anglican, baptiste, presbytérien, catholique romain, etc. | Jean-Paul fait la pause devant Ross Museum |
Le blockhaus de
St Andrew
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Mais l’afflux des touristes dans la rue principale (Water Street) nous fait achever rapidement le tour de la petite ville. Nous repassons devant le petit blockhaus à l’entrée du village et gagnons bientôt la grande route, une superbe autoroute neuve, rapide et sûre. Nous roulons jusqu’en milieu d’après-midi pour arriver à St-John où nous espérons trouver des livres en français. |
Jeudi 10 août 2000 : de NORTHPORT (NB) à BAYFIELD (Tracadie) (NS) 424 km
Nous nous réveillons un peu tard et décollons seulement vers 12:00, la matinée ayant servi à récupérer après nos mésaventures d’hier soir. Il pleut, le ciel est plombé, les moustiques omniprésents. Ils nous ont d’ailleurs abondamment piqués cette nuit, faute d’utiliser l’insecticide en spirale et par manque de moustiquaires à nos fenêtres… Nous suivons sans enthousiasme une côte assez plate qui serait plaisante si le soleil consentait à se lever.
Le
Hector en construction sur le quai de Pictou
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Long arrêt à Pictou pour visiter l’exposition consacrée aux 200 immigrants écossais partis du Loch Broom à bord du Hector, une flûte hollandaise, et surtout à sa réplique maintenant presque complétée sur le bout du quai. Évocation émouvante des conditions de vie pénibles des deux côtés de l’Atlantique à la fin du XVIIIème, et du voyage éprouvant de 12 semaines subi par ces familles à bout de ressources. La coque du petit navire est quasi terminée, on en achève les peintures pour le lancement en grande pompe dans un mois en présence de la Reine, commémoration oblige ! |
Peinture du pont du Hector
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Finition du pont du Hector
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L’après-midi est bien avancé lorsque nous
rejoignons l’autoroute vers le Cape Breton ; route un peu monotone
de forêts, assez vallonnée cependant mais sous un ciel qui reste
gris. On aperçoit à nouveau la mer peu après Antigonish, et nous
allons chercher un bivouac à proximité du rivage près du petit
port de pêche de Bayfield. Stationnant sur une vaste esplanade
derrière l’estacade, j’entreprends de condamner le déversoir de
l’eau froide dans le réservoir du chauffe-eau (qui fonctionne sans
cesse faute de vanne) pendant que Monique lit. Puis nous revenons
quelques centaines de mètres en arrière pour bivouaquer sur le
stationnement d’un petit parc provincial à proximité de la plage
de galets sur laquelle nous faisons un tour rapide – vu
l'acharnement des moustiques… - à la brunante.
Vendredi 11 août 2000 : de BAYFIELD
(Tracadie) au CAPE SMOKEY (221 km)
Phare de Peggy Cove |
|
À la sortie 6 nous hésitons à emprunter
l’itinéraire des lacs du Bras d’or mais un bac coupe très vite la
route. Lassés d’attendre le retour du petit esquif amarré à
l’embarcadère en face, nous renonçons à cette excursion,
poursuivons la Transcanadienne et, quelques kilomètres plus loin,
encouragés par un ciel qui semble s’éclaircir, empruntons la
sortie 7 peu après Wagnatcook en direction du fameux Cabot Trail.
Juste après, le défilé de Grande Falaise donne
accès au magnifique Parc des Hautes Terres du Cap-Breton. La route
en corniche est superbe mais la vue reste limitée par la pluie qui
s’installe en permanence dès que l’on grimpe un peu : les nuages
sont tellement bas ici…
Cabot Trail dans le nuage
Pour nous pas question de balades à pied, mais au
moins les grandioses paysages sont-ils la plupart du temps
visibles depuis les nombreux belvédères où j’arrête pour admirer,
filmer et photographier.
Cabot Trail : Sunrise Valley et Cape North |
Petit détour en
direction de North Cape jusqu’au Cabot Landing, pour faire
quelques pas sur la plage où Giovanni Cabotto,
envoyé par Henry VII d’Angleterre sur les traces de
Colomb, aurait abordé en 1597. C’est du moins ce que prétendent les Néo-Écossais car l’atterrissage de Cabot est également revendiqué par les Terre-Neuviens près du Cap Bonavista… |
La pluie persiste, nous amorçons alors notre
retour vers le sud en côtoyant toujours de grandioses panoramas
marins. Pause à Lakies Head, puis lente montée au pied des 366 m
du Cap Smokey, avant de redescendre jusqu’à une plage sauvage à
son pied qui nous servira de bivouac pour la nuit.
Samedi 12 août 200 : de CAPE SMOKEY (NS) à PORT-AUX-BASQUES (NFL) (110 km)
Calme et silence… Bercés par les rouleaux déferlant sur la plage de galets toute proche, nous nous réveillons tard sous un ciel toujours chargé. La route côtière se poursuit vers le sud, sans panorama exceptionnel jusqu’au belvédère donnant sur le grand pont qui franchit l’extrémité nord-est du Bras d’Or. On quitte les Hautes-Terres du Cap Breton pour se rapprocher de la mer. Encore une trentaine de kilomètres et, vers 12:00, nous sommes sur le quai de North Sydney pour apprendre le départ du prochain ferry vers Terre-Neuve à 14:30. Il reste encore quelques places, aussi achetons-nous immédiatement nos billets et passons le temps en allant faire quelques courses avant le départ : vis dans une quincaillerie locale, et recherche beaucoup plus longue et difficile d’une épicerie malheureusement introuvable. Nous nous rabattons sur un dépanneur logé dans une stations service Irving ! Ensuite déjeuner sur le quai, en ligne, en attendant l’embarquement.
Le vent très fort et le ciel couvert m’empêchent
de demeurer longtemps sur le pont du Caribou. Longue traversée de
5 heures, où l'on tue le temps en lisant guides touristiques et
revues...
