UN PEU D'HISTOIRE LOCALE



   1. Introduction
   2. Livre de Galeron (1828)
   3. Saint-Marc d'Ouilly - Saint Roch - Arclais - Les Gouttes
   4. Le Détroit
   5. La construction des écoles
   6. Les Pompiers et la Société de musique
   7. La Société de Musique (fin) - L'usine de La Pautiche
   8. Le Château Ganne
   9. Le château de Ségrie-Fontaine
  10. Pierrefitte-en-Cinglais
  11. Légendes locales
  12. Les filatures des vallées de la Suisse Normande
  13. Le manuscrit de M. Jehenne (1923)
  14. L'usine du Rocray (par A. Bessac)

      Savez-vous que ? (Caritas 1963)


Autres textes concernant Pont d'Ouilly et ses environs :


Destruction et reconstruction du pont de Pont d'Ouilly (1944  - 1948) (article anonyme)

Le Pont d'Ouilly au temps de la gabelle (R.Cornu)

La Foire de Guibray... en l'An de Grâce 1766 (article par Jeanne LÉTOQUART présentant le poème burlesque inédit de 2 720 vers écrit par Gérard Desrivières, curé de Carrouges...)

En remontant la Rouvre... (article anonyme, 1955)





Présentation




Le D' R. Cornu a exprimé le désir de faire paraître dans « Caritas » quelques pages d'histoire locale et le Rédacteur du modeste bulletin est très heureux de les faire paraître, honoré de cette demande et persuadé qu'elles intéresseront particulièrement les lecteurs. On a toujours quelque satisfaction et quelque fierté à entendre parler de son pays et d'autres « historiens » se découvriront peut-être dans la population, qui sont invités à faire part de leurs connaissances au Docteur.


Ange Portier, curé.



INTRODUCTION


Rien n'est plus passionnant que l'histoire de son pays et, à plus forte raison, l'histoire de sa petite patrie, celle où l'on est né ou celle où l'on a choisi de vivre.

Ayant récemment eu l'occasion de trouver quelques documents concernant les origines de notre Pont d’Ouilly, l'idée m'est venue de vous en faire part.

Je souhaite seulement que ceux qui ont en leur possession des documents du même genre nous en fassent part de la même façon et avec la même simplicité. Ainsi pourra se faire un échange de vues du plus haut intérêt pour nous tous.

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J'ai souvent entendu soulever la question de l'origine du mot Ouilly et les réponses sur ce sujet m'avaient toujours paru évasives. Dans un livre paru vers 1914 « Vieux Manoirs et Gentilshommes Bas-Normands - Promenades historiques dans le Val d'Orne de Caen à Argentan », sous la plume de M. de Caix de Saint-Aymour et auquel quelques anciens du pays avaient contribué (M. Jéhenne), j'ai trouvé une réponse fort intéressante à cette question.

Ce nom d'Ouilly se retrouve quatre fois dans le Calvados : Ouilly-le-Vicomte, Ouilly-Ie-Ribaud, Ouilly-le-Basset, Ouilly-le-Tesson, et une fois dans le Rhône. M. de Quaix, qui était sorti de l'Ecole des Chartes et, par conséquent, un historien chevronné, en donne l'explication suivante :

« Le suffixe Y a remplacé dans nos provinces du Nord un primitif gallo-romain - acum, au sens possessif. Ce suffixe, précédé d'un nom d'homme, indique la propriété de cet homme. Suivant les régions, ce suffixe - acum est traduit par - Y, par -É par -AC ou même par -ARGUES (dans le Languedoc).

« Prenons par exemple un nom gallo-romain très répandu: Marcellus ou Marcilius, réuni au suffixe - acum, il nous a fourni : Marsiliacum et ce nom se trouve en français sous les quatre formes que lui donne la traduction des différentes provinces : Marcilly, MarcilIé, Marcillac, Marsillargues. Ceci explique, on ne s'en étonnera pas, que Ouilly soit la traduction exacte d'un Ulliacum (prononcez Oulliacum puisque notre U n'existe pas en latin), propriété d'un gallo-romain appelé Ullius ou Ullus ou peut-être union d'un Williacum, propriété d'un Willius, franc romanisé dont le nom germanique aurait été le prototype de William = Guillaume. Quant au nom de Basset, c'était comme Tesson, celui d'une famille de vieux chevaliers du Haut Moyen Age. Les Basset étaient déjà à la conquête de l'Angleterre avec Guillaume le Conquérant. Un d'entre eux, Robert d'Ouillie (cité également par La Varende dans son livre sur Guillaume le Conquérant), reçut du roi des biens considérables dans le comté d'Oxford, avec le titre de connétable de ce comté. D'autres Basset restèrent en Normandie et continuèrent la lignée des Seigneurs d'Ouilly. »

Une prochaine fois, nous verrons ce qu'il reste des vestiges de l'ancien temps et ce que nous en savons: le château d'Arclais, le château d'Ouilly, le château du Détroit (auprès de l'église), et les disputes fréquentes qui existaient entre les seigneurs habitant ces divers châteaux.

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Le nom des Seigneurs d'Ouilly se retrouve dans les archives au moment de la première Croisade: un Sire d'Ouilly y aurait suivi Robert de Courte-Heuse.

Un certain Richard d'Ouilly vivait sous Philippe Auguste sur notre actuelle paroisse d'Ouilly.

Nous ne savons pas à quelle époque disparut cette vieille famille chevaleresque des Seigneurs d'Ouilly, mais c'est à eux très certainement que l'on doit attribuer la construction de la forteresse féodale qui, d'après la tradition recueillie par Galeron, s'élevait à 1 kilomètre du « bourg » actuel, dans le bois de Mailloc. La légende, embellissant la tradition, n'a pas manqué de donner à ce château, qui aurait eu l'importance et les dimensions du Château Ganne de la Pommeraye, des souterrains gigantesques le reliant à ce dernier à quelques kilomètres d'Ouilly et en passant sous le vallon où coule le ruisseau de Pierrefitte. Mais ceci est de la pure fantaisie. Ce qui est certain, c'est qu'aucune construction ne subsiste de ce château et qu'on ne voit plus à l’endroit où il devait être qu'un « vallum » informe, sans caractère bien déterminé.

Auprès de l'église d'Ouilly se trouvait un vieux manoir où résidaient habituellement les d'Oilliamson. Ce manoir a maintenant beaucoup perdu de son caractère. L'un des derniers propriétaires, vers 1870, en aurait rasé la tour avant de s'en séparer. On peut, cependant, encore y admirer un blason à la partie supérieure d'une cheminée et les vestiges d'une grande salle avec cheminée monumentale et fresque murale. Là aussi, il est question d'un souterrain, mais il ne s'agit vraisemblablement que d'une cachette.

La Seigneurie d'Ouilly-le-Basset demeura longtemps dans la famille d'Oilliamson. Le dernier de la branche des d'Oilliamson, possesseur de la terre d'Ouilly-le-Basset, mourut en 1778, sans enfants du mariage avec une demoiselle de Cheux. Les d'Oilliamson ne paraissent pas, d'ailleurs, avoir été les seuls seigneurs à Ouilly-le-Basset ; ils étaient certainement les seigneurs dominants et les Patrons de la paroisse. Mais, dès le milieu du XVIe siècle, les la Lande se disent aussi seigneurs d'Ouilly.

Les d'Oilliamson n'habitant plus leur vieux manoir d'Ouilly depuis la fin du XVIe siècle ou ayant transporté leurs pénates ailleurs dans des seigneuries plus importantes, les la Lande usurpèrent peu à peu le nom d'Ouilly et au milieu du XVIIe siècle, la qualification de « Monsieur d'Ouilly » paraît leur avoir été réservée exclusivement.

L'église actuelle d'Ouilly a remplacé, vers 1860, une vieille chapelle normande. On y voyait plusieurs tombes de la famille d'Oilliamson, et notamment celle d'un d'entre eux, probablement Thomas-Arthur, mort en 1572. Il ne reste plus rien de ces tombeaux. Mais je ne serais pas étonné que le très ancien calvaire qui existe encore actuellement en bordure de la grande route, près de l'école, provienne de cette ancienne chapelle.

Les seigneurs d'Ouilly n'étaient pas toujours des petits saints et l'un d'eux, le 9 septembre 1675, se rendit même coupable d'assassinat sur la personne de l'un de ses voisins, le sieur de Beauvoisien. Celui-ci aurait décidé un jour d'aller, avec le sieur des Landes, « faire voler leur oyseau », c' est-à-dire chasser avec un oiseau de proie. Mais ils eurent le tort ou la maladresse de le faire sur les terres d'un mauvais coucheur qui s'appelait Alexis Guéroult, seigneur de Rouvrou, Apprenant cela, Alexis Guéroult fit appeler le Seigneur d'Ouilly et rassembler quelques hommes, puis lorsqu'ils furent une douzaine environ, ils se portèrent au-devant des chasseurs et leur cherchèrent querelle. Dans la bagarre, de Beauvouisien tomba mortellement frappé et M. Julien de Brossard des Iles-Bardel, leur contemporain qui relate le fait dans son Line-Journal, accuse nettement le Seigneur d'Ouilly d'avoir fait tuer volontairement le sieur de Beauvoisien dont il était fort jaloux.

D'ailleurs, Alexis Guéroult, baron de Rouvrou, organisateur de ce guet-apens, n'eut pas une meilleure fin : deux paysans du hameau de la Branle, à Menil-Hubert, refusant de participer à une chasse au loup qu'il avait organisée, il vint les réclamer jusque dans leur maison où ils s'étaient barricadés. Guéroult ordonna à ses domestiques d’enfoncer une fenêtre; comme elle était trop petite pour donner passage à un homme, il la fit agrandir à coups de pioche; puis, comme les domestiques effrayés de la résistance des habitants, hésitaient à entrer, il passa le premier et tomba mort, le crâne fendu d'un formidable coup de doloire à tailler les sabots.

Comme on le voit, à cette époque, gentilshommes et paysans se distinguaient par leur sauvagerie et leur violence.

Vous avez pu constater que j'avais volontairement écrit les « IIes-Bardel ». Cette orthographe est la plus ancienne et il est certain que notre hameau des Iles d'Ouilly doit s'écrire également Ils, les deux noms devant se prononcer « i », les « i d'Ouilly ». En effet, il n'y a jamais eu d'îles pas plus aux Isles Bardel qu'aux Iles d'Ouilly, car ces villages sont situés très loin et au-dessus des ruisseaux. Mais s'il ne s'agit pas d'îles, il y eut aux Iles d'Ouilly jadis un bois d'ifs; ce sont ces arbres qui ont fait baptiser ce village comme celui des Isles Bardel.


Dr R. CORNU.



Le Galeron sur l'Arrondissement de Falaise



Mes deux premiers articles sur l'histoire de Pont d'Ouilly m'ont valu de nombreux encouragements qui m'ont fait un réel plaisir. Plusieurs personnes m'ont apporté des documents et d'autres m'en ont promis. Pour n'en citer que quelques-uns: la famille Baudouin, avec l'autorisation de M. Dupré, m'ont procuré l'ouvrage très ancien de Galeron sur l'arrondissement de Falaise, qui fait encore autorité: M. Jean Champin m'a apporté un vieux numéro des « Echos d'Ouilly le Basset » de 1905 où, à ma grande surprise, j'ai pu lire une chronique sur l'histoire d'Ouilly le Basset, ce qui montre que mon idée n'est pas neuve; Mme Iragne m'a trouvé les très intéressants cahiers de son père M. Jéhenne qui y a consigné les faits qui se sont déroulés à Pont d'Ouilly pendant son existence; enfin M. Flomond, qu'un deuil très cruel vient de frapper inopinément, m'avait trouvé lui aussi les éléments d'un article sur l'ancienne chapelle de Pont d'Ouilly.

C'est bien ainsi que j'ai rêvé de faire l'histoire de Pont d'Ouilly, grâce à une collaboration amicale de tous ceux et de toutes celles qui veulent bien s'intéresser à ce modeste travail sur notre commune.

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Mais revenons à nos moutons. Je vous ai dit que j'avais depuis peu entre les mains le Galeron sur l'arrondissement de Falaise. On y lit des détails tellement savoureux que je ne puis résister au plaisir de vous en citer quelques passages in extenso. N'oubliez pas en les lisant qu'il s'agit d'un livre publié en 1828. Un premier point saute aux yeux à la lecture de cet ouvrage : c'est l'existence d'une commune de Saint-Christophe.

J'espère, une prochaine fois, consacrer une ou deux pages à cette commune dont on ne se souvient guère et qui avait cependant ses édifices propres et son église.

Galeron fait de notre région une description dithyrambique et il ajoute : « c'est une petite Suisse pour les habitans (sic) de Falaise, qui n'ont jamais vu le soleil se coucher que derrière le rocher de Noron. Situé entre Condé et Falaise, ce point sert de relais obligé aux voyageurs et surtout aux rouliers, qui ne pourraient faire six lieues sans se reposer au milieu de ce pays de montagnes. Dans les temps de la foire de Guibray, on a compté jusqu'à quatre-vingts voitures de roulage arrêtées pendant la nuit à cet endroit. Aussi le nombre des auberges y est-il considérable, en raison de la population. On y compte trois grandes (?), douze cabarets, trois cafés et un billard. La population entière de la commune n'est cependant que de 800 habitants au plus et le nombre des maisons de 197.

Tous les lundis, il y a un marché au bourg d'Ouilly, outre quatre foires aux bestiaux qui se tiennent au printemps et en automne...

« L'Ancienne Halle fut brûlée par accident il y a deux ans. On en a reconstruit une autre sur le même emplacement, mais sur un meilleur plan... Cette halle n'a coûté que 8.000 francs à la commune. Le produit de sa location annuelle ainsi que du marché et des échoppes qui l'entourent s'élève à 2.500 fr. au moins. »

- Nos anciens édiles s'y connaissaient en affaires !

« Le commerce est entièrement nul ainsi que l'industrie.» (Cela a bien changé, heureusement.) « Une douzaine d'individus travaillent à la toile pendant l'hiver et dès le printemps retournent aux travaux de l'agriculture. »

Je répète que cela se passe en 1828. Et maintenant, écoutez ce terrible jugement sur nos ancêtres. Fort heureusement nous ne mériterions plus à l'heure actuelle les mêmes épithètes !!!

« Les habitans de la campagne d'Ouilly sont en général buveurs, querelleurs et chicaneurs. Les hommes, et même beaucoup de femmes, fréquentent habituellement le cabaret, ils s'y livrent à l'ivrognerie qui amène les autres excès. L'esprit de chicane semble surtout leur être naturel et l'on a l'exemple de procès entrepris pour des objets de la plus mince valeur et uniquement dans l'intention de se nuire les uns aux autres. Aussi le seul huissier établi dans le bourg étant loin de leur suffire, on y en voit arriver cinq ou six du dehors les jours de foire et de marché; ils y ont tous leur cabinet et leur clientèle ».

Comme vous allez le voir, il n'y avait pas de gendarmes à cette bienheureuse époque. « Il serait à désirer qu'au milieu de cette population tracassière, et dans ce bourg très fréquenté, le Gouvernement se déterminât à établir une brigade de Gendarmerie à pied. Ce sont les Gendarmes d'Harcourt, éloignés de quatre lieues , qui sont chargés de la surveillance sur ce point, et l'on conçoit qu'ils ne puissent y maintenir l'ordre convenablement. Si un crime ou un délit grave s'y commettait, il faudrait une demie journée pour qu'ils en fussent informés et qu'ils arrivent sur les lieux. Les malfaiteurs auraient le temps de se soustraire aux recherches et aux poursuites au milieu de ces montagnes, et sur la limite de deux départements. Des gendarmes résidants en imposeraient aux habitants, dont ils calmeraient les querelles et ils rendraient les routes plus sûres pour les voyageurs. Le Gouvernement rendrait un service à cet arrondissement en lui accordant ce supplément de force armée qu'il réclame depuis longtemps. Il ne lui en coûterait pas plus de 5 à 6.000 francs par année. Le Conseil Général en a déjà fait plusieurs fois la demande comme un des besoins les plus urgents du pays. »

Donc, il y a plus de cent ans, on réclamait déjà la construction d'une gendarmerie, mais cette fois-ci, il en coûtera plus de 5 à 6.000 francs par an !