L’arrivée à Port-aux-Basques me rappelle beaucoup
celle à Lodingen dans les Îles Lofoten il y a 2 ans, les montagnes
en moins : mêmes petites maisons de bois plantées en désordre sur
une côte sauvage et rocheuse, terre semi-désertique…. Le soir
tombe, nous faisons un petit tour du gros village et allons nous
installer au bout d’une rue résidentielle, juste au dessus de la
mer, après être allés acheter une carte routière dans le beau
Tourist Information aménagé en haut de la côte qui domine
Port-aux-Basques.
Dimanche 13 août 2000 : de PORT-AUX-BASQUES à
DEER LAKE (457 km)
Monique devant Codroy River |
Temps magnifique au réveil ! Mer et ciel bleus, maisons d’un blanc éclatant et gazon intensément vert. J’attends un peu à la station service pour ajuster la pression des pneus avant d’entreprendre notre longue route en direction du nord sur la belle grande TCH (Trans-Canadian Highway) qui traverse toute l'île. Paysage très vaste mais un peu monotone de forêts vallonnées coupées de quelques rivières torrentueuses aux eaux brunes et au lit caillouteux. |
Port-au-Port : Felix Cove |
Les kilomètres se déroulent, dans le grand
confort du Guépard puissant et silencieux. En début
d’après-midi, nous bifurquons vers l’ouest et vers la côte
pour aller explorer la péninsule de Port-au-Port, dite "
Route des Ancêtres français " (le tout en anglais bien sûr,
car le bilinguisme ici est inexistant et la francophonie
quasi éteinte !). Nombreux petits villages aux simples maisons blanches sans grande originalité, gazon partout tondu, paysage agréable de côte avec de rares embarcadères à bateaux. De quoi vivent tous ces gens puisqu’on n’aperçoit aucune industrie ni trace d’agriculture ou d’élevage? Le moratoire sur la pêche à la morue a également éliminé cette ressource. Toujours impossible de trouver une épicerie… Que mange-t-on ici puisqu’on ne voit même pas de jardin potager autour des maisons… ? |
En milieu d’après-midi, nous reprenons la TCH
vers le nord pour arriver vers 18:00 à Corner Brook, une grosse
ville qui s’est développée autour de sa papeterie. Quelques
courses d’épicerie dans une pharmacie qui fait également office de
dépanneur (car ici tout est fermé le dimanche) et nous reprenons
l’autoroute qui longe le beau Deer Lake jusqu’à la ville du même
nom. Nous nous endormons assez tard sur le parking de l’église,
après que les jeunes qui y jouaient bruyamment soient allés se
coucher eux aussi.
Après un excellent sommeil en plein centre de la
petite ville, départ vers 9:15, objectif le Parc National de Gros
Morne.
Le beau temps se poursuit, incitant aux balades dans ce magnifique cadre montagneux. Une première petite incursion dans le sous-bois nous mène jusqu’à la chute Southeast Brook Falls mais il y a bien peu d’eau dans la cascade par ailleurs assez haute. |
Balade vers Southest Brook Falls |
Phare de Lobster Cove |
Gros Morne :
Bonne Bay depuis Lobster Cove
|
Joli détour ensuite vers Rocky Harbour et le
phare de Lobster Cove où nous descendons sur la plage de galets,
avant d’aller admirer le panorama circulaire depuis les hauteurs
de Berry Hill.
Western Brook Pond, au fond les montagnes de Gros Morne |
Il est 15:30 lorsque nous mettons nos chaussures de marche pour franchir les 5 km menant à l’embarcadère du tour en bateau sur Western Brook Pond, malheureusement trop tard pour attraper la dernière ronde de 16:00… C’est quand même une bonne marche en nature (très bien accompagnée par d’intéressants panneaux explicatifs) qui nous ramène fatigués et contents à notre Guépard : nous avons fait notre plein de paysages et d’exercices pour la journée ! |
Encore une cinquantaine de kilomètres pour sortir du parc - en apercevant au passage trois orignaux occupés à brouter en bordure de la route - jusqu’au pauvre village de pêcheurs de Parson’s Pond. Après un grand tour dans les rues gravelées, nous allons dormir sur une grande esplanade nivelée à l’entrée sud du village. | «Moose, moose !»
Femeille orignale et son petit; elle porte une
blessure sanglante à la patte arrière droite
|
Mardi 15 août 2000 : de PARSON’S POND à FLOWERS COVE
(477 km)
Nuit paisible, mais réveil assez tôt par le fracas des moteurs des gros camions passant sur la route dont nous sommes trop proches. Nous démarrons donc sans délai. Monique encore fatiguée par la marche d’hier ne tarde pas à somnoler tandis que je continue à rouler régulièrement vers le nord. Route sans grand relief qui longe le rivage plutôt plat à notre gauche, tandis qu' à l’horizon à droite se profilent les crêtes des Long Ranges.
Port-au-Choix : le phare de Pointe Riche dans la brume |
Deux heures plus tard,
sous un ciel très nuageux, détour vers la péninsule de
Port-au-Choix pour visiter le centre d’interprétation de
Parcs Canada consacré à la vie préhistorique sur ce
promontoire occupé depuis 8 000 ans av. J.C., comme
l’ont montré plusieurs campagnes de fouilles. Le petit
cimetière au centre du village, bordé d’un Heritage
Centre (musée d’histoire locale), me semble de bien peu
d’intérêt. En revanche le Centre d’interprétation du Parc fédéral que nous finissons par découvrir au bout de la péninsule, s’avère très bien documenté. |
La route vire bientôt vers
l’intérieur. Elle traverse des paysages désolés où
affleurent souvent les rochers dans une toundra
confinant au désert. Paysage un peu plus riant en
atteignant Griquet-St-Lunaire, puis enfin
l’Anse-aux-Meadows, but de ce long détour à l’extrême
pointe nord de la province que baigne le froid détroit
de Belle-Isle.
|
Le site historique des premiers débarquement et installation d’Européens il y a maintenant 1 000 ans (on en célèbre le millénaire cette année !) a été très bien mis en valeur par Parcs Canada : centre d’interprétation d’une belle muséographie, rappel des textes historiques des sagas noroises qui ont mis les archéologues norvégiens sur la piste.
Deux gardiens en costumes d’époque expliquent - malheureusement uniquement en anglais - la façon dont ces hardis navigateurs se sont adaptés au milieu hostile et ont réussi à tenir plusieurs années cet avant-poste de colonisation occidentale. Le cadre naturel est lui aussi superbe, si bien que la visite du site s’avère une promenade très agréables en plus d’être passionnante, sous le soleil et le ciel bleu maintenant dégagé.
L'Anse-aux-Meadows: veillée dans la hutte viking |
L'Anse-aux-Meadows : femme viking cousant |
L’après-midi est bien avancé lorsque nous reprenons la route vers le sud. Le soir qui tombe tôt à cause du ciel à nouveau bas nous arrête au dessus de la plage à Flower’s Cove, sur une vaste terrasse herbeuse entre mer et route, en compagnie de trois autres camping-cars qui ont choisi cet espace tranquille pour passer la nuit.
Griquet-St-Lunaire au
couchant
Mercredi 16 août 2000 : de FLOWER’S COVE (Ste-Barbe) à NORRIS ARM (608 km)
Lever tôt sur notre grève déserte pour un décollage bien avant nos voisins motorisés, vers 9:00. Ciel gris, brouillard et quelques déchirures de ciel bleu, avec des petites pluies fines et serrées de temps à autre… La route assez monotone - déjà empruntée à l’aller - suit la côte en traversant les mêmes petits villages aux maisons blanches dispersées parallèlement au rivage. Il ne fait pas assez clair pour qu’on aperçoive la côte du Québec ou du Labrador dont nous nous sommes distants de moins de 20 km. Nous roulons longuement sans détour ni arrêt, puisque les quelques sites ou attractions touristiques ont déjà été découverts à l'aller.
Comme il faut néanmoins se dégourdir les jambes et profiter du soleil qui apparaît quand même parfois à éclipse, nous allons faire un tour sur la plage de Broom Point, une petite pêcherie aménagée pour la visite par Parc Canada sur le rivage du Parc de Gros Morne. L'exposition sur la pêche locale ne nous attire guère mais la petite anse entourée de rochers et les points de vue sur la côte ici assez accidentée ne nous font pas regretter notre pause. | Gros Morne : Monique devant Broom Point |
Dès notre départ, le ciel se
couvre à nouveau et il pleut lorsque nous arrêtons
sur la berge de Bonne Bay pour déjeuner. La bruine
et les nuées estompent le paysage frappant, si
semblable à ceux d’Écosse ou même de Norvège :
falaises et petites montagnes aux pentes accusées,
vastes étendues d’eau calme et limpide, nature
verdoyante et sauvage…
|
Parc national de Gros-Morne : Bonne Baie |
Birchy Lake |
Nous repartons bientôt pour rattraper la TCH à Deer Lake où nous regarnissons la cambuse dans le Foodland déjà visité à l’aller. Le beau temps nous a rejoint et nous accompagne tandis que nous contournons le vaste Sandy Lake (Lac de Sable) puis longeons l'interminable Birchy Lake (Lac aux Bouleaux) dans une large vallée où la route file toute droite. À peine avons-nous rejoint le rivage maritime du fond de la Halls Bay à South Brook que la route s’incurve vers l’intérieur et s’enfonce à travers forêt et lacs. |
L’après-midi touche à sa fin lorsque
nous arrivons à Grand Falls-Windsor qui vit surtout de
l’exploitation forestière et de sa grande usine de
papier. Celle-ci profite de l’énergie produite par le
barrage installé sur une chute impressionnante de la
rivière Exploits. La rivière est aussi renommée pour ses saumons, une abondante et précieuse ressource connue et exploitée depuis des siècles par les Béothuks, un peuple amérindien aujourd’hui disparu suite aux massacres et aux épidémies transmises par les Européens au fur et à mesure de leur occupation du pays. Restent les saumons qui continuent à remonter nombreux les flots tumultueux de la rivière et pour lesquels on a aménagé une spectaculaire échelle à poisson au niveau des chutes. |
Grand-Falls |
Le soir tombe lorsque nous reprenons la grande route vers l’ouest pour encore une quarantaine de kilomètres. Quand nous atteignons le fond de la Bay of Exploits, nous longeons un petit peu la côte près de Norris Arm jusqu’à trouver un stationnement entre deux grandes maisons de campagne, au bout d’une impasse donnant sur la mer. L’air est tiède, la vue agréable mais ici encore les moustiques veillent !