Et maintenant le mot de la fin.

« Les impôts directs payés par Ouilly le Basset s'élevaient annuellement à 9.634 fr. 71 cme ». J'en connais qui voudraient bien n'avoir que cela à payer !

Et enfin: « Dans les cinq dernières années (de 1821 à 1826), les naissances se sont élevées à 68 et les décès à 71. Malgré ce faible excédent de décès, on doit regarder comme très sain l'air de cette commune... ».

Voilà qui est bien consolant !

Dr R. CORNU.



Saint Marc - Saint Roch - Arclais - Les Gouttes




SAINT-MARC D'OUILLY (dont l'orthographe dans tous les anciens livres que j'ai pu compulser est toujours MARC) est assez curieusement découpé; mais le comble de la fantaisie est cette ridicule pointe, cette verrue que CAHAN vient pousser jusque dans le bourg même de SAINT¬MARC. La première fois qu'on m'apprit que la frontière de l'ORNE venait jusque dans la maison de M. CHAMPIN à SAINT-MARC, j'eus beaucoup de mal à le croire.

Que de complications cette petite zone d'ORNE implantée dans notre flanc est-elle capable de déterminer à tous points de vue ! Pour les gendarmes il y a là une zone d'insécurité qui relève d'ATHIS et qui complique le travail des deux brigades. Il paraît que cela serait dû à un ancien droit d'eau que possédait une tannerie pour descendre à la rivière.

Au début de l'hiver 1889 a été démolie la vieille église de SAINT-MARC. Elle datait de l'époque où l'abbaye de FONTENAI l'avait fait édifier, au XIIe siècle, par VAUTIER DU VEY alors seigneur de SAINT-MARC. Elle a été remplacée par l'église actuelle qui, pour le bas, date de 1889, construction modeste en pierre calcaire avec clocher carré. La petite chapelle de SAINT ROCH, plus modeste, date du début du XVIIe siècle. Je ne vous ferai pas l'éloge des fresques modernes qu'elle contient; je vous dirai seulement que leur conservation est actuellement l'un des soucis du conseil municipal. Il semble qu'avant même que la chapelle fût construite, mais surtout depuis qu'elle existe, des pèlerins soient venus y chercher le soulagement de leurs douleurs rhumatismales. Le pèlerinage de SAINT ROCH avec déplacement en corps des paroisses environnantes date également du XVIIe siècle.

M. DE CAIX DE SAINT AYMOUR, que j'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion de citer, raconte qu'au printemps de 1833, au cours d'un de ces pèlerinages paroissiaux, les habitants d'ATHIS, soupçonnés de légitimisme, furent victimes de l'émotion soulevée quelques mois auparavant par l'arrestation de la duchesse DE BERRY à NANTES. Ils furent insultés et malmenés à SAINT-ROCH et à SAINT-MARC comme partisans de la duchesse « de la cheminée », allusion à la cheminée dans laquelle la duchesse fut prise à NANTES.

Enfoui dans le village d'ARCLAIS se trouve le petit château appartenant actuellement au docteur BAZIN et dont l'histoire est des plus instructives. La seigneurie en remonte à JOACHIM d'ARCLAIS, panetier de CHARLES VI. Reportons-nous à nouveau pour cela au beau livre de M. DE CAIX. « Tout à l'extrémité du village, à droite en descendant, un porche en plein cintre flanqué d'une porte plus petite, le tout recouvert d'un toit hourdé, donne entrée dans une vaste cour carrée au fond de laquelle se trouve un manoir du commencement du XVIIe siècle, avec attique central. À droite, sur des bâtiments ruraux, est une tour ronde témoin probable d'une gentilhommière plus ancienne. » Au dire de M. DE CAIX, ce vieux logis contiendrait une fort belle cheminée LOUIS XV et, à l'époque où il écrivit son livre, c'est-à-dire avant la guerre de 1914, il était dans un grand état d'abandon.

Malgré cela M. DE CAIX, qui était un archéologue fort érudit, remarqua un écusson sur le fronton de la demeure et d'après l'état de cet écusson, il conclut que ce château a appartenu à l'une des plus anciennes et des plus nobles familles de NORMANDIE.

« Sur cet écusson apparaissent encore trois coquilles. Ce sont les armoiries de CAIRON qui portaient de gueules à trois coquilles d'argent et qui devaient leur vieux nom chevaleresque à la seigneurie de CAIRON près de CAEN. Un GUILLAUME DE CAIRON accompagnait GUILLAUME DE NORMANDIE à la conquête de l'ANGLETERRE en 1066. »

« Les CAIRON étaient encore nombreux au moment de la Révolution, mais nulle part nous ne trouvons signalés celui ou ceux qui furent seigneurs de ARCLAIS ; et cette vieille pierre moisie d'humidité au fronton d'un manoir délabré est peut-être le seul document qui nous fasse savoir que là fut le logis d'un CAIRON. »

C'est là, en effet, une bien curieuse histoire dont il n’était pas donné au premier venu de déchiffrer ainsi le nom des anciens propriétaires.

Du village des GOUTTES nous dirons peu de chose, si ce n'est que la tradition raconte que pendant la Révolution un prêtre réfractaire' s'y cachait et y disait la messe dans une vieille grange qui existe encore au bas de la propriété de M. COQUIL. C'est peu de chose, dira-t-on, mais si l'on remonte à cette terrible époque, c'est quand même la preuve d'un grand courage et d'une grande piété chez les habitants de ce petit village qui risquaient, si ce prêtre était découvert, de terribles représailles.

Nous avons ainsi parcouru la longue étendue de la jeune commune de PONT D'OUILLY depuis les ISLES D'OUILLY jusqu'aux GOUTTES. La prochaine fois, pour n'oublier personne, nous irons faire un tour au DETROIT et, plus tard, verrons ce qu'il y a d'intéressant dans l'histoire plus proche de nous, des gens qui étaient nos grands-parents, du moins pour ceux qui sont de vieille souche ouilly-pontine.


Dr R. CORNU.



Le Détroit



La commune du DÉTROIT est pour nous plus qu'une voisine puisqu'elle fait partie des quatre paroisses desservies par notre curé. C'est donc à ce titre que nous allons pendant quelques instants nous intéresser à son passé.

Cette petite commune de 364 hectares a possédé jusqu'à trois châteaux. D'abord celui que nous connaissons tous, au bord de la grande route au lieudit « Les Minières » et qui appartient à la famille de Jacquelot, C’est une construction relativement moderne et qui aurait tiré son nom de mines de fer, jadis exploitées à cet endroit.

Le plus important par son passé historique est celui dont on voit les ruines auprès de la petite église paroissiale. C'était un manoir d'une remarquable architecture. Son propriétaire, M. de la Héronnière vient de mourir. Ce château était encore en bon état de conservation au début du siècle puisqu'on peut voir sa photographie dans le livre de M. de Caix, et il est vraiment regrettable qu'un si bel édifice, merveilleusement situé sur la vallée de l'Orne, soit laissé à l'abandon au point de devenir bientôt irréparable.

La construction date de 1634. Il est flanqué de quatre tourelles en encorbellement sur les angles au niveau du premier étage. Le perron est majestueux et l'on voit encore dans les pièces du rez-de-chaussée de splendides cheminées.

Sur les fenêtres du milieu on peut voir les armes de la famille de la Lande et sur les fenêtres de droite celles de la famille des de Berthanel. Je vous ai déjà parlé de la famille des la Lande dans un article sur Ouilly-le-Basset. Elle fut pendant très longtemps propriétaire de la Seigneurie du Détroit, en même temps que d'une partie d'Ouilly-le-Basset. Chaque génération était si riche en enfants que le domaine patrimonial se divisait sans cesse pour fournir leur « légitime » aux cadets. Beaucoup de ceux-ci se faisaient prêtres et plusieurs furent curés de la paroisse. Les derniers la Lande devinrent aussi seigneurs de Sainte-Croix et en portaient le nom.

Au XVIIIe siècle il se produisit une interruption dans la série des la Lande, seigneurs du Détroit. La Seigneurie passa momentanément aux mains des de Brouard des Isles Bardel, mais après la mort de Thomas de Brossard, elle revint à Charles de la Lande de Sainte-Croix.

Le Détroit resta aux la Lande jusqu'à Charles-Constantin Aimé de la Lande de Sainte-Croix, né en 1805, mort en 1886. Il vint ensuite aux de Picquot par mariage. L'héritier du Détroit fut Sosthène-Emile de Picquot, lieutenant de la Gendarmerie d'Argentan, frère de M. de Picquot de Magny de Rapilly qui eut deux enfants: Marie-Amaury de Picquot, père de Mme Joseph de Mona, et Marie-Edith, mariée à M. de la Héronnière, le dernier propriétaire de ces ruines si intéressantes.

Les communs du château sont restés en assez bon état et contiennent encore des instruments aratoires anciens. Au bas de la cour d'entrée, à droite, se trouve encore un vieux four a pain dont la voûte de petites tuiles est restée intacte.

Un troisième château plus ancien encore aurait existé au Détroit. Voici ce qu’on peut lire à ce sujet dans le livre de Galeron : « Les vestiges d'un plus ancien château se voient encore à quelques centaines de pieds de celui-là. » Le renseignement est bien vague, mais il pourrait mettre sur la voie quelques chercheurs intéressés par les vieilles pierres. Pour moi, je n'en ai pas trouvé de trace.

L'église du Détroit n'a pas de caractère architectural spécial. Galeron nous dit seulement que c'est le curé de son époque (1820) qui en lit faire le petit dôme couvert en ardoises. Le cimetière renferme trois pierres tumulaires. Le patron de la paroisse est Saint Laurent. L'église dépendait anciennement du prieuré d'Aubigny. À l'intérieur de l'église, j'ai remarqué 2 tableaux, dont l’un, en bien mauvais état et représentant la résurrection de Lazare, serait au moins une bonne copie d'une toile de maître.

Dans le petit mur du cimetière, M. Dupré a eu l'heureuse idée de faire inclure une petite statuette de bois, fort jolie, mais qui est en train de s'abîmer par l'humidité.

Le maire, en 1620, s'appelait François Née ; ce fut certainement l'ancêtre des Née qui habitent encore la région.

Le curé s'appelait l'abbé Blondel, et Galeron fait grand éloge de son esprit conciliant. « Cet ecclésiastique rend chaque jour des services dans le pays, en prévenant une foule de procès que l'esprit un peu tracassier des habitants les portait souvent à entreprendre pour l'objet le plus frivole. »

Signalons, pour terminer, que la paroisse du Détroit a une forte tendance à se dépeupler, comme presque toutes nos paroisses strictement rurales, et que la population, qui était de 385 habitants en 1820, est maintenant de 110. Évolution fatale créée par cet état d'esprit qui tourne les jeunes vers la ville et l'usine où l'on gagne davantage plutôt qu'à cultiver la terre. Souhaitons cependant à la petite commune du Détroit de reprendre un peu de sa splendeur d'antan pour le plus grand bonheur de ses habitants.


Dr R. CORNU.




Construction des écoles


Il y a cent ans, après une lutte acharnée de plusieurs années, exactement pour la rentrée des classes de 1852, la commune d'Ouilly-le-Basset avait la fierté de pouvoir offrir à ses enfants une belle école toute neuve, sise exactement au milieu de la commune.

Je vais essayer de vous retracer, à travers les comptes-rendus des séances du Conseil Municipal, les passionnantes péripéties de cette histoire... toujours actuelle.

Comme vous le verrez, aucune difficulté ne sera épargnée à cette délicate réalisation: ni les tergiversations sur le choix et rachat du terrain, ni les insuffisances pécuniaires, ni les suspicions vis-à-vis des architectes dont on discutera le plan et le devis, ni enfin les lenteurs de la construction un an après les délais convenus avec l'entrepreneur.

C'est le jour de la prestation du serment de fidélité à Napoléon III que le Conseil Municipal votera le transfert des Archives de la Mairie dans la nouvelle Mairie-Ecole. Mais voyons-en les savoureux détails.

Après deux délibérations en date du 7 Février 1843 et du 9 Septembre 1845, dans sa séance du 21 Mai 1848, sous la présidence de M. Dieulafait, maire, le conseil municipal d'Ouilly-le-Basset décidait « de pourvoir convenablement la commune d'une maison d'école propre à recevoir la jeunesse et à loger l'instituteur ».

A cette époque, une école existait au lieu de Pont-d'Ouilly, mais elle était dans un grand état de vétusté et les habitants des villages éloignés, comme les Isles d'Ouilly et Glatigny, n'y envoyaient pas leurs enfants en hiver. La première difficulté fut donc de faire voter l'emplacement de l'école dans un endroit central, c'est-à-dire près de l’église d'Ouilly-le-Basset. Les récalcitrants furent donc les conseillers de Pont-d'Ouilly. Mais ils n'étaient que deux et tous les autres votèrent pour la suppression et la vente de l'ancienne école. Une première fois, on décida donc d'acheter à un certain François Hue deux parcelles de terrain contenant ensemble 13 ares et 20 centiares pour la somme de 1.200 fr. payable le 1er Janvier 1850, époque d’entrée en jouissance. Une enquête « de commodo et incommodo» fut prescrite par le Préfet et le Président de la Commission, M. Déchaulier, maire de Isles Bardel, ainsi que l'agent voyer, approuvèrent cet emplacement, donnant entre autres arguments que « l’école, se trouvant auprès du presbytère, M. le Curé pourrait ainsi mieux surveiller les enfants ». (Que le personnel enseignant nous excuse !).

Cependant dans une délibération en date du 2 Janvier 1849, il semble que le Conseil ait abandonné le terrain Hue pour se reporter sur un autre terrain appartenant à M. Deprépetit, terrain attenant à la route, situé dans une pièce de terre nommée le « Clos Dufour » et faisant face à une croix de granit. Le marché fut donc conclu définitivement au prix de 72 fr. l’are pour entrer en jouissance à la St Michel suivante. Ce changement de terrain se fit à l'instigation du nouveau maire, François Delaunay, et c'est lui qui mena à bien la réalisation définitive de l’école. Il était entouré de MM. Cornet-Lavallée, Plançon, Mauduit, Ribard, Théodore Lefèvre, Delabrousse, Brière, Poisson et Le Dain.

En Avril 1849, les premières estimations du prix de la construction de l’école sont de 4 à 5.000 fr. Nous verrons qu'en fin de compte, on arrivera à 10.000 Fr. Pour réunir cette somme, qui devait être assez considérable à l'époque, le Conseil Municipal décida à plusieurs reprises de vendre l'ancienne maison d'école sise à Pont-d'Ouilly et dont on devait tirer 1.000 fr. Mais les conseillers de Pont-d'Ouilly devaient s'y opposer le plus longtemps possible en alléguant que les enfants de St-Marc-d'Ouilly, dont les parents travaillaient dans une usine (l'ancienne usine Landry) fréquentaient également cette école. À quoi il leur fut répondu que la commune d'Ouilly-le-Basset « n'avait aucun sacrifice à faire pour la commune de St-Marc-d'Ouilly, sa voisine ».

Le 3 Février 1850, le Conseil délibéra à nouveau sur la question et décida par 9 voix contre 2 « de supplier l'autorité supérieure de vouloir leur autoriser la vente de cette vieille maison d'école ».

Mais cela ne suffit toujours pas, et en date du 30 Avril de la même année, il est décidé d'emprunter 5.000 fr à 5 % d'intérêt remboursable en 10 ans.

C'est le 2 Février 1851 que cet emprunt fut fait en l'étude de Me GraveIle-Desvallées, notaire à Falaise. Le prêteur fut un certain Letellier, de Falaise, et la somme fut remise entre les mains du Receveur Municipal.