Il pleut beaucoup durant la nuit, nous nous consolons en constatant encore une fois la parfaite étanchéité du Guépard…
Route des Iles |
Devant le peu d’intérêt de la route de l’intérieur, je décide de parcourir la " Route des Îles ", à la découverte des fameux " outports ", ces minuscules ports de pêche typiques de Terre-Neuve. Nous ne sommes pas déçus : la petite route sinueuse ne tarde pas à longer continuellement la mer en offrant sans cesse de jolis points de vue sur l’eau bleue, les anses rocheuses environnées de sapins, les petits quais de bois plus ou moins branlants où accostent des barques de pêche tandis que des hameaux, voire des maisons isolées aux couleurs vives se nichent près le rivage. |
À Boyds Cove les
archéologues ont retrouvé les restes d’un campement
béothuk qui a été fouillé et dont le site a été
admirablement préservé. C’est pour nous l’occasion d’une
visite intéressante et émouvante du Centre
d’interprétation fort bien conçu qui présente l’histoire
et les mœurs de ce peuple amérindien aujourd’hui disparu,
des chasseurs/pêcheurs/cueilleurs qui surent admirablement
profiter des ressources variées de leur île, exploitant la
côte et ses richesses en été, se repliant sur l’intérieur
pour pêcher le saumon et chasser le gibier en hiver. Malheureusement ici encore on constate l’illusion - soigneusement entretenue par le fédéral à Ottawa - d’un Canada bilingue : toutes les notices, vignettes et autres informations sont exclusivement unilingues anglaises, oubliant et niant carrément l’autre peuple fondateur et réservant aux francophones un sort - culturel - bien proche des celui des pauvres Béothuks… Un petit billet bien senti pour signaler ce paradoxe aux gestionnaires du Musée, puis nous enfilons un joli sentier dans le boisé pour aboutir sur le site de l’ancien village d’été. Au fond d’une anse bien abritée, un ruisseau à saumons fournissait l’eau fraîche, tandis qu’une ancienne moraine offrait une terrasse bien drainée à l’établissement des habitations. Il ne reste bien entendu plus rien des huttes de bois et de peaux, mais une statue de bronze dans le sous-bois évoque la silhouette d’une femme autochtone dans ses beaux vêtements de peaux. Silence et solitude poignants lorsqu’on se prend à songer au destin de ce peuple rayé de l’histoire essentiellement par les maladies transmises par les Blancs, comme pour tant d’autres amérindiens. |
Fantôme des Beothuks... |
Nous poursuivons la Route des îles le long de laquelle se succèdent de jolis points de vue sur les anses où nichent de minuscules ports : quelques maisons colorées, un vieux quai de bois, quelques barques qui dansent sur le clapot… comme à Summerford ou, plus loin, à Purcell’s Harbour où nous nous arrêtons pour pique-niquer.
Nous finissons par arriver au bout de l'archipel
dont les îlots sont reliés par des digues ou des ponts, à Durell.
Twillingate : maison de maître |
Nous poursuivons jusqu’à Twilingate dont les quais de bois sur pilotis, les cabanes de planches rouges ou blanches et les barques colorées me rappellent vivement la Norvège, y compris la belle maison de maître que nous attribuons à un hardi capitaine ou à un opulent marchand… |
Crow Head |
Crow Head |
Cape Bonavista |
Puis c’est le magnifique panorama
depuis le phare. Si le bâtiment en lui-même nous semble
assez quelconque, la succession des caps aux rochers
rouges s’avançant dans les eaux émeraudes de l’océan,
tout ourlés d’écume et de rouleaux qui déferlent
violemment en vagues énormes, forme un spectacle prenant
et captivant.
|
La route de retour vers l’intérieur
est évidemment beaucoup moins spectaculaire, et nous
passons rapidement Gander et son musée de l’aviation, là
ou nous rattrapons la Transcanadienne. Après un autre
section de lacs et forêts assez monotone, dans le soleil
couchant et le ciel qui grisaille nous passons le Joey’s
Lookout qui offre un large panorama sur le village de
Gambo. Ses maisons dispersées s’étalent entre deux lacs,
dans un zone apparemment marécageuse assez pittoresque.
Encore quelques kilomètres dans le
soir qui descend, et nous cherchons un bivouac au bord
de l’eau. Nous le trouvons au bout d’un impasse, entre
deux vastes maisons de campagne à Trayton. La nuit
s’annonce humide…
|
Gambo : Joey's Lookout |
Vendredi 18 août 2000 : de TRAYTOWN à ELLISTON (près Bonavista) (211 km)
Effectivement la pluie ne cesse de tambouriner sur le toit durant la nuit, et le remblai sur lequel nous avons élu domicile est devenu un bourbier heureusement sur fond de caillasse. Le démarrage ne pose donc pas de problème mais l’enthousiasme n’est guère au rendez-vous, sous le ciel bas et gris qui nous accompagne durant toute la matinée. Nous nous engageons bientôt dans la vaste étendue sauvage du Parc national de Terra Nova : ici les signes d’occupation humaine disparaissent pour laisser place à la seule forêt occupant toutes les pentes des collines jusqu’à l’horizon maritime. Nous quittons la grande route pour gagner le Centre d’interprétation de l’Océan, tout au fond du Newman Sound, un magnifique fjord qui pénètre profondément dans le territoire du parc. Malheureusement les tours d’observation en bateau sont complets et, qui plus est, unilingues anglais… Tant pis, nous tâcherons d’aller observer les baleines ailleurs. Ignorant l’existence du belvédère de Blue Hill et incapable de trouver le chemin menant à celui de Ochre Hill, nous quittons le parc dont les balades nous semblent peu attirantes sous les nuages et le crachin.
Le ciel se dégage peu à peu lorsque nous bifurquons à partir de Port Blandford pour aller explorer la péninsule de Bonavista. Si les sections de la route traversant l’intérieur des terres manque d’intérêt (forêt et tourbières sur fond rocheux), en revanche les aperçus sur la mer au fond des baies sont autrement pittoresques car le rivage est extrêmement découpé et parsemé de hameaux, voire de maisons de pêcheurs isolées, dont les planches colorées et les quais sur pilotis de bois rappellent beaucoup la Norvège. Mais ici on parle de Coves, i.e. d’anses souvent étroites et de forme tarabiscotée, qui font la réputation des " outport " de Terre-Neuve.
Enfin nous arrivons à Bonavista dont la
tradition locale fait le premier sol américain touché par le
grand navigateur Giovani Cabotto en 1497. Dans le charmant petit
port, quelques bateaux de pêche occupent le plan d’eau bordé de
maisons aux couleurs vives et d’anciens quais sur pilotis.
Profitant d’un coup de soleil et du ciel maintenant complètement
dégagé, nous prenons la route du fameux Cap Bonavista, découvert
et nommé par Cabot réconforté par la vue de la terre ferme après
sa longue et hasardeuse navigation. Une statue de bronze
commémore son heureuse arrivée.
Un peu plus loin, à l’extrémité des falaises abruptes dominant une magnifique côte rocheuse se dresse le premier phare (1843) construit sur la côte nord de Terre-Neuve. Si des travaux de restauration en empêchent la visite, au moins les abords en sont-ils accessibles. |
Ils offrent des vues splendides sur la côte et sur une colonie de macareux moines établie sur un gros rocher à quelques dizaines de mètres du cap. Après ce grand bol d’air et de longues minutes d’observation des oiseaux allant et venant de la mer à leur nid, nous retournons au village de Bonavista. | Le phare de
Bonavista en restauration
|
Port de Bonavista |
Bonavista : le port |
Plusieurs bâtiments anciens se disputent
l’intérêt des touristes; nous retenons d’abord et surtout le Matthew,
une magnifique réplique de la caravelle de John Cabot qui est
mouillée à l’entrée du port, devant son garage hivernal. Elle a
été construite par les Anglais de Bristol en 1995 pour
commémorer le 500ème anniversaire de la première conquête de
l’Empire britannique : Terra Nova.
Bonavista : le
Mathew toutes voiles dehors
|
De la proue
surélevée au château arrière, l’espace est limité, et
l’on admire le courage de la vingtaine d’homme
accompagnant le hardi navigateur pour deux mois de
traversée sur un océan encore inconnu. Dans le pont
inférieur où la lumière pénètre parcimonieusement par
le panneau de pont, on n’entend que clapotis de l’eau
le long de la coque aux grosses membrures de chêne. |
Sur les trois mâts en longs pins
rectilignes, tout un arsenal d’agrès permettait de
hisser et d’orienter les grandes voiles carrées. Sous
le pont arrière, le timonier manœuvrait une longue
barre directement frappée sur le haut gouvernail
d’étambot, tandis que de chaque côté, deux petites
cellules abritaient le capitaine et son second. Visite émouvante et instructive, qui laisse songeur devant l’ingéniosité déployée et la rusticité des moyens de l'époque, maintenant que l’on traverse le même Atlantique Nord en quelques heures… |
Bonavista : le
Mathew
|
Bonavista : le
Mathew tribord 3/4 arrière
|
|
Réplique du
Mathew de John Cabbot
|
Bonavista : le Mathew babord 3/4 arrière |
Bonavista : Monique sur la passerelle du Mathew de John Cabbot |
Jean-Paul devant le Mathew |
Port de Bonavista en 1912, Ryan Premises en 2ème plan |
Autre visite
attrayante, celle des Ryan Premises, l’ancien
établissement d’un de ces marchands qui contrôlaient
le marché du poisson - et la vie des pêcheurs - sur la
côte de Terre-Neuve au XIXème. Les différents
bâtiments ont été racheté en et réaménagés par Parc
Canada qui en a fait un passionnant centre
d’interprétation sur la morue et sa pêche à
Terre-Neuve. Il est malheureusement déjà tard et nous
n’aurons pas le temps d'en visiter toutes les salles
avant la fermeture. |
Suivant les conseil de l’un des jeunes guides, nous prenons la direction du petit port d’Elliston, le long de la côte rocheuse au sud de Bonavista, pour établir notre bivouac dans la paix du soir juste au dessus de l’anse. | Le mouillage
d'Elliston devant
notre bivouac
|
Samedi 19 août 2000 : de ELLISTON à FORTUNE (Péninsule
de Burin)
Elliston : caveaux à légumes |
Nuit super-tranquille devant la
plage déserte et les quelques maisons au dessus du
petit quai. Un grand soleil accompagne notre lever à
7:30. Départ une heure plus tard. Petit détour sur la
côte pour voir une île aux oiseaux et des
caveaux à légumes bientôt masqués par un épais banc de
brouillard qui s’estompe peu après.
Puis nous filons au sud. Après quelques kilomètres à l’intérieur des terres (maigre forêt de pins et de sapins comme d’habitude), nous retrouvons la côte découpée à Trinity, l’un des plus anciens petits ports de Terre-Neuve (1501). |
Il a évidemment perdu la plus grande part de son activité avec le déclin de la pêche mais a conservé ses petites maisons blanches anciennes entourées de clôtures basses en planches également blanches, ses églises et bâtiments publics (cour de justice maritime, magasins des négociants en poisson du XIXème, etc.). | Centre de Trinity près de l'église |
Centre de
Trinity
|
Longue promenade dans les petites rues aérées typiques, en visitant au passage Hiscock House, la maison familiale d’une marchande de la fin du siècle dernier, puis une boutique d’artisanat sur le port. Monique y achète un superbe chandail de laine en torsades pour Mathieu. Puis c’est la grande maison reconstruite de l’un des seigneurs du commerce de Terre-Neuve (XVIIIème/XIXème). Bref une agréable balade dans des temps révolus… |
Après le pique-nique sur le port, nous rattrapons la Transcanadienne par une longue route d’intérieur (230) monotone (forêt maigre dans un paysage vallonné) au revêtement assez défoncé. À Clarenceville reprend la grande nationale confortable et rapide. Plein d’essence avant de bifurquer cette fois sur la 210 vers le sud pour explorer maintenant la Péninsule de Burin.
Le temps est malheureusement maussade, si bien
que les paysages de landes et de tourbières se noient dans la
grisaille. Nous descendons au sud-est vers Fortune où nous
comptons prendre le bateau pour les îles françaises de St-Pierre
et Miquelon. Quelques courses au centre d’achat de Marystown, la
" capitale " de la péninsule, après un plein d’eau sur le boyau
du Bureau d’information touristique où l’on nous répond en
français (!). Nous rattrapons bientôt la côte, plutôt déserte,
qui devient de plus en plus sombre avec le crépuscule qui
descend. On passe rapidement Grand Bank et son Musée de la Pêche
pour arriver pas trop tard dans le petit port de Fortune et y
prendre les renseignements concernant le passage vers St-Pierre.