Il pourrait sembler que la partie soit maintenant gagnée. Nous verrons cependant qu'il restait encore bien des difficultés à surmonter.

(A suivre).

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Si la construction de  l'école d'Ouilly-le-Basset avait donné lieu à quelques démêlés, celle de Pont-d’Ouilly alla parfois jusqu'au drame. Son histoire est vraiment passionnante. Abordons-la avec le calme que nous donne le recul des années et surtout que personne n'y trouve la moindre allusion aux difficultés qui, actuellement, nous mettent dans une situation curieusement similaire.

C'est au début de l'année 1878 qu'il faut remonter pour trouver dans les archives les premières demandes de création d'une Ecole au lieu de Pont-d'Ouilly. Nous avons vu précédemment qu'en 1852 l'école neuve d'Ouilly-le-Basset avec pièce pour la Mairie et les Archives avait été ouverte au public. Une école de filles, en bien mauvais état, hélas ! fonctionnait aussi au lieudit « Les Landes ».

Il est bien certain que les mécontents du Haut-d'Ouilly devaient souvent montrer le bout de l'oreille et que les discussions, surtout en période électorale, devaient aller bon train. En tout cas, c'est bien peu de temps après les élections municipales de Janvier 1878 que l'affaire de l'Ecole fut évoquée au Conseil Municipal. En effet l'installation de ce Conseil municipal eut lieu le 21 Janvier et c'est le 7 Février que fut prise une délibération demandant là création d'une école sur le Champ de Foire de Pont-d'Ouilly. Dès le début, deux clans adversaires se dessinent : les uns autour du Maire François Ribard sont contre le projet, les autres, les plus nombreux, sont avec l'adjoint Duros pour cette école. Il n'est pas difficile de voir à travers les comptes-rendus de séances à quel point la rivalité s'avérait sévère et parfois mordante.

Le 9 Avril, le Sous-Préfet de Falaise, qui semble être un chaud partisan de l'école, vient sur les lieux pour essayer de mettre tout le monde d'accord, mais le clan de l'adjoint possède un atout sérieux et semble le manier avec beaucoup d'habileté. Il faut, en effet, faire des réparations au presbytère. Le Maire demande qu'on fasse d'abord ces réparations. L'adjoint veut que les deux travaux soient accomplis en même  temps. D'ailleurs il a beau jeu de montrer qu'on a déjà dépensé 15.000 Francs pour la construction de l'église et « qu'il serait juste et équitable d'en dépenser maintenant 18 pour construire une école dans l'endroit qui produit les revenus ». M. le Maire fait la sourde oreille. Plans et devis sont prêts, Mais il n'en donne toujours pas connaissance à ses Conseillers. Le 8 Août ceux-ci attaquent et, par 5 voix contre 3, font voter à M. le Préfet une adresse lui demandant d'activer les choses. Ce n'est cependant que le 11 Décembre que les plans de M. Bouillard, architecte à Falaise, sont enfin soumis à la délibération du Conseil. Le devis primitif est de 17.000 francs: il est accepté par 7 Conseillers et refusé par 6 dont le Maire. Fait mémorable : à cette séance avaient été également convoqués les 5 habitants les plus imposés de la Commune. Ceux-ci habitent le bas du pays et sont favorables à l'école. Après 3 mois de réflexion, le 24 mars 1880, le Maire donne sa démission ainsi que les opposants au projet : Renouf Auguste, Delacour Louis, Hue Narcisse et Lebosq Jean-Pierre. En leur absence, le Conseil se réunit sous la présidence de l'adjoint Duros et décide:

  1. d'approuver les plans et devis;
  2. de voter les crédits;
  3. de demander un emprunt à la Caisse des Ecoles;
  4. de demander une subvention de l'Etat;
  5. de voter à l'égard du Maire démissionnaire une motion de blâme et une demande de réparation en dommages et intérêts.

Le 9 Janvier de l'année suivante, donc en 1881, la population est convoquée pour de nouvelles élections et le 20 Janvier, le nouveau Conseil se réunit pour élire son maire ; mais, nouvelle surprise, par 7 voix sur 12, c’est un nouvel arrivant qui est élu maire: Pierre Garnache, et Duros reste adjoint. Malgré tout, l'opposition est terminée. Et les travaux vont pouvoir commencer.

La lecture du compte-rendu de la séance du 9 Août 1881 nous apprend que l'Etat avait accordé une subvention de 9.000 francs et le Département 500 francs; la Commune ayant voté 17.000 francs, cela faisait un total de 26.500 francs. Dès Septembre, on s'aperçoit que la part de la Commune doit être portée à 22.000 francs.

Le 14 Février 1882 est désignée une Commission composée de MM. Duros, Delaunay et Plançon, chargée de surveiller les travaux. La construction s'élève désormais sans histoires sauf pour l'entrepreneur de maçonnerie, nommé Soyer Bazile, qui vient réclamer 2.017 francs pour démarches et intérêts d'une somme de 20.000 francs qu'il a dû emprunter lui-même pour commencer les travaux. Malheureusement pour lui, en date du 14 décembre 1882, cette somme lui est refusée par le Conseil Municipal qui lui reproche d'avoir commencé les travaux trop vite ! Que diable, il n'avait pas attendu l'assentiment des autorités et du Ministre en particulier. Il saura ce qu'il en coûte, car des personnes dignes de foi m'ont dit qu'il en avait fait faillite. Déjà une victoire de la bureaucratie !

Ainsi 30 ans après l'école d'Ouilly était surgie celle de Pont-d'Ouilly. Hélas ! en 1944, elle devait succomber à la période des combats de la Libération, exactement le 16 Août, et en attendant celle qui la remplacera, nous ne pouvons qu'évoquer sa silhouette un peu massive, mais gracieuse quand même, sur la hauteur de notre Champ de Foire.

Dr R. CORNU


Les Pompiers - La Société de Musique


 
Un mercredi d'août 1923, un incendie se déclare à la distillerie d'Octave Aupée, route de Pont-des-Vers; le grand danger venait des pipes d’alcool et d'eau-de-vie entreposées dans le sous-sol et qu'il fallait déménager.

Alerte le 4 décembre 1927 pour un début d'incendie chez M. Ersée.

Les 8-9 septembre 1928, incendie des immeubles appartenant à Maria Mézières, à Glatigny.

En 1934, le feu s'étant déclaré au Bourg d'Ouilly chez Célina Lefèvre, laquelle fut brûlée vive sur son bûcher, se communiqua aux bâtiments voisins appartenant à Ulysse Denis; le feu fut très violent et l'intervention rendue plus difficile à cause du gel (15° au-dessous de zéro). Néanmoins, seules les charpentes furent détruites et la motopompe, arrivée exactement dix jours auparavant, reçut le baptême du feu.

Seize jours plus tard, nouvelle alerte à La Cosnière, maison Maline, habitée par M. Levillain ; les secours ayant été très rapides, les dégâts furent limités.

Le 5 janvier 1935, à 5 h. 30, le feu se déclara dans le fournil de M. Panel, à Pont d'Ouilly; une intervention rapide permit de maîtriser le feu très vite.

En 1935, intervention aux Iles Bardel, chez M. Vimont, dans ses immeubles ruraux contenant paille, foin et denrées diverses ; le feu y avait été mis par imprudence.

Le 8 septembre 1935, intervention à la ferme des Minières, chez M. Guyomarch, où le feu avait été mis, par vengeance, à trois barges de grain, représentant environ 7.000 gerbes de blé, d'orge et d'avoine…

Le 1er décembre 1941, intervention chez M. Quentin, à St-Marc-d'Ouilly, dans un immeuble servant de grange et d'étable ; un bovin fut asphyxié.

Le 15 septembre 1942, la commune des Iles Bardel faisait appel pour incendie dans les communs de M. de Brossard; l'attaque du feu fut très compliquée, car des munitions étaient cachées dans les greniers et firent explosion.

En 1944, au mois d'août, lors de la retraite des Allemands, Pont d'Ouilly connut les horreurs de l'incendie, d'abord à l'école et à la mairie. Puis, dans la rue principale, le feu prit à deux places et la tâche fut rude pour le combattre, motopompe et tuyaux ayant été enlevés par les Allemands. Le lieutenant et quelques hommes de la défense passive réussirent à maîtriser le feu aux maisons Robillard, Vallée et Mauduit.

Le 9 octobre 1945, les sapeurs-pompiers furent appelés à Tréprel, chez M. Boutrois, et le 16 mars 1946, chez M. Portais, à Fourneaux.

Dans la nuit du 10 juin 1948, un orage d'une grande violence abattit l'immeuble habité par M. et Mme Duplessis, qui furent ensevelis sous les décombres. Intervention un peu spéciale qui nécessita un travail de longue haleine. Pendant 13 h.30 les  équipes déblayèrent l'immeuble pour dégager M. Duplessis, encore en vie et transporté aussitôt à l'hôpital de Falaise; Mme Duplessis fut retrouvée morte sous l'escalier.

Le 28 septembre et le 13 octobre 1949, intervention aux Iles Bardel et à Cossesseville où les hommes firent preuve de décision.

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Après avoir rendu hommage à nos braves sapeurs-pompiers, dont la Cie est toujours florissante, voyons maintenant l'histoire d'une société qui est malheureusement disparue et qui a eu, elle aussi, son heure de gloire. Il s'agit de l'UNION MUSICALE de Pont-d'Ouilly.

À une époque où les distractions étaient rares, il était naturel que l'on cherchât à s'occuper le soir d'une façon intelligente, et dès avant la guerre de 70, un instituteur d'Ouilly-le-Basset avait eu l'idée de fonder une société de Musique, mais il échoua dans ses efforts pour grouper le nombre d'instrumentistes voulus. C'est donc en 1875 que naquit la première Société de Musique dont le nom prometteur était « HARMONIE ET CHORALE DE PONT-D'OUILLY ». Le fondateur en fut un certain M. Levatois, déjà directeur de l'Harmonie et Chorale de Condé-sur-Noireau. Cet homme que taquinait le génie de la musique venait deux fois par semaine à Pont-d'Ouilly pour y diriger les répétitions. Si l'on s'imagine qu'à cette époque on ne disposait ni de bicyclette ni d'automobile, il convient de s'incliner devant le dévouement et la persévérance de ce courageux musicien. La commune d'Ouilly-le-Basset n'aidait pas la jeune société, et c'est tout juste si elle lui accordait un réduit pour ses réunions. Chaque musicien dut acheter à ses frais son instrument et chacun versait une cotisation de 10 fr. par mois (somme énorme pour l'époque) pour subvenir à l'achat des gros instruments et de la batterie, et constituer un fond de caisse qui servait en plus à payer le chef et ses frais de déplacement (ce n'était que justice), et à acheter des pupitres en bois pour les nouveaux arrivants. On avait à cette époque recours à des Membres Honoraires, que l'on cherchait aussi généreux que possible. La société prospéra en peu de temps, grâce aux leçons données à chaque instrumentiste. Pour les cuivres, le professeur était un gendarme, ancien musicien de l'Armée, lui aussi passionné de musique, nommé Jean-François Blaizot. M. Charles Martin fut nommé sous-chef, et il aidait dans la formation des joueurs d'instruments de bois : clarinettes, etc... De cette Société de Musique faisaient partie MM. Jéhenne, Arthur Gavin, Jules Lamare, Jules Peschet, Emile Vauvert, etc... Alcide Ribard, le maire, était 2e alto, Jules Pichard, 3e grande clarinette, Clovis Louvet (qui tenait à cette époque l'Hôtel dé la Grâce de Dieu), 3e alto. En tout, la société comptait 22 membres.

Quels contacts agréables ! et que la vie devait être douce à cette époque, si l'on en croit le vieux proverbe qui dit que « la musique adoucit les moeurs ». La Société donnait 2 ou 3 grands concerts par an. Cela se faisait en grande cérémonie et l'on choisissait les plus jolies quêteuses pour présenter le plateau. L'un des concerts était donné spécialement pour les Membres Honoraires. C'était alors pour chacun l'occasion de sortir ses plus beaux habits et ses plus belles parures.

Les sociétaires offrirent un piston « si bémol », en récompense des services rendus par ses leçons à la Société à M. Jean Blaizot lorsqu'il partit se retirer à la Goujardière.

Hélas ! ce départ fut la fin de la Société de Musique. Plus tard on essaya de regrouper les instrumentistes, mais ce ne fut pas pour longtemps, car la Grande Guerre vint, une fois, encore, détruire cette pacifique institution.

Pour ma part, je regrette beaucoup que Pont d'Ouilly n'ait pas sa Chorale et son Harmonie. Certes, les Jeunes de Pont d'Ouilly, grâce à l'énergie et à la ténacité du dévoué M. Bessac, continuent d'entretenir une Clique qui est notre fierté, mais la Musique d'instruments, telle que la concevaient nos anciens sociétaires de 1875, serait un charme de plus pour notre pays. Et les jours des grandes fêtes, dans notre église trop souvent réduite aux sons de son harmonium, choeurs et instruments rehausseraient agréablement la pompe et l'éclat des fêtes religieuses comme des fêtes populaires.


Dr R. CORNU.




Musique (fin) - L'usine de La Pautiche



Depuis mon dernier article consacré à la Société de Musique, j'ai eu l'occasion d'apprendre que M. Jéhenne, dans ses mémoires, n'avait pas mentionné, par modestie, son propre travail. Le souci de la vérité m'oblige donc à reprendre à nouveau ce sujet.

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Après le départ de M. Blaizot, ce fut M. Jéhenne qui fut nommé président de la Société de Musique. Sous sa direction, elle prit part à différents concours et remporta le Prix d'Honneur et d'Excellence. En 1890, les membres de la Société offrirent à. M. ]éhenne un très beau bâton de chef d'orchestre.

Bien que rentrant très tard de ses tournées, il faisait fréquemment répéter les jeunes gens, prenant à coeur de copier lui-même les partitions et transposant pour chacun, selon les instruments.

Plus tard, très gêné par l'emphysème, il dut abandonner le piston et se consacra au violon.

II forma un orchestre de mandolines, mandoles, clarinettes et flûtes, et initia avec beaucoup de patience à ces instruments agréables de nombreuses jeunes filles et de nombreux jeunes gens. Le Docteur Paté, excellent pianiste, ne dédaignait pas de les accompagner et tandis que le pharmacien Baslé tenait la partition de flûte, M. Toutain, directeur de l'usine Landry, jouait au saxophone. La déviderie de MM. Landry frères servait de salle de concert. Elle pouvait contenir 300 personnes; on y avait monté une scène et aménagé des bancs en gradins. Le petit appartement qui est accolé à ce bâtiment servait de salle de répétitions.

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Nous allons maintenant essayer de passer en revue l'histoire des grands établissements industriels de Pont d'Ouilly et de la région.

Voici d'abord quels furent les débuts de l'usine de la PAUTlCHE. Il y a cent ans, un bâtiment d'usage industriel, situé sur la route de Condé-sur-Noireau, à l'emplacement de l'usine actuelle, appartenait à un certain M. Roger. C'était une filature de coton comme on en voyait à cette époque un peu tout au long de la vallée. Une partie du bâtiment fut détruite par un incendie qui réduisit une première fois l'usine à l'inaction.

Longtemps fermée, elle fut reprise par un nommé Legendre qui la transforma en minoterie. Ce fut alors une nouvelle période de prospérité, car la minoterie était importante; mais le 10 septembre 1878, un nouvel incendie vint à nouveau ravager les constructions et faire pour 160.000 francs de dégâts, ce qui devait représenter à cette date une très grosse somme.