Il y a effectivement une vedette qui part demain matin à 8:00 et
revient en milieu de journée, ce qui laisse amplement le temps
de prendre le pouls de tout ce qui reste de France en Amérique
du Nord… Nous verrons demain à confirmer notre embarquement en
fonction du temps. En attendant nous passerons la nuit sur le
quai, à deux pas du bateau.
Dimanche 20 août 2000 : de FORTUNE à ST-JOHN’S
Vent et pluie se succèdent toute la nuit, si bien que c’est du fond de notre couchette que nous entendons le bateau partir vers St-Pierre à 8:00. Lorsqu’enfin nous émergeons, la bruine et le brouillard cachent une bonne part du paysage.
Molliers
(Burin) : la maison aux animaux en bois découpé
|
Nous poursuivons néanmoins notre tour de la péninsule de Burin, le long d’une côte basse voire marécageuse ponctuée de quelques hameaux de pêcheurs comme Point May, Lamaline ou Point au Gaul. Impossible d’apercevoir les îles françaises à l’horizon bouché... Seule une maison au décor naïf, coloré et exubérant vaut un arrêt, tant sa débauche d'animaux en bois découpé et peint (muettes, oises, vhe et cheval, élan...) au milieu de nulle part touche au surréaliste… |
Coup d’œil pittoresque sur le petit port de Lawn au fond de sa baie envahie par la brume, avant de gagner St-Lawrence où eut lieu en 1942 un naufrage spectaculaire et catastrophique. En pleine tempête de neige aveuglante, deux destroyer américains se sont égarés et jetés à la côte avant de couler au pied des falaises de Chamber Cove. | Descente vers le village de Lawn dans la brume |
Jean-Paul devant Chamber Cove à St Lawrence |
Si le village est égal à ceux que nous avons déjà découverts avec ses petites maisons de planche colorées et ses quais où sont amarrés quelques barques de pêche, la visite du site du naufrage est le prétexte d’une belle balade sur la côte, au bout d’une mauvaise piste en terre. |
Après une longue montée dans un maquis que l'on appelle ici tuckamore, formé d'herbes hautes et de résineux nains étêtés par le vent et le sel, on approche un large panorama sur la côte rocheuse sur laquelle viennent se briser avec fracas les grosses lames de l'Atlantique. Paysage sauvage et rude, le décor idéal pour le tragique naufrage rapporté par la chronique. | Burin - St-Lawrence : plage devant Ship Cove |
Burin : Monique devant Chamber Cove (près de St-Lawrence) |
Il ne reste plus rien des épaves de deux grands navires d'acier, dont on ne devine même plus la silhouette à travers l'eau émeraude et transparente, sinon une poutrelle rouillée accoté contre un gros rocher au pied des éboulis. Le sauvetage des 150 survivants dut être un exploit, lorsqu'on considère les falaises à pic et la violence de la mer. Le temps gris et bruineux s'accorde à l'aspect désolé des lieux pour contribuer à l'ambiance toute minérale, froide, et mélancolique. |
Petit port à Burin Bay |
Nous n'aurons donc guère l'opportunité d'admirer les landes désolées traversées hier et encore moins de les filmer… Nouveau plein d'essence à Goobies, avant de filer sur l'autoroute en direction de St-John's. Le ciel se dégage très progressivement lorsque nous approchons la péninsule d'Avalon et traversons d'autres landes rocheuses parsemées de tourbières et de petits lacs. Le soleil brille enfin sur la dernière section d'autoroute nous menant au cœur de la capitale terre-neuvienne, pour enfin disparaître lorsque nous abordons la rude montée menant à Signal Hill, au dessus du goulet donnant accès au port. |
Vent froid et bruine à nouveau tandis que nous admirons la ville illuminée et son large bassin abrité où pénètrent quelques navires attardés dans la pénombre. Nous hésitons à dormir sur le stationnement du monument, Parc national et donc très fréquenté, ou près de son centre d'interprétation pourtant fort joliment situé à flanc de montagne. Nous préférons jeter notre dévolu sur une ruelle paisible un peu plus bas qui devrait nous garantir un sommeil paisible. |
Crépuscule
sur Signal Hill et le goulet donnant accès au
port de St John's
|
St-John's : bivouac devant la maison rose |
Sommeil effectivement tranquille sur
une ruelle transversale au flanc de Signal Hill,
devant une maison un peu kitsch agrémentée de
décorations roses naïves et populaires qui étonnent à
défaut de plaire. Orage et pluie durant la nuit, mais ciel sec au réveil et dégagement progressif en matinée. Nous décollons vers 9:30 après douche et vaisselle, puis écriture du courrier et tri des prospectus et autres catalogues touristiques ramassés depuis notre départ. |
Nous remontons à la Cabot Tower noyée dans la brume, puis je risque quelques photos et plans vidéo depuis le centre d’interprétation de Parcs Canada à mi-pente.
Toujours à la recherche d’une librairie
francophone, une visite à la Fédération des Francophones de
Terre-Neuve et du Labrador nous fait rencontrer deux jeunes
permanentes, toutes deux québécoises, avec lesquelles nous avons
une longue discussion sur la faible visibilité des quelques 0,5%
Terre-Neuviens francophones (c’est tout ce qu’il en reste…), et
sur le peu d’attention portée à notre langue par les autorités
locales.
Nantis de 2 adresses fournies par les
demoiselles, nous poursuivons notre exploration de la rue
principale de St-John’s (Water Street), et nous lançons à la
recherche de bouquins pour Monique arrivée au bout de son stock,
mais avec bien peu de succès. La première petite librairie tenue
par une française originaire de Marseille donne dans
l’ésotérique, et propose à peine une dizaine de romans acadiens
sur ses tablettes.
Dans l’autre, l’une des principales librairies
anglaises de la capitale, il faut 5 minutes de recherche au
libraire pour découvrir dans le sous-sol une travée de vieux
livre usagés écrits dans la langue de Molière, livres destinés
aux étudiants en français langue seconde et donc essentiellement
composés de classiques " plates " et de grammaires… Plutôt
congrue, la diffusion de la culture française dans cette
province pourtant membre de la francophonie canadienne et
mondiale !
Nous montons ensuite au site de Quidi Vidi pour déjeuner. Joli panorama sur l’étroit goulet du petit port de pêche, mais les 5 dollars exigés pour accéder au Parc provincial de la Batterie nous semblent exagérés. |
Le minuscule port de Quidi Vidi |
Retour au Newfoundland Hotel pour une visite guidée du vieux St-Jean avec une jeune étudiante bilingue (père québécois, mère hollandaise…) qui nous fait faire le tour de la vieille ville en nous informant consciencieusement des dates de construction de tel ou tel édifice et de quelques événements marquant l’histoire de la ville. La demoiselle est gentille, mais son commentaire nous semble pauvre et sans perspective, tandis que son sujet (petites maisons de bois colorées en rangée) s’avère sans grande originalité ni style. Il faut dire qu’il y a peu matière à voir, car toute la vieille ville a brûlé en 1896 et sa reconstruction a été des plus ordinaires.
St-John's Downtown et la cathédrale |
St John's : Signal Hill depuis le port |
St-John's : Signal Hill et le goulet
Signal Hill et un iceberg dans l'axe du
goulet
Un peu déçu par cette capitale (de faible dimension il est vrai puisqu’elle compte à peine 150 000 habitants), nous décidons d’aller contempler les vastes paysages marins depuis le Cap Spears, le point le plus oriental de l’île et donc du Canada, site du plus ancien phare canadien. Grandiose panorama avec les falaises de Signal Hill et de Quidi Vidi à l’horizon. Dans le parc historique intégrant l’ancien phare maintenant désaffecté, deux batteries enterrées munies d’énorme canons datent de la IIème guerre mondiale. Mais le clou de la balade est incontestablement le troupeau de baleines qui s’ébattent dans la baie en soufflant et en faisant le gros dos au milieu des vagues.
Phare du Cape Spears sur son rocher face à l'Atlantique Nord |
Le phare du Cape Spears et ses annexes maintenant musée |
Guépard sur la route du Cape Spears vers St-John's |
De retour à St-John’s en fin d’après-midi, nous prenons Marine Drive vers le nord. Rien de bien extraordinaire : si la côte rocheuse est jolie, elle est surtout devenue lotissement pour une flopée de maisons de banlieusards... Interrompant notre tour à Torbay, nous traversons la péninsule au plus court vers St-Philipps et rattrapons la TCH pour filer vers l’est en direction de Port-aux-Basques. |
Mardi 22 août 2000 : de WHITBOURNE à PORT-AUX-BASQUES (872 km)
Lever tôt (7:00) pour partir à 8:00. La route derrière nous était assez passante dès 5:30 et notre emplacement donc pas vraiment bien choisi…
Le ciel est radieux au départ, la grande
lumière élargit les paysages et embellit les points de vue sur
la campagne déserte et les échappées vers la mer qui apparaît de
temps à autre. Puis le ciel se charge progressivement au cours
de notre longue progression vers l’ouest. En traversant à
nouveau le Parc national de Terra Nova, 2 brefs arrêts aux
belvédères de Ochre Hil puis de Blue Hill (d’ailleurs mal
signalés, heureusement nous utilisons le Guide Vert Michelin !)
nous permet d'admirer le grandiose paysage de petites montagnes
arrondies et couvertes de forêts à perte de vue qui s’arrêtent
sur des fjords découpés (Newman’s Sound).
Parc de Terra Nova : vue depuis Ochre Hill |
Parc de Terra Nova : vue depuis la tour de Blue Hill |
Ce seront nos seuls arrêts de la journée, avec
un plein d’essence en passant à Badger. Nous parcourons donc en
sens inverse presque toute la Transcanadienne terre-neuvienne,
en coupant les nombreux embranchements qui nous ont permis de si
belles excursions, nous enfonçant progressivement dans la
grisaille puis dans la bruine. Il est 19:30 lorsque nous
arrivons enfin à Port-aux-Basques, sous un ciel qui a fini par
se dégager. Peu de chance d’avancer notre passage sur le
prochain bateau à 7:00 demain matin, (un voyage précédent ayant
dû être annulé, ce qui a fait grimper la liste d’attente à 150
voitures !). Nous laissons donc le quai d’embarquement derrière
nous et prenons le temps d’un long tour en voiture entre les
maisons de pêcheurs dispersées sur le promontoire très découpé
et pittoresque. D’anse en anse, nous finissons par découvrir un
vaste terrain dégagé face à la mer où nous nous installons à la
brunante pour passer la nuit.