En 1879 l'immeuble resté inhabité fut acheté par MM. Pernelle frères, qui convertiront l'usine en tissage mécanique. Pendant plusieurs années, le tissage fut en pleine activité, mais la malchance et l'insuffisance des moyens de sécurité de l'époque firent que le 9 juillet 1894 le feu vint à nouveau détruire la moitié de l'édifice. Courageusement les frères Pernelle firent les réparations nécessaires, mais ils durent cependant céder la place à une Société constituée par MM. Nérou, Dumont et RobiIlard, de Condé-sur-Noireau. Ne s'entendant pas avec la Société, les frères Pernelle quittèrent la Pautiche pour aller fonder le tissage de la Fouillerie à Mesnil-Villement (l'actuel tissage de Pont des Vers) dont les débuts remontent au 25 octobre 1895.

Pendant la guerre 1914-18, une partie de l'usine de la Pautiche avait été convertie en scierie mécanique et exploitée par l'usine de M. Rebours. Après la guerre, le Tissage fut repris par une Société du Nord pour la fabrication de toiles, mais il ne put occuper qu'un petit nombre d'ouvriers. D'octobre 1923 à juin 1924, les ouvriers furent licenciés et l'usine ferma à nouveau ses portes. Ce fut pour y installer du matériel plus moderne, et à la réouverture, un plus grand nombre d'ouvriers furent embauchés.

La Société Dikson Walraw fit tourner les métiers pour son compte pendant quelque temps, mais les affaires étaient dures et, une nouvelle fois, les portes se fermèrent et l'usine dut rester en sommeil de 1925 à 1928.

Enfin, le 2 février 1928 se fondait la Société des Tissages de la Pautiche, propriété de M. Leportier, qui, sous l'impulsion d'énergiques directeurs, M. Légier d'abord et M. Lhernault ensuite, devient une affaire toujours plus moderne et toujours plus florissante.


Dr R. CORNU.






Le Château Ganne



Petit à petit nous avons étudié à peu près tout ce qui est intéressant dans notre pays. Si par hasard quelques nouveaux documents nous tombaient sous la main, nous reviendrions en arrière pour vous en donner connaissance.

Nous allons donc sortir maintenant de notre commune et jeter un regard sur quelques sites ou châteaux intéressants des alentours de Pont-d'Ouilly. C'est ainsi qu'après nous être promenés sur le territoire de la Pommeraye pour y admirer les ruines du château Ganne, oeuvre du IXe siècle, nous irons à Ségrie-Fontaine repérer les ruines d'un château qui ne vécut que quelques années avant la Révolution, et enfin à la Forêt-Auvray où d'autres ruines mieux conservées attendent aussi le visiteur.

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Mais commençons par le château GANNE. Il est situé à 6 km. à peine de Pont-d'Ouilly, à gauche de la route de Caen. C'est une propriété privée appartenant, ainsi que le petit château moderne de la Pommeraye, à M. Michelon qui l'avait acheté peu avant la guerre de 1939 à M. Pollet, industriel du Nord.

On y accède soit par la grande allée du château que l'on quitte pour aller sur la gauche, soit par le chemin qui redescend vers le village du « Jardin » de Cossesseville. La première impression, en pénétrant dans un fouillis inextricable de ronces et de branchages, est plutôt pénible. C'est ainsi que l'on distingue assez difficilement une première enceinte fortifiée qui longe le chemin, puis on arrive à une deuxième enceinte déjà plus visible et l'on franchit un fossé sur un petit pont. Ce pont, assez gracieux et romanesque, a certainement remplacé l'ancien pont-levis qui gardait l’entrée du château. Le décor devient alors tout à fait grandiose; au milieu d'une allée de grands arbres poussés là au hasard, se dessine la silhouette encore très majestueuse du vieux château Ganne, la plus vieille forteresse de tout le pays.

Ce château est situé sur une éminence naturelle, mais invisible de la route ni d'aucun chemin tant il est enfoui dans les chênes et les sapins. Les arbres ont envahi jusqu'à ses ruines et mettent à mal ce qui reste d'une architecture des plus curieuses.

C'est là le berceau de l'architecture normande la plus pure qui donnera naissance par la suite aux merveilles de l'Italie du Sud et de la Sicile. Les pierres utilisées sont petites et plates et, fait significatif, elles sont agencées « en arête, de poisson ». La motte qui supportait le donjon est ronde, elle est entourée de fossés profonds. Les constructions restantes forment comme un vestibule très spacieux aux murailles fort épaisses sur lesquelles sont suspendus de grands arceaux en plein-cintre. L'ensemble n'est ni roman ni ogival, quoique les portes du donjon rappellent plutôt le roman.

Le décor est vraiment féerique et l'on comprend que l'âme poétique de l'Abbé Delacotte ait aimé à faire revivre ici le drame un peu fabuleux de Ganelon et de sa fille. Pour nous en tenir à l'histoire, le plus ancien possesseur connu de ce domaine fut Gosselin de la Pommeraye, fondateur et principal bienfaiteur de l'abbaye du Val, dont la dernière branche existante est fondue par alliance au commencement du XVIIe siècle, avec la famille de Brossard des Isles-Bardel. On raconte qu'un souterrain existait qui reliait ce château Ganne au château d'Ouilly; il est bien difficile de savoir dans ce cas la vérité. Ce qui est certain, c'est qu'il devait exister des cachettes et des cachots sous la terre; quant à relier un château à un autre en passant sous une vallée, cela est tout à fait invraisemblable, mais contribue à auréoler ces belles ruines d'une atmosphère de légende qui leur sied à merveille.


Dr.R. CORNU.







Le Château de Ségrie-Fontaine



Continuant notre promenade autour de Pont d'Ouilly, nous allons nous pencher sur l’histoire d'un château aujourd'hui disparu, le château de Ségrie-Fontaine.

De tous les points un peu élevés de notre Région, on aperçoit un bouquet d'arbres dont la masse un peu sombre est un point de repère facile. C'est là que s'élevait, avant la Révolution, l'un des plus splendides châteaux de tout le Bocage Normand.

Un peu au-dessous, dans un virage de la route qui mène de Ségrie-Fontaine à la Lande-St-Siméon existe le « Logis », vieux manoir du XVe siècle qui garde encore une grande allure avec sa porte voûtée et ses grands escaliers de pierre. Le « Logis » était l'antique demeure des Seigneurs de Ségrie. Le mot vient de « Loge » qui, dans le vieux français, signifiait « habitation seigneuriale », d'où ce nom de « Logis » et celui de beaucoup de localités dites « les Loges » (comme les Loges-Saulces).

Les constructeurs du Logis de Ségrie-Fontaine furent les Rupierre qui devinrent, au XVe siècle, les seigneurs des terres de la Lande et de Ségrie. Au XVIIe siècle, Ségrie-Fontaine fut érigé en marquisat au profit de Nicolas de Vanembras. En 1733, un noble de souche récente, Fouasse de Noirville, achetait Ségrie-Fontaine et y joignit, en 1738, la baronnie de Rouvrou.

Les Fouasse étaient originaires de Falaise où leurs ancêtres s'étaient enrichis dans le commerce. Ils s'anoblirent rapidement, grâce à leurs écus.

Les de Noirville s'installèrent donc d'abord au Logis de Ségrie et Pierre-Anne-Alexandre Fouasse de NoirviIle, lorsqu'il mourut à 58 ans, le 23 août 1763, fut inhumé dans l'église de Ségrie.

C'est son fils, Noël-Anne-Alexandre qui, se trouvant trop inconfortablement installé dans le Logis, décida de construire le fabuleux château qui nous intéresse. C'était un seigneur dur pour ses paysans et terriblement prétentieux. Sa femme mourut dans le vieux Logis, en 1772, laissant deux enfants.

Le marquis de Noirville résolut de remplacer le vieux manoir paternel par un grand château moderne. La construction commença en 1786. En trois ans, le travail était suffisamment avancé pour que le marquis s'y installe avec ses enfants. C'était un véritable palais. Voici comment le décrit M. Macé dans « Ségrie-Fontaine... Dernières années ». Flers 1910, d'après des souvenirs de témoins:

« La nouvelle résidence du marquis de Ségrie était immense et magnifique. Elle contenait, sur ses 4 faces, 104 appartements. On prétendait que le château avait été bâti sur le modèle de celui d'Harcourt qui avait, disait-on, autant de fenêtres qu'il y a de jours dans l'année. Ses salons étaient remplis de splendeurs. À côté du château se déroulait une vaste galerie où la jeunesse pouvait s'ébattre à loisir, lancer la paume, s'exercer à l'épée et, ce qui paraissait aux vieillards le comble du luxe, jouer aux quilles...

« À gauche, se voyait la longue terrasse ou promenade sablée qui avait été dressée à grands frais aux flancs de la roche et entourée de murailles voûtées qui permettaient d'aller, sans sortir, du bas du château et à la chapelle. Les longs souterrains existent encore en plusieurs endroits. Ils étaient soigneusement construits... Etc. »

Hélas ! toutes ces merveilles ne devaient pas subsister longtemps. On était, en effet, aux plus tristes jours de l'année 1789, la disette sévissait et la Révolution grondait. M. le Marquis de Ségrie, qui avait toujours été très dur pour ses gens, s'en rendit bien vite compte. À vrai dire, les seigneurs eurent peu à souffrir de la Révolution et le comte de Brossard des Isles Bardel, par exemple, put rester dans son château sans être autrement inquiété. Mais les insolences de M. de Noirville étaient connues et l’on cite certains faits qui le rendent particulièrement antipathique. Voici ce que raconte M. de Caix de Saint-Aymour au sujet de notre marquis:

« On prétendit, après coup, qu'un jour quelqu'un lui parlant de la disette qui régnait alors et de la misère de ses vassaux, il aurait répondu avec désinvolture : « S'ils ne peuvent manger du pain, qu'ils mangent de... [l'impossible] ! » , traduisant par ce mot un autre vocable que Cambronne rendit plus tard célèbre, mais qui ne pouvait trouver place sur les lèvres d'un gentilhomme bien élevé. On voit dans quel état d'esprit pouvaient être les manants et les paysans qui n'attendaient que le moment de la vengeance.

Toujours est-il que le 14 juillet 1789m il fut surpris à l'improviste dans son château par une multitude furieuse, armée de fusils, de faux, de haches et de fourches. Le château fut pillé et avec les papiers et les parchemins du marquisat, on alluma un feu de joie. Mais laissons encore la parole à M. de Caix:

« Inutile de dire que la cave avait été l’une des premières parties du château visitées. Pour se donner du cœur, les envahisseurs buvaient à qui mieux mieux. Quand tous furent gris, ou à peu près, et qu'ils eurent tout cassé et mis en pièces, ce fut le tour du marquis qui, sous les injures et les imprécations, assistait, désolé, au saccagement de la maison qu'il avait orné avec tant d'amour. Se jetant sur ce sexagénaire impuissant et désarmé, ils le bousculèrent et le frappèrent avec violence. Quelques-uns. se souvenant du mot stupide prêté au marquis et joignant la dérision à la cruauté, lui barbouillèrent les lèvres d' [impossible]. »

À la fin de la journée, s'échappant de ses bourreaux, il réussit à se cacher dans le souterrain. Mais comment en sortir ? Comment traverser les campagnes sans être reconnu et arrêté ? C'est son fidèle serviteur Jules Voisin (appelé Joseph dans le « Bocage Normand ») qui le sauva. Il devina que son maître devait s'être réfugié dans le souterrain qu'il était l'un des seuls à connaître et, la nuit même, il y pénétra.

Accablé par les émotions de la journée, le marquis dormait d'un sommeil lourd. Le serviteur lui touche le bras, l'éveille doucement et lui dit de le suivre. Dans la nuit, il le conduisit à une cachette située à une trentaine de mètres au-dessous des Roches d'Oëtre, dans un lieu dénommé la Grotte aux Fées. De là, quelques jours après, il l'emmena aux Isles Bardel où, d'après certains, il fut arrêté et malmené à nouveau, et d'après d'autres, reçu et caché par les de Brossard avant de rejoindre Falaise. Il devait mourir en émigré à Trieste.

« Quant au château, nous raconte M. de Caix, il fut saisi par les autorités révolutionnaires. Ce qui restait du mobilier fut vendu en octobre 1792. Un ennemi juré du marquis, le nommé Jean Lainé, de Rouvrou, acheta les bois qu'il dévasta et loua le château et la basse-cour. Au lieu d'entretenir le château, comme il y était tenu par son bail, il le dégrada tant qu'il put, ne réparant pas les toitures et en enlevant portes et fenêtres. Ce n'était plus qu'une ruine lorsqu'il fut mis en vente en 1797. Laîné le racheta et c'est alors qu'il le démolit méthodiquement, en ne laissant que les fondations que l'on peut voir encore.

Fort heureusement cette rage de démolition respecta le vieux Logis du XVe siècle qui, grâce à ses transformations en bâtiment de service puis en ferme, est arrivé jusqu'à nous. » À Pont d'Ouilly, ce Logis trouve encore des admirateurs en la personne de certaines dames férues de poésie et d'ancien.

Dr R CORNU.




Pierrefite-en-Cinglais


Pour terminer notre périple historique et anecdotique sur Pont-d'Ouilly et ses environs, nous allons rendre visite à nos voisins de Pierrefitte-en-Cinglais, vaste commune aux terres riches, aux crus de pommes très renommés, et dont l'histoire repose sur des bases authentiques très anciennes.

C'est au XIIe siècle que l'on trouve les premiers indices concernant l'existence de Pierrefitte. Le nom vient de « Petra ficta », pierre fichée, probablement parce que, aux temps druidiques, il existait là un menhir qui servait de lieu de culte et de pèlerinage. Cette pierre a maintenant disparu.

Le premier seigneur du nom de Pierrefitte dont on retrouve la trace serait un certain Vautier de Pierrefitte, qui signa, en qualité de témoin, une charte de Gosselin de la Pommeraye en faveur de l'abbaye de N.-D. du Val.

Sur le territoire de Pierrefitte, on retrouve plusieurs habitations seigneuriales. Le château des Cours est certainement le plus représentatif de tous, sans être le plus ancien. Avec les communs et les fermes qui l'entourent, ce château a réellement belle allure, et la vue que l'on peut avoir de ses fenêtres sur la vallée de l'Orne est très imposante. Ce château est encore actuellement habité par Mlle de Mésenge, dernière représentante de la très ancienne famille des de Pierrefitte, et arrière-petite-nièce de Thomas de Brossard, écuyer, dont le tombeau était situé dans le cimetière de l'église de Pierrefitte. Les pierres de ce tombeau auraient servi, à la fin du siècle dernier, à construire le presbytère.

L'églisé elle-même, bien mise en valeur par sa situation au centre d'une vaste place en forme de carré, est du XVIIIe siècle. Elle a le privilège de posséder un très beau retable orné de colonnes qui provient de l'abbaye du  Val. Dans le cimetière de l'église de Pierrefitte on aurait, au siècle dernier, découvert (ou amené d'un village de Pierrefitte), un sarcophage mérovingien contenant des armes. Ce sarcophage aurait, par la suite, été placé dans un musée d'antiquités, à Caen ou à Rouen.

Sur la route, en direction de St~Clair, dans un paysage encore plus merveilleux que celui du château des Cours, se trouve le manoir de Mathan. Cette habitation très surélevée et précédée d'une grande cour très dégagée faisait certainement figure de château au Moyen Age. De ce manoir partit une famille dont les ramifications furent grandes. La famille de Mathan était connue et réputée. Les plus célèbres furent Claude de Mathan qui, en 1726, épousa une dame de Corday et en eut un fils, Pierre, chevalier, seigneur de Pierrefitte, comte de Mathan. Ce Pierre de Mathan fit construire à grands frais, vers 1760, le château de Carabillon, auprès de Falaise. Il mourut peu avant la Révolution, sans enfant, et couvert de dettes, de sorte que son château, ne trouvant pas acquéreur, fut vendu et dévasté.