Mercredi 23 août 2000 : de PORT-AUX-BASQUES à IRISH COVE (Nouvelle-Écosse)
Lever peinard sous un beau soleil qui met en valeur le panorama de côte rocheuse découpée, le bleu profond de la mer et les petites maisons blanches ou pastels dispersées sur les gros rochers arrondis où niche le havre de Port-aux-Basques. Nous démarrons lentement la matinée puisque nous n’aurons pas le temps de faire grand chose avant de nous présenter à l’enregistrement des véhicules sur le port. Autre petit tour dans les ruelles sinueuses et montueuses du gros village, mise à pression des pneus à la station-service locale, achat d’huile à moteur au Canadian Tire pour retarder encore un peu la vidange maintenant due depuis plus de 2 000 km…
Arrivée à North Sydney |
Je passe quelques minutes auprès de Monique dans le grand salon, mais l’odeur de poussière, la crasse incrustée dans la tapisserie des fauteuils ainsi que le manque d’air et de lumière me ramènent sur le pont après un dîner rapide – et quelconque – à la cafétéria du bord. Nous passons donc le reste de la traversée sur les bancs au grand air, jusqu’à ce qu’apparaissent les côtes de la Nouvelle-Écosse que notre navire suit longuement (je crois même reconnaître la silhouette du Cap Smokey au pied duquel nous avions dormi à l’aller). |
Débarquement bienvenu à North Sydney où nous nous engageons bientôt sur la route paisible qui suit la rive sud du Bras d’Or, le vaste lac intérieur occupant tout le centre de l’île du Cap-Breton. Plein d’essence (10 cents de moins qu’à Terre-Neuve !) et d’eau. Le soir tombe en nous gratifiant d’une magnifique coucher de soleil sur le lac. Une section de route désaffectée offrant une large vue sur le lac nous servira de bivouac pour la nuit. | Nova Scotia : bivouac au crépuscule à Irish Cove sur le Bras d'Or |
Jeudi 24 août 2000 : de IRISH COVE (Bras d’Or) à GRAND
LAKE (Waterborough)
Nuit des plus paisibles et silencieuses que le
ciel nuageux au réveil nous invite à poursuivre passé 9:30… La
jolie route de campagne longeant le Bras d’Or se poursuit
jusqu’à St-Peters, extrémité sud du lac et écluse qu'un gros
remorqueur de l'Atlantique s'apprête à franchir sous le ciel
gris… Nous rejoignons alors la grande route 104 (TCH) qui nous
mène rapidement à Port Hawkesbury où je fais procéder au
changement d’huile. Nous y faisons aussi quelques course
d’épicerie dans un grand Sobbeys où l'on trouve enfin presque
tous les produits auxquels nous sommes habitués... Passage du
Canso Causeway, la jetée qui relie l’île du Cap-Breton au
continent. Puis l’autoroute rapide nous fait traverser d’est en
ouest et non-stop toute cette partie de la Nouvelle-Écosse,
trajet un peu long et monotone surtout sous le crachin et les
averses passagères.
Aulac :
Fort-Beausejour vu du ciel
|
Il est 17:30 lorsque nous atteignons le Nouveau-Brunswick à Aulac. À peine avons-nous le temps de gagner le site de Fort-Beauséjour que vent violent et bruine nous accueillent sur les terre-pleins et les talus herbeux de l’une des dernières places-fortes de l’Acadie royale, mal défendue par les Français et vite tombée aux mains des Anglais beaucoup plus nombreux. Quelques artefacts intéressants dans le Centre d’interprétation… |
Nous reprenons bientôt l’autoroute
rapide et excellente jusqu’à Moncton où nous
bifurquons sur la petite route 112 pour rattraper au
plus court Fredericton. Campagne boisée et déserte,
avec de rares maisons de forestiers disséminées le
long de la route sinueuse. Rattrapant la TCH (Trans Canada Highway) à Coles Island, nous faisons encore quelques kilomètres jusqu’au rivage du Grand Lake rougi par le soleil couchant. Nous y dressons bivouac sur un quai désert où accostaient autrefois (borne datée de 1926) les vapeurs sillonnant le lac. |
New-Brunswick :
bivouac au bord de Grand-Lake
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Vendredi 25 août 2000 : de WATERBOROUGH à MONTRÉAL (174
669) (950 km)
Nuit relativement tranquille, en dépit de la proximité de la route surchargée de gros camions et malgré les nuées de moustiques qui nous assiègent dès la nuit tombée : il va falloir améliorer notre système de moustiquaires !
Le majestueux fleuve Saint-Jean (même si on dit « la rivière ») |
Nous évitons Fredericton tout proche pour enfiler la grande route remontant le fleuve St-Jean. Si la circulation est assez dense dans cette large vallée qui relie les Provinces Maritimes au reste du Canada, la chaussée est excellente, rapide et offre tout au long de superbes dégagements sur le cours puissant de la rivière coupé de quelques barrages. Nous pique-niquons dans le parc aménagé près de l'un d'entre eux, admirons au passage le plus long pont couvert du Canada à Hartland et poursuivons notre remontée de la St-Jean. |
Une affiche indiquant "Fromage frais" nous arrête brièvement dans une fromagerie au bord de la route, à la recherche d'un mythique "fromage blanc" hélas encore inconnu ici. Rivière-du-Loup n'est pas bien loin ; le temps maintenant radieux nous incite à une longue traînerie dans ses rues commerçantes, à la recherche d'une librairie - francophone ici bien sûr ! - où Monique pourra renouveler sa provision de bouquins. En quittant la petite ville, nous " tombons " littéralement sur le St-Laurent dont le vaste et majestueux estuaire commence à arborer des teintes mêlées d'or, de bleu profond et de violet. Son apparition au détour de la route nous fait pousser un Oh ! d'admiration, nous en profitons encore plus lors d'une longue pause au bord des battures de N.D. du Portage. | Pause à la halte
routière de N-D-du-Portage
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Une pimpante maison d'hôte à Saint -André-de-Kamouraska |
Délaissant l'autoroute d'ailleurs assez chargée, nous suivons ensuite la petite et sinueuse mais combien charmante vieille route 132 pour remonter le "Bas du fleuve", admirant les îles des Pèlerins ancrées à quelques encablures dans le soleil couchant, puis les vieilles maisons de St-André et de Kamouraska, les fermes bien rangées parallèlement au rivage, sur la large terrasse fluviale au pied des derniers talus des Appalaches. La nuit finissant par tomber comme un sombre rideau sur le spectacle, nous nous promettons de revenir nous balader dans ce coin attachant dès que possible. Il faut alors se résoudre à rattraper l'autoroute vers Québec puis Montréal où nous arrivons en milieu de nuit après un voyage sans histoire. |
Les battures du
Saint Laurent devant Kamouraska
Outremont, le 12 octobre 2000
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Pour conclure en beauté, je vous propose quelques photographies extraites du livre " One Hundred Outports",
par Ben HANSEN, Vineland Press, St. John's, Newfoundland, 1990