Quittons le lieu de Mathan et poussons un peu plus loin, sur la route qui va de St-Clair à Bonnoeil. Là encore on retrouve une maison seigneuriale au lieu dit la Boissée. Les armoiries sont encore sur la façade et sur la cheminée à l'intérieur de la maison actuellement habitée par M. Lebailly. La maison voisine, qui appartient à M. Nérou, possède elle aussi des vestiges fastueux, qui montrent que l'origine en est seigneuriale : lambris, vastes salles maintenant coupées par des cloisons, plafonds somptueux.

On raconte que les seigneurs de la Boissaye y avaient installé une verrerie et il n'est pas rare de retrouver dans les parages, en fouillant un peu, des récipients en verre grossier, d'une teinte jaune et verte, qui proviennent de cette fabrique. La verrerie était en effet l'un des seuls métiers qui étaient permis aux familles nobles. Un antiquaire des environs possède encore des spécimens de verres et des statues fabriqués à la Boissée. La maison Nérou fut occupée au moment de la Révolution par un certain M. de Harrivel, parent des de Brossard.

Si on revient vers la vallée, on trouve encore, sur le territoire de Pierrefitte, plusieurs maisons de type seigneurial, telle la maison de la Forestelle, occupée par M. Bréard, et le petit château de la Milvaudière, lui aussi très bien situé et délicieusement entouré d'arbres.

Tous ces manoirs et vieilles maisons, ainsi que les nombreuses autres que je n'ai pas décrites, donnent à la commune de Pierrefitte-en-Cinglais, un aspect bien spécial qui n'a rien de commun avec notre Pont~d'Ouilly, mais où l’on sent passer le vent de la chouannerie normande et des conspirateurs de l’époque révolutionnaire dont on pourra parler plus tard, si nos occupations nous le permettent.

Dr R. CORNU



Légendes



Quittons momentanément les sûrs chemins de l'Histoire pour nous promener dans les frais sentiers de la Légende. En cette période d'e Noël, cela aura une allure de conte tout à fait de circonstance.

Quand je dis légende, je ne veux pas nier la part de vérité toujours possible et même vraisemblable dans ces récits anciens. Ce sont des contes merveilleux qui font partie de notre tradition ancestrale et nous devons y tenir autant qu'à ces vieilles pierres du pays dont je vous ai toujours entretenu jusqu'ici.

Parmi ces belles légendes anciennes, certaines nous touchent de très près. Je les ai recueillies pour vous dans un livre charmant intitulé: « Le Bocage Normand ». Il y est souvent question du déplacement spontané des images et des statues. En voici deux cas un peu similaires.

Chacun de nous connaît le pèlerinage de Notre-Dame des Tourailles, mais peu connaissent la légende de son installation et la miraculeuse découverte de sa statue.

« Un jour un paysan qui conduisait sa voiture dans un chemin que souvent il fréquentait, la vit s'arrêter tout court, et malgré les excitations qu'il leur prodigua, ses chevaux ne purent démarrer. Force lui fut donc d'aller chercher du renfort, et d'autres chevaux furent adjoints à ceux de l'attelage ; ce fut en vain: la voiture demeura en place. Le charretier s'imagina alors, par suite sans doute d'une inspiration venue d'en haut, de creuser le sol devant les roues. Il ne tarda guère à rencontrer une large pierre qui fut soulevée, et sous laquelle on vit avec étonnement apparaître une image sculptée de la Mère du Christ. Elle fut recueillie avec un pieux respect et placée dans la chapelle qu'on lui éleva sur le bord du chemin, en face de l'endroit où elle avait été découverte.

Plus tard, on voulut la transporter dans l’église paroissiale, mais le lendemain du jour où elle avait été déplacée, elle fut retrouvée devant la porte de sa chapelle. On respecta sa volonté, et elle y fut replacée. »

Vraie ou fausse, cette légende est charmante et mérite d'être retenue. Celle de Saint Roch nous touche encore de plus près et, quoique un peu semblable à la précédente, possède une saveur de vieux terroir absolument délicieuse.

« Saint Roch, dont la chapelle s'élève sur la route de Condé à Falaise, à Saint-Marc d'Ouilly, est fort populaire. Une fontaine renommée se trouve auprès et l'on prétend que Saint Roch vint jadis y laver ses plaies pour les guérir. Un jour, la statue du patron fut transportée dans l'église de Saint-Marc, mais durant la nuit elle revint devant la porte de l'oratoire, où le matin on la retrouva. Devant ce prodige, on reconnut la volonté du Saint de rester dans sa demeure primitive et l’on se hâta de l'y replacer. »

Pour nous, nous avons tout lieu de nous réjouir de cette circonstance extraordinaire qui nous a conservé notre élégante petite chapelle et son Pardon annuel.

Une autre légende pleine d'intérêt local est celle de la construction de l'église de Saint-Pierre-la-Vieille; on la rencontre d'ailleurs en d'autres points du Bocage. Le merveilleux s'y allie au meilleur sentiment de foi médiéval. Voyez plutôt:

« Dans les communes de Saint-Pierre-la-Vieille et La Villette, on remarque les traces d'un vaste établissement gallo-romain qui s'élevait au lieu dit: Les champs de la ville. Partout la charrue y rencontre des substructions, murs d'habitation, pavage de rue, mare pavée, puits, murs de brique, etc.

Or dans la contrée on raconte que ces vestiges sont ceux d'une ville plus grande que la ville voisine, Condé, et qu'elle disparut dans une catastrophe attribuée, comme d'usage, aux Anglais. La tradition locale parle de trésors cachés, levés il y a quelques années par des voyageurs anglais, et elle ajoute que, lorsqu'il s'agit de construire l'église de la Vieille, on avait choisi pour son emplacement un des champs jadis occupés par la ville disparue. L'enceinte fut tracée, les matériaux abondèrent, l'oeuvre fut poussée avec ardeur, et bientôt l'édifice surgit du sol. Mais un matin, en arrivant à leur ouvrage, les ouvriers virent avec surprise que des murs construits il ne restait pierre sur pierre. Tout avait été renversé, détruit jusqu'aux fondements, comme par un ouragan, et dispersé pendant la nuit. Ils se remirent au travail et quelques jours après, les murs renversés étaient relevés. Ce fut inutilement encore; un matin, ils trouvèrent tout anéanti comme la première fois. Une autre tentative ne fut pas plus heureuse et, découragés, les ouvriers résolurent de renoncer à leur entreprise.

Mais le maître maçon, éclairé par une inspiration divine, s'écria que Dieu sans doute ne voulait. pas que sa maison s'élevât sur l'emplacement maudit de la ville païenne. Alors il saisit son marteau, se signa, fit une prière et lança son outil devant lui, en annonçant que, là où il tomberait, là s'élèverait l'édifice chrétien.

Le marteau sembla soutenu dans sa course par une force surnaturelle, et alla s'abattre assez loin. On le trouva auprès d'une vieille femme qui filait sa quenouille en paissant ses brebis. L'enceinte de l'église fut tracée en cet endroit, le travail fut poursuivi sans encombre jusqu'à son entier achèvement.

L'église fut dédiée à Saint Pierre et, pour marquer l'événement miraculeux qui avait déterminé le choix de son emplacement, on ajouta le nom de « la Vieille » à celui du patron, en mémoire de la vieille bergère. »

On raconte que, pour le choix de l'emplacement de l'ancienne église de Cahan, des événements semblables se seraient déroulés et que, là aussi, plusieurs fois un terrain malencontreux dut être abandonné. Ce terrain serait celui de la Croix de Carroué, et une vieille légende raconte que la nuit on y voit des apparitions d'animaux fantastiques.

A Pont-Erembourg, il existe aussi une très vieille légende concernant des animaux fantastiques. La chapelle y est dédiée à Saint Martin des Champs et la nuit, des chevaux superbement harnachés viennent s'y offrir d'eux-mêmes aux voyageurs. Ils les emportent alors dans une course folle puis les précipitent du haut des roches de Pont-Erembourg. Cette légende populaire a été consignée par Mlle Amélie Bousquet dans « La Normandie merveilleuse » .

Pour terminer je veux encore vous citer la très curieuse légende qui se rapporte à la même chapelle Saint Martin et que l'on peut lire dans le « Bocage normand ».

« Deux voyageurs étant venus passer dans ce lieu redouté vers l'heure de minuit, aperçurent l'église tout illuminée à l'intérieur. Ils entrèrent et trouvèrent un prêtre à genoux au pied de l'autel et répétant sans cesse: Dominus vobiscum. Par une prudence sagement calculée, nos deux voyageurs ne trahirent pas leur présence, retournèrent sur leurs pas et allèrent réveiller le curé pour lui faire part du prodige dont ils avaient été témoins. Or le pasteur de Méré ayant dans son bedeau un conseiller habituel, jugea à propos de l’appeler à son aide dans cette périlleuse circonstance. Le brave Mesrouze, (ainsi se nommait le bedeau) indigné qu'on eut pénétré dans l'église et disposé du luminaire sans son consentement, courut en toute hâte sur le lieu du délit, suivi d'une partie du village, déjà en émoi.. Cependant nul autre que Mesrouze n'osa d'abord franchir le seuil de l'église. Dans ce moment, le prêtre répétait encore son interminable Dominus vobiscum. Entraîné par la force de l'habitude, le bedeau répondit aussitôt: « Et cum spiritu tuo ». Le revenant trouvant auprès de lui l'homme de bonne volonté que depuis si longtemps il attendait, commença la messe qui lui fut répondue religieusement jusqu'à la fin par Mesrouze, Après le dernier évangile, le prêtre se retourna vers l'assistance et déclara qu'ayant pu, grâce à l'intervention officieuse du bedeau, s'acquitter de la messe que de son vivant il avait promise, aucun empêchement ne s'opposait plus à ce qu'il entrât en partage de la béatitude céleste. »

Comme vous le voyez, tout cela se termine absolument comme dans un conte de Noël !

Dr R. CORNU.


 Filatures dans les vallées de la Suisse Normande



Poursuivons, si vous le voulez bien avec le Comte de la Ferrière-Percy, l'étude du développement de l'industrie dans notre région et voyons d'abord comment l'utilisation du coton a rénové la technique du tissage depuis le XVIlle siècle.

Le tissage du coton fut introduit à Rouen en 1701. L'Angleterre nous avait, sur ce point, largement devancés. Cette fabrication était établie à Manchester depuis l'année 1641 et en était arrivée à filer et tisser, dès 1678, 900.000 kilos de coton.

Le hasard fut pour beaucoup dans le premier essai tenté en Normandie : un négociant, nommé Delarue, ayant acheté 40 balles de coton anglais, ne trouvait pas à s'en défaire. Il imagina de faire filer ce coton. Pour ce faire, il s'adressa à des passementiers ; mais sur leur refus, il eut recours aux toiliers. Dans leurs mains, le coton devint la trame d'une nouvelle étoffe dont la soie forma la chaîne et qui reçut à son début le nom de « siamoise » qu'elle a gardé depuis.

L'essai fut heureux; la fantaisie et le caprice en varièrent à l'infini les dessins; le coton se maria au lin, à la laine, à la soie. Des droguets quadrillés, on passa aux damiers. aux croix de Malte, aux zigzags, aux grains d'orge; puis vinrent les rayures, les carreaux, les étoiles, les basins à double chaîne de fil et de soie.

L'industrie du coton fut reconnue officiellement en 1718 et en 1726, elle obtint les honneurs de la halle, fut assimilée à l'industrie des toiles et soumise comme elle à la visite et à la marque de fabrique.

La première condition du succès dépendait de la bonne condition de la matière première. Nous tirions alors en grande partie le coton de nos colonies françaises de l'Amérique ; on l'emballait mouillé pour lui donner plus de poids, mais il s'échauffait durant la route et nous arrivait détérioré. Les syndics de la Chambre de Commerce de Rouen portèrent plainte et provoquèrent l'ordonnance du 29 novembre 1729, qui prescrivait l'emballage à sec du coton, obligea les négociants des îles françaises à la marque de fabrique à l'extrémité de chaque balle, et défendit aux capitaines de recevoir sur leurs navires des balles de coton non marquées. Il restait encore à se défendre contre la concurrence de l'Angleterre qui allait nous disputer le coton jusque dans nos propres colonies.

Des taxes et des droits très élevés durent être institués pour freiner l'entrée en France des cotons de la Compagnie des Indes et des tissus fabriqués à l'étranger.

La filature du coton fut introduite à Falaise et dans les communes environnantes vers 1740, et en 1785, on comptait en Basse-Normandie près de 50.000 ouvriers. Il est vrai qu'en ce temps-là non seulement les femmes, mais même des enfants de 6 à 14 ans travaillaient dans l'industrie textile qui était alors tout à fait rudimentaire. C'était l'époque du rouet ou de la petite machine appelée « jenny ».

Après la Révolution survint un premier perfectionnement sous la forme de « mull-jenny » machine d'origine anglaise qui opérait à la fois l'étirage, la torsion et le renvidage du fil. En 1806, Richard Lenoir introduisit ces machines à la filature d'Aunay. Quelques années après, Jacques Guilet les importait à Condé-sur-Noireau. En 1813, la filature de Basse-Normandie mettait en œuvre plus de 8 millions de kilos de coton.

Malheureusement nos désastres de la fin de l'époque napoléonienne mirent un grand fléchissement dans notre industrie au profit des Anglais, d'autant plus que le lieutenant-général du Royaume ayant cru devoir suspendre les droits élevés dont l'Empereur avait frappé les cotons étrangers, il s'ensuivit une dépréciation énorme. L'homme que l'on peut regarder à juste titre comme le fondateur de la filature mécanique en France et qui, à lui seul, faisait marcher sept filatures et employait onze mille ouvriers, Richard Lenoir, sombra dans cette tempête industrielle.

Le Gouvernement de la Restauration comprit alors son erreur et, par la loi du 28 avril 1816, rétablit les droits réservant le marché français à la fabrication française. C'est un négociant de Condé, R. Calais, qui convertit le premier en une filature mue par eau, un moulin à blé qu'il possédait dans la vallée de Condé. Mme Yves Bazin-Duclos suivit cet exemple et vers 1818, s'établit à Planquivon au lieu même où était situé, jadis, l'ancien moulin banal de la Seigneurie de Launay. Peu après, M. Hardy de la Heuzelière se fraie, à coups de mine, un passage à travers des rochers de granit et vient jeter les fondements de la belle usine de la Martinique où furent installés, en 1855, des métiers perfectionnés venus d'Angleterre.

Tout semblait alors favoriser l'introduction du tissage et des filatures dans nos belles vallées et les forces hydrauliques, restées jusqu'alors sans emploi, n'attendaient que la volonté et l'intelligence de l'homme pour multiplier à l'infini sa puissance.

« L'Orne et le Noireau, la Rouvre et la Vère constituaient d'inépuisables ressources de force, et la population ouvrière, rompue par la fabrication des toiles à la pratique du tissage, se transmettait de génération en génération cette habileté et cette délicatesse de main, déjà si remarquable au XVIIIe siècle que les Anglais préféraient à cette époque les chaînes de fil fabriquées à Condé et à Athis à celles que leur envoyait l'Allemagne ».

Voilà donc les causes déterminantes de la rapide transformation d'un pays agricole en en un pays industriel, disait déjà en 1858 le Comte de la Ferrière-Percy.


Dr R. CORNU.



Le manuscrit de M. Jehenne


Grâce à l'obligeance de Mme Iragne j'ai pu prendre longuement connaissance du journal écrit par M. Jéhenne, son frère, sur les habitants de Pont-d'Ouilly. J'ai pensé que beaucoup des documents qui sont contenus dans ce journal pouvaient vous intéresser et je me suis donc permis d’y puiser largement pour continuer mon étude de la petite histoire régionale.

C"est en 1923 que M. Jéhenne écrivit ses « Souvenirs d’Histoire de Pont d'Ouilly ». Il s'agit d’un manuscrit illustré de cartes postales datant de l'époque de 1900 (photographies prises par M. Prunier, 1er clerc de Me Buret, notaire).

M. Jéhenne y fait la description de chaque maison et de ses habitants. C’est donc une chronique vivante et bourrée de renseignements du plus haut intérêt local. Je souhaite que ce livre qui n'existe qu'à un seul exemplaire survive encore longtemps à toute destruction comme il a survécu aux désastres de la dernière guerre...

Certains chapitres méritent une attention toute particulière. Voici par exemple ce que dit M. Jéhenne de l'Usine de Bonneterie...

« L'usine de Bonneterie appartenant à MM. Landry Frères fut achetée par eux À M. et Mme Delalande de Condé-sur-Noireau, à l'héritage de leur grand-père, M. Pélier dit Duverger, le 17 avril 1903. Cette usine construite sur pilotis avait remplacé un vieux Moulin que l'on voit encore sur les vieilles gravures de l'époque; elle avait été construite à deux périodes différentes et l'on peut, en faisant attention, voir que l'usine a été agrandie du côté sud.

L'usine était exploitée, il y a plus de 60 ans, par M. Pélier-Duverger qui la loua à M. Hauville, lequel l'exploita longtemps comme filature de coton. Ce fut ensuite M. Huvet qui succéda à M. Hauville après l'incendie du Moulin Neuf en 1883. Mon beau-père (le beau-père de M. Jéhenne), M. Pierre-Louis Marie y était contremaître et logeait à l'usine jusqu'à l'époque où elle cessa d'être une filature.

La cheminée en briques qui existe dans la cour ne sert plus à rien, la machine à vapeur n'existant plus (elle a été vendue). L'usine fonctionne au moyen d'une grande et d'une petite roues actionnées par la chute d'eau. »

Sur l'ancienne chapelle de Pont-d'Ouilly on trouve aussi des renseignements fort intéressants dans les notes de M. Jéhenne:

« La vieille chapelle fut bâtie ainsi que l'usine sur pilotis. On ne connaît pas au juste l'origine de cette chapelle, laquelle a toujours servi au culte catholique. (Dans le cartulaire de l'abbaye de Fontenay, il est dit que « l'autre chapelle sous l'invocation de Saint-Gilles est au Pont-d'Ouilly... Elle est citée comme chapelle dans un acte du XIIe siècle. »)

On enterrait autour d'elle les morts du bourg jusqu'à l'époque où le cimetière que l'on nomme « les Ficars » fut acheté. Il fut inauguré et béni par Mgr Hugonin, évêque de Bayeux, en 1865 ou 1866. Pendant de longues années, cette chapelle était desservie par un abbé ou vicaire, lequel était subventionne par notre côté d'Ouilly qui versait une somme à ce sujet : 200 francs. La subvention ayant été retirée, le vicaire fut supprimé. Les curés de Saint-Marc d'Ouilly ont continué à venir dire une messe basse tous les dimanche et mercredi; on y fait aussi les inhumations pour le bourg indifféremment pour les deux côtés. La fête annuelle de cette chapelle est le 1er dimanche de septembre affecté à Saint Gilles.

Les prêtres que j'ai connus desservant la chapelle sont; M. l'abbé Roger, prêtre distingué qui fut nommé curé doyen de Villers-Bocage en 1865 ou 1866, puis les abbés Legrix (1872), Picard (1873), Congère (1879), Lefèvre. Langlois, Deschamps, Lucey, Auvray, Lefrançois, Larchet, Thomas, Beaumont, Chantet lequel dessert actuellement (1924). »

Vous voyez, comme moi, tout l'intérêt que ces notes, si simples soient-elles, peuvent avoir pour l'histoire de notre pays. J'y puiserai encore pour une autre fois des détails substantiels pour l'histoire de la Cie des Sapeurs-Pompiers et pour l'histoire de la Société de Musique locale, malheureusement dissoute.

Pour cette fois, je vais encore donner un passage qui est tout spécialement couleur locale. Il s'agit d'un premier essai de corbillard. Je dois dire qu'elle est tout à l'honneur de M. Jéhenne.

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« 6 Août 1924 : l'origine de ma voiture comme corbillard ici. En 1884 au mois de mai, je perdis ma mère; déjà à cette époque on trouvait difficilement le nombre de porteurs pour transporter les morts à l'église d'Ouilly. Il fallait au moins 12 porteurs se relayant de distance en distance pour arriver jusqu'à l'église distante de 3 kilomètres. Ainsi donc j'eus beaucoup de peine à trouver les 12 porteurs qui, déjà à cette époque, prenaient 3 et 4 francs par porteur.

En 1888. le 19 février, décédait ici M. Fouquerel, instituteur. Or cette année-là l'hiver était particulièrement rigoureux et la neige couvrait la terre, à certaines places il y en avait un mètre. M. le Curé d'Ouilly, l'abbé Marescal, exigeait que les bières fussent portées à l'église d'Ouilly, lors même que la sépulture avait lieu dans une autre commune. L'intention de Mme Fouquerel était de faire porter son mari à Lingères, son pays natal; aussi était-elle douloureusement embarrassée, se trouvant seule ici avec sa petite fille qui avait 4 ans environ. Le maire, Alcide Ribard, ne cherchant pas à lui venir en aide, je lui proposai donc de la tirer d'embarras en arrangeant ma voiture (servant à mon commerce) avec des draps semés de larmes noires, etc... ; aidés, ma femme et moi, par tous les voisins, nous trouvâmes 8 porteurs et nous fîmes transporter la bière de M. Fouquerel à Ouilly et la rapporter à la gare d'ici où elle fut mise en wagon pour sa dernière destination.

Voyant une difficulté bien aplanie, plusieurs personnes me demandèrent, si elles venaient à décéder, de les transporter à Ouilly; pour rendre service, je leur promis et depuis lors ma voiture, organisée avec des tentures, a servi comme corbillard, aussi bien pour Ouilly que pour les communes des environs. ».

M. le Maire, que ce problème tracasse encore actuellement, verra ainsi que le problème n'est pas nouveau, mais je pense comme lui qu'un corbillard appartenant définitivement à la commune, pourrait rendre les plus grands services, maintenant comme il y a 50 ans.

Décidément les hommes comme M. Jéhenne, qui fut entrepositaire, pompier, musicien et... entrepreneur bénévole de pompes funèbres, sont trop rares et méritent, même à longue échéance, toute notre reconnaissance et toute notre admiration.


Dr R. CORNU



L’usine du Rocray



L'usine du Rocray ne fait pas partie de la commune de Pont d'Ouilly; elle se trouve sur le territoire de la commune de Cahan. Seules les maisons d'habitation sont dans le Calvados.


L’USINE PRIMITIVE

La première usine du Rocray était constituée uniquement par la grande maison située sur la rive gauche en bordure du Noireau. C'était une filature de coton. Sa construction remonterait approximativement à 1830. La force motrice nécessaire à son fonctionnement était fournie par une roue hydraulique qui, placée en bout de la maison, était alimentée en eau par le vannage encore existant à l'entrée de la cour des habitations.

A cette époque le Noireau avait un bras qui traversait en diagonale la cour des habitations et passait entre la « maison usine » et le chemin d'Arclais. La maison était donc dans une île. Ce bras. de rivière figure sur le plan cadastral qui est resté en vigueur jusqu'en fin 1961. Le nouveau plan qui a été remis à la Mairie de Pont-d'Ouilly en Janvier 1962 a été rectifié en conséquence.


DEUXIÈME USINE

Elle date de 1865. C'est à cette époque que fut creusé le bief d'alimentation des turbines et que fùt établi le barrage qui existe toujours sur le Noireau. C'est vraisemblablement à la suite de ces travaux que le bras de rivière disparu fut asséché et comblé.

Le bâtiment principal de la nouvelle usine fut construit entre le Noireau et le nouveau bief. Il comprenait une salle de 1 000 mètres carrés flanquée à ses deux extrémités d'une salle de 200 mètres carrés. Sur la rive droite du bief s'élevait une construction comportant la cheminée en briques, réservée à la force motrice. Sur la rive gauche du bief et en avant du bâtiment principal une maison à un étage dans laquelle étaient installés les bureaux. La nouvelle usine, comme l'ancienne, avait été construite à usage de filature de coton.

La force motrice était fournie par deux turbines hydrauliques et par une machine à vapeur d'un modèle ancien à peu près inconnu aujourd'hui. L'ancienne usine fut transformée en maison d'habitation et devint la résidence du propriétaire d'alors qui devait être M. Pingley. Sans doute pour commémorer des travaux relativement importants pour l'époque et pour la région, on planta cette même année 1865 le « grand cèdre » (welingtonia) que tout le monde aujourd'hui admire dans le jardin devant la maison. Il faut dire qu'il y avait à ce moment-là dans les pays de l'ouest de l'Europe une sorte d'engouement pour ces arbres. On faisait venir à grands frais des plants de... Californie.


CHANGEMENTS DE PROPRIÉTAIRES

A M. Pingley succéda M. Nérou, puis la Société des Tissages Réunis qui exploitait parallèlement le tissage de la Pautiche, ensuite la Société Dickson-Walrave qui avait transformé l'usine en blanchisserie de coton. Cette société construisit un séchoir, sorte de hangar, d'un effet déplorable en face des Bureaux et en prolongement du bâtiment principal, côté Ouest. À part cette construction malencontreuse, l'aspect de l'usine était sensiblement celui de 1865 quand la Société Ferodo en fit l'acquisition en 1928.

En 1928, l'allée d'accès à l'usine était bordée des deux côtés de grands sapins du plus bel effet.

La Société Ferodo venait de fusionner avec deux autres sociétés: l'Amiante de Condé (les filatures et tissage d'amiante de la Vallée de la Vère) et la Plastose (fabrication de matières plastiques) de Niort. Elle commença les travaux d'agrandissement dès l'année 1928. Ces travaux se sont poursuivis depuis à un rythme tel, qu'en 1962, la surface couverte de l'usine était passée à 6000 m2 contre 1 700 m2 en 1928, sans parler d'importants aménagements extérieurs qui s'étendent sur une surface de 1 000 m2. L'importance des constructions couvertes a donc quadruplé en 30 ans!


ACTIVITÉS DU ROCRAY

Jusqu'en 1936, l'usine fabriquait d'une part des résines synthétiques et des vernis d'imprégnation destinés aux usines Ferodo, de Saint-Ouen, pour l'exécution des garnitures de freins et, d'autre part, des produits connus sous le nom de « poudres à mouler » utilisés pour la fabrication d'objets plastiques dans le genre des fameux cendriers à deux compartiments que tout le monde connaissait bien avant la guerre.

À partir de 1936, la Société Ferodo, amorçant un vaste plan de décentralisation, transporta au Rocray les fabrications de garnitures de freins et de disques d'embrayage pour dégager les usines de Saint-Ouen. Les fabrications de « poudres à mouler » furent de plus en plus réduites pour disparaître complètement en 1948,

Les moyens de production en personnel et en matériel ont augmenté d'une façon considérable depuis 1929. Le Ferodo débutait au Rocray en 1929 avec 20 personnes. A la fin de 1962 il en compte 200.


USINES FERODO DE NORMANDIE

La Société Ferodo, poursuivant son programme de décentralisation, a construit deux nouvelles usines en Normandie, l'une dans la vallée de la Vère : la Petite Suisse dont la surface couverte est de 3 800 m2 ; l'autre beaucoup plus importante à Condé-sur-Noireau, dont la surface couverte dépasse 2 hectares.

En 1957, le Rocray qui avait été jusque-là une usine jouissant d'une grande autonomie fut placé avec les usines Ferodo de la Vallée de la Vère, et ensuite l'usine de Condé, sous une Direction unique; ce qui permit de rassembler certains services.

Le groupe des Usines de Normandie occupe actuellement 1000 personnes. C'est l'une des plus importantes industries régionales. Elle est classée dans les trois premières de Basse.Normandie, Nous avons la chance que toutes ces usines ne soient pas très éloignées de Pont-d'Ouilly: nous avons pu nous en rendre compte au moment de la fermeture du tissage de la Pautiche.


L'ENSEMBLE DES USINES FERODO

L'ensemble des Usines de la Société Ferodo est réparti dans sept départements français.

Les fabrications les plus connues sont évidemment les 16 millions annuels de segments de freins, les 2 millions annuels de frictions d'embrayages ! Mais Ferodo fabrique également des coupleurs hydrauliques, des équipements de chauffage, des embrayages électromagnétiques, des appareils électroniques; non seulement pour l'Automobile qui est son plus gros client, mais aussi pour l'industrie en général. La société travaille pour la S.N.C.F., le Métro de Paris, les Mines, l’Aviation, la Marine et même pour le Bâtiment. Il faut ajouter les produits d'amiante: tissus, cartons, tresses, bourrelets, etc recherchés, parce qu'ils sont incombustibles et aussi parce qu'ils sont d'excellents isolants calorifiques,. Chaque année, 4 000 tonnes représentant les 2/3 de la Production Française d'Amiante manufacturé.

Née en 1923, la Société, Ferodo est devenue une affaire très importante. Elle occupe dans son ensemble 4 000 travailleurs, dont 200 ingénieurs. Elle se classe en 1963 dans les 100 premières Industries nationales pour son chiffre d'affaires.


AVANTAGES POUR NOTRE REGION

Tandis que l'industrie textile disparaît petit à petit, nous pouvons nous réjouir d'avoir à notre porte une industrie en pleine prospérité. La Société Ferodo s'efforce de développer ses œuvres  sociales. Elle s'intéresse non seulement à son personnel en activité, mais également à ceux qui ont dépassé la période d'activité: aux retraités. Ceux-ci ne sont pas pour autant coupés de leurs anciens camarades de travail ni de l'atelier où ils ont travaillé... Une organisation amicale s'emploie à maintenir les contacts. Elle les réunit chaque mois dans un cercle aménagé spécialement pour eux. Ils y trouvent en plus des moyens de distraction mis à leur disposition, des consommations variées à titre gracieux. Le Cercle pour « retraités » est ouvert tous les jours l'après-midi.


On peut dire qu'il est possible de faire dans les usines de la Société Ferodo une carrière très complète !

A. Bessac.


SAVEZ-VOUS QUE…

(Caritas 1963)



« Caritas », en ses numéros des années 1950, 1951 et 1952 a consacré une série d'articles à notre histoire locale...

Le Hameau Hue, en 1923, se nommait encore « Le Hameau » ; il a été désigné « Hue» à cause de plusieurs familles qui s'y sont succédé...

En 1823, notre section de Pont-d'Ouilly s'appelait le Bourg d'Ouilly, et ce que l'on nomme maintenant le Bourg d'Ouilly (village où est l'église et le vieux manoir Delabrousse), se nommait alors le Haut d'Ouilly. L'actuel Haut d'Ouilly (où se trouve le Haras) se nommait auparavant le Grand Saint-Georges...

... Vers 1823 il y avait chez nous dix fours à chaux...

... Ouilly-le-Basset était autrefois chef-lieu de canton !..

... L'arbre de la Liberté, sur la place du Marché, fut planté en 1830...

... La tour de l'église d'Ouilly a été construite vers 1837, par un Désiré Lecornu, charpentier...

...La Halle aux Grains fut reconstruite en 1846, à la suite d'un incendie en 1824. Les grilles en fer furent placées vers 1874. La Halle a été pavée par le fameux Suzanne, le Cambrioleur. Cette Halle fut l'une des plus prospères de la région; elle ne pouvait contenir tous les sacs de grain qui y étaient apportés et souvent il y avait des tas très hauts autour de la halle. De même pour les étaux de boucherie; cette partie étant trop petite pour recevoir tous les bouchers...

... Les foires de Pont-d'Ouilly avaient lieu le premier lundi de janvier, le premier et le dernier lundi de mars, la Saint Clair le 17 juillet et la Toussaint...

... Le pont en dos d'âne nécessitait obligatoirement un charretier pilote. Il conduisait l'attelage sur le haut du pont où se trouvait une petite partie plate et faisait entraver les roues ou mettre les freins des véhicules car la descente y était fort rapide et pavée...

… Un nouveau pont fut construit en 1848-1849. Celui-ci fut emporté par les eaux à la suite d'une crue en 1859...

... Voici cent ans, en 1862... l'école d'OuiIly, construite en 1852-1854, était affectée aux garçons. L'école des filles était au village des Landes, ainsi que le presbytère.

... l'église d'Ouilly a été reconstruite précisément de 1862 à 1864. On y trouve à l'intérieur un tableau de la Sainte Famille offert par Napoléon III, en 1867.

…Le « Boulevard » en bordure de la rivière Orne a été construit à Pont-d'Ouilly en 1862. Autrefois on longeait les terrains par un sentier pour gagner, par le Moulin Neuf, le village de St-Christophe. Ce sentier a été supprimé par la construction d'une route vers 1868.
 
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... Vers 1820 on cultivait ainsi la terre à Ouilly: avant le blé on faisait d'ordinaire une levée de sarrasin. Après le sarrasin, on retournait la terre, on lui donnait une demi-fumure et l'on semait le blé. Au blé, succédait l'avoine l'année suivante. D'ordinaire on semait en même temps du trèfle qui occupait le sol la quatrième année. D'autres laboureurs tous les 5 ou 9 ans laissaient une saison de warech gras, c'est-à-dire qu'après une récolte d'avoine par exemple, ils laissaient l'herbe pousser pendant l'hiver et le printemps pour la nourriture des bestiaux et surtout des moutons. Au mois d'août, ils retournaient le warech, fumaient copieusement et semaient le blé. L'acre commune du pays (160 perches) produisait d'ordinaire 150 à 200 gerbes d'un très bon grain. La paille était faible, le grain était très rempli. Dans les disettes, les boulangers de Falaise venaient acheter le blé dans notre pays parce qu'il rapportait, disaient-ils, 20 livres de plus par somme que ceux de la plaine.

... Toujours à la même époque, la chaux était le principal engrais. Elle entrait pour 2/3 dans la culture et le fumier pour 1/3 seulement. Pendant l'été, on portait au haut des champs une certaine quantité de terre végétale que l'on remplissait de chaux vive: la chaux fermentait à l'humidité, échauffait la terre, se mêlait à elle et lorsque cette espèce de compost était bien mélangé et réduit en poussière, on le semait avec le fumier sur le champ et l'on donnait le dernier labour. La chaux commune se tirait de  Martigny. La chaux de marbre que l'on extrayait du Val-la-Hère était plus difficile à cuire mais son effet était plus durable. Dans la commune d'Ouilly, il y avait 10 fours à chaux, les bois nécessaires à l'exploitation de ces fours se tiraient en grande partie de Mesnil-Hubert.

... A Ouilly voici 150 ans il y avait environ 100 chevaux; 300 bêtes à corne; 200 bêtes à laine. Une soixantaine de ruches d'abeilles.

... Les « Basset »  étaient des Seigneurs de Montreuil-sous-Trun. L'un d'eux figure sur les listes de la Conquête d'Angleterre. Un Foulques Basset possédait 3 parties de fief au Pont d'Ouilly; la quatrième partie était entre les mains du Roi de France, Philippe Auguste (1165-1223).

,.. Après les Sires d'Ouilly nous eûmes pour Seigneurs les Grésille. L'origine de cette famille remonte au XIlle siècle. En 1514 Marguerin de Grésille vendit le domaine d'Ouilly à Thomas d'Oilliamson. Cette famille d'Oilliamson qui a occupé le manoir ou logis d'Ouilly jusqu'en 1798 était originaire d'Ecosse (actuelle propriété de M. Henry Mauduit).

... François d'Oilliamson épousa en 1532 Jeanne de Saint Germain et créa ainsi la lignée des d'Oilliamson de St Germain Langot et de Ouilly-le-Tesson. Cette branche fut honorée du Marquisat en 1616. La famille d'Oilliamson d'Ouilly s'est éteinte en 1798.

...Le 29 mars 1697 fut établie à Ouilly, à l'autel dédié à la Vierge, la Confrérie du Rosaire. À cette date Ouilly-le-Basset dépendait de l'Evêché de Séez.





Reconstruction du pont de Pont d’Ouilly après 1944



Le pont détruit

Déjà, les 8, 14, 17 juin et 5 juillet 1944, le pont d'Ouilly avait servi de cible.

Le 5 août, les Allemands y posaient des mines; le 10 août, le travail était fini.

Le 12 août, le pont sautait; à la seconde attaque aérienne, la destruction avait lieu vers 17 h. 30. Les bombes firent exploser les mines. Le déblaiement des rues se fit le 17 août, au bulldozer. Les extrémités des parapets furent nettoyées et abattues.

Le lendemain, les camions anglais apportant le matériel nécessaire au lancement de la passerelle métallique s'étiraient en file jusqu'au haut de la Grande-Rue: c'était le 18 août. Après avoir travaillé toute la nuit, les Anglais, dans la matinée du 19, posent le plancher. Parmi les badauds qui regardaient le montage se trouvait Jacqueline Goujard. Le chef Anglais la désigna comme marraine, sans tambour ni trompette !

Elle en fut quitte pour payer un vin d'honneur, servi sur le parapet, tandis que Arthur Leboucher jouait de l'accordéon... Le ruban tricolore fut coupé en présence de René Pique, Andrée Huard, Emile Delacour ; à midi, le pont était ouvert au trafic.



Pont métallique « Jacqueline Bridge »


Le « Jacqueline Bridge » allait bientôt disparaître. Tel était l'état de la reconstruction au 25 septembre 1947 :


Arcs en construction


Enfin, le 17 mai 1948 vit l'inauguration officielle du nouveau pont par M. Marcel Guyon, maire, assisté de Mme R. Cornu, marraine. M. l'abbé Portier bénissait la construction et le travail des ouvriers.

C'était un lundi de Pentecôte; M. Guyon, après avoir rappelé l'origine gallo-romaine du passage, exposa les avantages que présentait pour la localité, le rétablissement d'un pont. Un pont embelli par une rambarde métallique à la place d'un parapet en pierre, Un pont élargi après maintes et dures démarches, pour faciliter le trafic des six routes convergentes.




Inauguration avec Personnalités



Le Pont d’Ouilly au temps de la Gabelle


par le Docteur R. CORNU
d’après les documents réunis par M. Max Roger
dans les archives communales.

LA CARTE DES GABELLES

Pour comprendre la situation du Pont-d’Ouilly, il est important de se référer à la Carte des Gabelles publiée par NECKER, en 1785. Il y est question du PAYS DE QUART-BOUILLON (Ouest-Cotentin, la majeure partie de la Basse-Normandie, dont Vire et Condé-sur-Noireau). Dans ce pays, on obtenait le sel en taisant bouillir, dans des chaudières, de l'eau salée obtenue par le lavage du sable. Les habitants achetaient le sel ainsi fabriqué directement au SAUNIER, qui devait verser le quart de son prix au Fermier de la Gabelle, d'où l'expression QUART-BOUILLON. Le consommateur devait préalablement demander au CURÉ de la paroisse une attestation pour aller quérir ses charges de sel blanc aux Salines.

Le pays de QUART-BOUILLON avait, en 1766, une population de 1.605.407 habitants ; le sel s'y payait sous Necker 24 livres le quintal.

Il y avait aussi le PAYS DE GRANDE GABELLE, qui englobait les Bassins de la Seine et de la Loire et toute la partie de la Normandie non couverte par la région de Quart-Bouillon. La population y était de 8.300.000 habitants, et le sel y valait 62 livres le quintal.

Ces différents régimes fiscaux montrent à l'évidence l'intérêt de la FRAUDE, surtout dans des régions limitrophes comme celle du Pont-d'Ouilly.


IMPORTANCE DU PONT SUR L'ORNE À Pont-d'Ouilly

En 1726, le village compte 70 habitants et un marché. Il relève du diocèse de Bayeux et de l'Élection de Vire. En 1757, ce bourg avait brûlé par accident ; il y eut plus de 40 ménages réduits en cendres. La perte avait été estimée à la somme de 55.523 livres pour les maisons, et 20.000 livres pour les meubles. En 1768, il compte 162 feux, relevant du diocèse de Bayeux, du Parlement de Rouen, de la Sergenterie de Saint-Jean-le-Blanc, et reste toujours la Grande Route de Falaise à Vire, Mortain et Avranches. En 1773, le Pont-d'Ouilly appartient au doyenné de Condé-sur-Noireau. Son marché se tenant le lundi avait été établi en l’an 1463.

Bref, à l'époque, ce BOURG comprend deux parties : la première porte le nom d'Ouilly-le-Basset, et dépend du diocèse de Sées tandis que l'autre s'appelle Saint-Médard d'Ouilly et dépend du diocèse de Bayeux.

Précisions capitales pour la paroisse Saint-Médard : en 1720, la paroisse comprend 162 feux imposables ; en 1726, il y a 735 habitants. Et le 5 juillet 1746, un acte du Conseil d'Etat du Roi classe expressément la paroisse parmi celles relevant de la Juridiction des Traites et Quart-Bouillon de Vire et de Condé. Par contre, les paroisses d'Ouilly-le-Basset et de Saint-Christophe d'Ouilly, en 1734, sont des Élections de Falaise et appartiennent au régime  fiscal de Grande Gabelle.


CONSEQUENCES POUR L'IMPOT DU SEL

Le Pont-d'Ouilly se trouve être à la fois un important lieu de passage car l'une des principales artères conduisant de la BRETAGNE (Province franche : sel 2 ou 3 livres) vers PARIS et ROUEN (Pays de Grande Gabelle : sel 62 livres), et à la limite des Élections de Vire (pays Quart-Bouillon : sel 24 livres) et de Falaise (pays de Grande Gabelle).

Le Pont-d'Ouilly se situe sur la « Rivière l'Orne », comme toutes les rivières voie de prédilection pour la contrebande. Le BOURG même du PONT se  trouvait déchiré entre deux régimes différents : Rive Gauche, pays de quart-bouillon ; Rive Droite : pays de grande gabelle. Tout cela ne pouvait qu'inciter puissamment à la fraude du sel.

Ces raisons géographiques appelaient inévitablement sur place et dans les environs immédiats, une FRAUDE intense encourage par l'attrait de profits considérables. Il était donc nécessaire qu'il y ait une BRIGADE D'ARCHERS ou GARDES DU SEL, pour obvier au mieux.


LA FRAUDE DU SEL

D’après « 1'Encyclopédie Méthodique des Finances » dont les premières livraisons furent éditées en 1784, le FAUX-SAUNAGE est le délit dont se rend coupable comme auteur principal ou comme complice « toute personne, elle-même désignée sous le nom de FAUX-SAUNIER, qui, malgré les défenses portées par les Ordonnances, se charge de l'introduction, du transport, de la vente ou du délit de FAUX-SEL, c'est-à-dire de tout sel qui, dans les provinces ou les Gabelles sont établies, diffère de celui qui est délivré dans les greniers. Etait réputé FAUX-SAUNIER, non seulement « qui se procurait du sel étranger ou passait le sel d'une province à l'autre, mais le paysan qui employait le sel de sa cuisine pour saler son porc, qui employait à sa cuisine le sel de poisson ou du porc-salé, qui fabriquait du sel avec l'eau de mer, ou qui faisait boire de cette eau à ses bestiaux pour éviter de leur donner du sel ...»


AUTRES INFRACTIONS EN MATIERE DE GABELLE

Aide directe ou indirecte aux faux-sauniers; par exemple: donner retraite aux faux-sauniers, les favoriser, les loger, eux, leur sel et leur équipage, leur administrer pain, vin, avoines, foin et autres vivres. Parallèlement: refuser de loger et nourrir les officiers des greniers, capitaines, « archers » ou « gardes »; s'opposer à leurs recherches ou visites, les empêcher d'exercer leurs fonctions de quelque manière que ce soit.

C'est surtout avec la série d'infractions relatives aux GROSSES SALAISONS que s'affrontent la minutie des Ordonnances de l'époque : prendre le sel nécessaire pour la pêche et la salaison des poissons ailleurs qu'au GRENIER, le voiturer dans une maison particulière et non directement au bateau. Que dire aussi du trafic des BEURRES SALÉS !

« Amener, vendre, débiter des récipients quelconques contenant outre du beurre, une quantité de sel net et en nature; s'opposer à la visite de ces récipients comme à leur sondage et flustage par les commis, capitaines, gardes, archers et autres préposés pour la conservation des droits. » Pour tout dire, la réglementation du sel était draconienne.


ORIGINAL PROCES AU HAVRE

Vous savez que le procédé de saler les MORTS eux-mêmes pour les conserver n'en a pas moins incontestablement été utilisé aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles.

Le 26 janvier 1753, Gilles ASSELIN, grave Docteur en Sorbonne, raconte en sa correspondance : « … on m'a conté ces jours derniers un trait assez plaisant arrivé depuis peu au HAVRE lequel, paraît-il, a été su du Roi notre Maître et l'a fait beaucoup rire. Il y avait dans cette ville des comédiens. Arlequin, glorieux membre de la Troupe, y est mort et le Curé du lieu a refusé de l'enterrer comme étant personne excommuniée, à moins que l'on obtînt pour cela des ordres exprès de Monsieur le Chancelier... Pendant qu'on était en chemin pour venir ici en solliciter, on fut obligé de saler notre pauvre Arlequin pour le garantir d'une corruption prochaine. On s'était servi de sel de contrebande. Les Commis du Sel en eurent vent, vinrent visiter le défunt et dressèrent un procès-verbal de prévarication. Cela fait aujourd'hui un procès pendant au Présidial ou au Bailliage du Havre, contre les saleurs. Cet Arlequin avait du talent pour faire rire, puisqu'il fait encore rire après sa mort... »


QUI FAISAIT LE TRAFIC DU SEL ?

Ni l'âge, ni le sexe, ni la condition sociale, ni la fonction ou le serment professionnel prêté, n'imposaient de limite à la fraude. Et les hommes, les femmes et les filles, les enfants, les voituriers par terre ou par eau, les hôteliers, aubergistes ou cabaretiers, les Ecclésiastiques, les Nobles, les Domestiques de la Maison du Roi, les troupes, les juges, les Membres du Parlement, les Fermiers des Gabelles, les Officiers des Greniers, etc... et parfois jusqu'à certains Commis, Capitaines, Gardes ou Archers, fraudeurs invétérés ayant réussi à se faire engager dans la bergerie, ne répugnaient pas plus que le menu peuple aux profits, risques ou émotions du faux-saunage.

Quand les Archers et Gardes se sentaient trop faibles, ils se retiraient !!! 1aissant le soin de les suppléer à d’autres Brigades qu'ils espéraient mieux préparées. D’autres fois lorsque le passage avait été éventé d'avance, ils dressaient une ou plusieurs embuscades dans les chemins creux avec des cordes, des abatis ou des charrettes. Ce qui aboutissait presque toujours à de sanglants combats.

Une modalité de faux-saunage était extrêmement répandue car elle faisait courir aux fraudeurs fort peu de risques pour leurs personnes, c'était l'aide des chiens; suivant leur taille et leur résistance, les chiens pouvaient transporter de 2 à 20 livres de sel renfermées dans un collier spécial.

On mettait souvent dans le coup des FEMMES ENCEINTES car, à l'époque, l'administration avait décidé de ne plus emprisonner les femmes enceintes. Tâchons d'en profiter, dirent les fraudeurs ! En cas de réussite, les profits étaient considérables; en cas d'arrestation la charge de sel était confisquée mais aucun emprisonnement n’était ordonné... Cette combinaison nouvelle eut le succès le plus scandaleux. En 1780, dans la direction de LAVAL, 3.670 femmes furent surprises dans le trafic du sel.

De nombreux ENFANTS faisaient également le trafic de faux-saunage. Beaucoup furent condamnés aux peines de galère.

Les ECCLÉSIASTIQUES se taillèrent la part du lion dans le faux-saunage ! Nous ne voulons pas monter eh épingle l'attitude du clergé mais simplement montrer que du haut en bas de l'échelle sociale chacun cherchait à tourner la difficulté; ce qui rendait particulièrement délicat le travail de nos pauvres « archers ». L'Ordonnance du 11 mai 1680 disait que c'est au CURÉ de PAROISSE qu'il incombe de délivrer aux habitants qui veulent aller chercher du sel, les certificats nécessaires. Or lisons le préambule de la Déclaration du Roi, du 19 mai 1711; nous apprenons littéralement: « ... nous sommes informés par la vérification que nous avons fait faire du sel levé en l'année 1708 dans les Elections de Vire, Condé et Domfromt, que les habitants sont supposés jusqu'à 50.000 personnes au-delà au véritable nombre que le total de leurs familles compose; ce qui a procuré aux dites familles 25.000 ruches ou boisseaux de sel de plus que la quantité nécessaire pour leur consommation, excédant ce qui a été revendu en faux-saunage dans l'étendue de nos gabelle !... »


LES REGISTRES PAROISSIAUX

Le hasard des recherches effectuées dans les registres d'Ouilly et de Saint-Mards, a révélé l'existence, depuis le milieu du XVIIe siècle et jusqu'à la Révolution, d'un nombre appréciable d'archers des gabelles, apparemment d'abord isolés, puis bientôt constitués en une « Brigade du Pont-d'Ouilly», ayant Capitaine et Lieutenant, avec, semble-t-il, transformation progressive de leur appellation originaire en celle de « gardes » puis « d'employés », sans que leurs fonctions se soient pour autant elles-mêmes modifiées. Pour Ouilly, les registres paroissiaux commencent dès 1622 ; pour Saint-Médard-d'Ouilly, en 1647. C'est seulement le 19 mai 1650 que l'on trouve, à Ouilly, un certain Sidrac, Boyvin sieur du Taillis, « archer de la gabelle », dont le fils Jacques est à cette date baptisé par Jean Robine, prêtre-vicaire dudit lieu. En la même paroisse, le samedi 15 novembre 1659, le sieur de Sainte Anne, « capitaine de la Brigade d'Archers estant au Pont-d'Ouilly» dont la femme est alors marraine.

Le registre de Saint-Mards note l'inhumation dans le cimetière Saint-Gilles, le 6 septembre 1728, de Charles de Saint-Martin, « employé pour le sel dans la Brigade du Pont-d'Ouilly ». Les registres paroissiaux nous offrent ainsi, dans leur ensemble, un total d'au moins 51 actes dont 45 pour la paroisse d'Ouilly, 4 pour celle de Saint-Mards, et 2 pour celle de Saint-Christophed'Ouilly.

Il faut noter que la dénomination « archer » a disparu dès après l'acte du 3 octobre 1676, pour faire place à celle de « garde ». Après l'acte du 6 septembre 1728, la dénomination « garde » disparaîtra à son tour au profit de celle « d'employé ».

Les registres font état également de leur vie sociale :

1 ° la plupart sont mariés et pères de famille et tiennent à quitter la vie « en la Communion de l'Eglise après avoir reçu les sacrements pour se disposer à bien mourir » sinon même «avec beaucoup de piété »...

2° l'un d'eux au moins, pourtant simple « garde », Guillaume du Vey, possédait la qualité d'escuyer.

3° non seulement aucun ne paraît éprouver la moindre difficulté à trouver l'assistance de gens honorables aux cérémonies religieuses et familiales, mais encore nombre d'entre eux se voient convier à de telles cérémonies par le reste de la population qui ne semble ainsi nullement les tenir à l'écart.


LES ANCIENS ARCHERS

A première vue, la survivance, en 1650, d'Archers, cause quelque surprise puisqu'aussi bien, à s'en tenir au sens littéral, ce terme désigne des soldats armés d'arcs et de flèches et organisés en troupes de pied ou Milices, généralement tenus pour disparus avec la fin du Moyen Age, aux environs de l'année 1492. Dès la seconde moitié du XVI' siècle, le mot « archer » ne désigne plus que des agents de justice ou de police dont l'emploi principal est d'arrêter, de saisir, ou de faire des captures. Tels les Archers de Ville, ou de Nuit, ou du Guet, ou des Pauvres (dont l'office fut longtemps de saisir les mendiants qui errent dans les rues et de les mettre à l'hôpital). Ou encore les Archers des Prévôts des Maréchaux qui sont continuellement sur les grands chemins pour les rendre sûrs contre les voleurs, ancêtres de notre Maréchaussée ou Gendarmerie,


LES ARCHERS DU SEL

C'étaient des miliciens, attachés au service de l'impôt du sel, tout à fait distincts de la Maréchaussée, désignés sous le nom de famille « ARCHERS DE GABELLES ». Colbert, en septembre 1663, les désigne sous le nom de Soldats.

Ils étaient armés d'épées, hallebardes, arquebuses, carabines, fusils et pistolets. Pour les perquisitions, assauts et ouvertures de portes chez les récalcitrants, ils disposaient d'échelles et pétards ! Attachés à un Grenier à Sel, organisés en Brigade à pied ou à cheval, de 5 à 12 hommes, ils étaient commandés par un Capitaine assisté d'un Lieutenant, chargés essentiellement de la recherche, poursuite et capture des Faux-Sauniers ou fraudeurs et contrebandiers du sel.


ORIGINE DE LA GABELLE

Le mot « GABELLE », en latin Gabella, qui peut tirer son étymologie du bas-latin Gablum ou encore de l'hébreu Gab ou du saxon Gabel, qui signifie Tribut, s'appliquait à toutes sortes d'imposition publique. On parlait ainsi des Droits d'Aides : gabelle des vins, gabelle des draps, des poissons, gabelle du Tonnieu sur la vente des bestiaux, etc... Au XVe siècle, le mot désigne uniquement l'impôt du sel ou sur le sel. Contrairement à une opinion très répandue qui, chargeant plus ou moins inconsciemment l'Ancien Régime de tous les péchés du monde, lui attribue le triste honneur d'avoir été le premier inventeur de l'impôt du sel, cet impôt est en réalité infiniment plus ancien puisque l'Histoire nous en révèle des exemples bien avant le début de l'ère chrétienne.

(A suivre.)



LA FOIRE DE GUIBRAY...
en l'An de Grâce 1766



Qualifié de poète excentrique, Gérard Desrivières, né à Carrouges en 1745, apparenté aux familles les plus honorables de la région, fut de bonne heure destiné par ses parents à l'état ecclésiastique. Envoyé au collège mi-laïque mi-religieux de Sées, il y fit d'excellentes humanités; ses compositions françaises et surtout latines sont remarquables: on a dit de ces dernières qu'elles semblent être sa langue naturelle « tant elles sont faciles et élégantes dans tous les rythmes d'Horace.»

Je n'entreprendrai point de faire connaître les différents écrits de ce bon latiniste; je voudrais simplement faire un bref exposé d'une de ses pièces inédites, poème burlesque de 2.720 vers, intitulée « Un voyage à Guibray ».

2.720 vers, c'est beaucoup ! Néanmoins, M. Meynaerts, membre de l'Association Normande, à qui je dois de connaître « Le Voyage à Guibray », disait: « Je vous avoue cependant les avoir lus tout d'une haleine, sans fatigue, sans ennui, tant je trouve d'humour et de spirituel badinage dans ce poème héroï-comique ».

Il est certain que nombre de passages sont si amusants qu'on ne peut s'empêcher de penser à Scarron... Toutefois, l'excessive grossièreté justement reprochée à l'auteur du Roman comique, de la Mazarinade et d'autres écrits où le grotesque fait trop souvent tort au comique, ne se rencontre guère chez Desrivières.

Son « Voyage à Guibray » nous apprend comment on se rendait à la célèbre foire, ce qu'on y voyait, comment et à quels prix on s'y procurait gîte et couvert. C'est, dit M. Meynaerts, « le portrait pris sur le vif de la Guibray à cette époque... ».

Le samedi 14 août 1766, notre bon abbé part de grand matin de Carrouges en compagnie de son cousin Esnault (Esnault sera ordonné prêtre en 1769, nommé vicaire d'Essay, puis curé de Méheudin en 1772, enfin chanoine de Carrouges en 1781). Tous deux sont grandement désireux de visiter la fameuse foire n'ayant d'égale que celle de Beaucaire.

« L'aurore chassait la nuit noire. »

Pour franchir à pied, par des chemins en mauvais état, les douze lieues  séparant Carrouges de Falaise, nos voyageurs se sont muni chacun d'un solide bâton normand et convenablement garni l'estomac :


…Or, avant de partir,
Esnault est d'avis qu'il faut boire.
Sa mère tire d'une armoire
Une galette et quelques fruits,
Les uns crus, les autres cuits.
La galette étant avalée,
Et la liqueur jaune coulée,
Tous deux nous frottons notre bec
Et nous profitons du temps sec. »

Par malheur ce beau temps sec ne tient pas ses promesses :

Bientôt nous eûmes attrapé
Le coq qui sans cesse est huppé
Sur le clocher de notre église;
Il nous fit une mine grise
Et nous montrant son c. couvert
De plumes de cuivre ou de fer,
Il avait sans cesse la tête
Vers le côté de la tempête. »

Bref, partis guillerets et dispos avec le soleil, ils poursuivent leur route sous les averses, reprenant courage entre deux éclaircies, cependant qu'Esnault fait entrevoir les délices d'un gîte à Falaise. Ce gîte sera celui de la Trigalle, auberge dont l'enseigne représentant trois coqs : tres galli (par abrév. trigalli), appartenait au député girondin Henri La Rivière.

Il fallait - Esnault dixit - à la Trigalle
Tâcher de trouver une salle.
Lemoine, dit-il, bon garçon,
Est maître de cette maison:
Qu'il nous donne deux brins de paille
Nous dormirons vaille que vaille.
 ...
A la guerre comme à la guerre,
Nous serons là dans une terre
Où les puces ne manquent pas,
Non plus que les poux et les rats.

En approchant de Falaise, Esnault recommanda à son cousin la prudence dans ses paroles, le prévenant
…d'un ton rogue
Que le Jansénisme est en vogue
Parmi les bons Falaisiens.
Prends bien garde à leurs entretiens .

Tandis que la pluie continue de déverser ses torrents, on déjeune à Ecouché, bourg surnommé la Neuve Judée, à cause des habitudes usuraires de ses habitants. Le repas, pris à l'hôtel du More, se compose simplement d'œufs et de cidre, car c'est jour d'abstinence. Et l'on parvient enfin aux abords de Falaise.

« Nous allions toujours fort et ferme,
Et nous étions bien près du terme,
A la butte de Saint-Clair.
Qui d'un bout s'élève en l'air
Et de l'autre est rapide et profonde.
Elle était noire de monde. »

On voit déjà tant de bestiaux qu'on devine la Guibray toute proche, car :

Là, les chariots s'arrêtaient
Et contre les pierres se heurtaient;
Maints chars le long de cette butte,
Faisaient souvent la culbute.
En vain charretiers aux abois
Juraient, tempêtaient de la voix,
Excitaient leurs bêtes lassées;
Leurs charrettes bientôt versées,
Avec les bœufs et les chevaux
Etaient le fruit de leurs travaux ».

Alors, pour se donner des jambes afin de franchir l'ultime étape, Gérard Desrivières, le cousin Esnault et un compagnon de rencontre du nom de Panard, se font servir chez l'aubergiste de Saint-Clair un copieux repas : une douzaine d'oeufs, deux pains et six chopines.

« Esnault, dont l'âme est fort civile,
Nous mena dans un cabaret
Pour y boire du vin clairet,
Du vin qu'on cueille à coups de gaules
Dans cette portion des Gaules
Où, grâce à Dieu, nous habitons.
Puis à l'hôte nous demandons
Qu'on mette douze  œufs à la tripe,
Le temps de fumer une pipe
Tandis qu’il les accommoda.
Oui, mais la pinte se vida,
Personne n'avait de serviettes
Qui puissent recueillir les miettes.
Dès que les œufs furent venus,
Nous bûmes comme des perdus,
Car la sauce était bien salée,
La pinte fut vite avalée...
Quand l'appétit fut soulagé,
Pour ce que nous avions mangé,
Nous nous levâmes de nos places
En récitant tous trois nos grâces.

Enfin, parvenus à Guibray, nos voyageurs se dirigent en toute hâte vers le champ de foire. Sur le marché aux Cuirs, route de Trun, vis-à-vis de la Croix d'Or, ils croisent des connaissances : Godibert, Mme Levain, cousine de Gérard, Vassal et Madame son épouse. Après congratulations, tous se donnent rendez-vous pour le repas du soir :

«Nous souperons à la Trigalle.
Dit Esnault, s'il reste une salle
Où nous puissions manger tous deux
Du poisson, des pois ou des œufs.
De ce logis Lemoîne est la maître
Et j'ai l'honneur de le connaître
Il ne nous refusera pas
Un lit, une table et deux draps.»

Mais Vassal préfère aller à Saint-Georges :

Vassal cependant nous engage
À souper dans son cabaret
Pour boire du vin clairet.
Venez, nous dit-il, à Saint-Georges,
Vous ne coucherez point dans l'orge,
Dans la paille ni dans le foin;
Il reste encore un petit coin
Où vous serez bien à l'aise
Et mieux qu'autre part dans Falaise.»
 
On voit encore à l'extrémité de la route de Trun, à l'angle formé par cette rue et la venelle du Griffon, l'enseigne de l’Auberge Saint Georges, enseigne qui ferait le bonheur d'un musée lapidaire. Au premier plan, le saint cavalier terrasse un dragon, tandis qu'au second plan la fille du roi de Silène fait un geste d'épouvante.

En attendant l'heure du souper, tous vont faire un tour à la foire où les attendent des merveilles, d'abord :

Une vache à deux têtes
Dont l'une, comme un clou,
Semblait attachée à son cou.
Un coq au même lieu vivait.
El je ne sais ce qu’il avait,
Non plus qu'une poule étrangère
Qui n'avait rien d'extraordinaire,
Un oiseau paraissait encor
Le chef orné de cornes d'or.»

Puis, dans une baraque :

«De petites marionnettes,
Toutes belles, toutes bien faite,
Y représentèrent fort bien
Un vieux spectacle italien.
Puis un aveugle de naissance
Fit voir à toute l’assistance
Ce que je n'aurais jamais cru
Si mes deux yeux ne l'eussent vu.
D'un jeu de cartes bien mêlées,
Ou, si vous voulez, étalées,
Il prenait celle qu'il voulait.
Et de son vrai nom l'appelait. »

Mis en appétit par les senteurs d'une auberge foraine, ils y commandent :
« Un morceau de tanche
Pour nous mettre à la sauce blanche. »

Et le soir venu, après maintes pérégrinations, ils retournèrent souper à la Trigalle où il leur sera compté pour ce repas et le petit-déjeuner du lendemain deux livres tournois…

La foule était si considérable, tant à Falaise qu'à Guibray, que, faute de place, les aubergistes envoyaient leurs clients coucher chez des particuliers. Lemoîne adresse donc Gérard et Esnault chez un apothicaire de la ville, mais à peine se sont-ils mis au lit qu'ils se sentent dévorés :

Et quand cinq heures furent sonnées,
Nous crûmes que les destinées
Nous ordonnaient de nous lever
Et qu’il ne fallait plus braver
Du lit les cruelles hôtesses
Qui nous démangeaient tant aux fesses.»

Après avoir admiré la ville de Falaise, principalement ses églises qui inspirent à Desrivières nombre de vers laudatifs, nos voyageurs remontent à Guibray pour contempler les boutiques foraines :

« De là dans Guibray nous passâmes
Et longtemps nous nous arrêtâmes
À visiter tout ce qu'on vend
Autour Notre-Dame et devant.
L’église était alors si pleine
Que nous 1'entrevîmes à peine.
Mais par le peu que j’aperçus
Très grande estime j’en conçus. »

La plus large, la plus belle, la mieux achalandée était la rue du Pavillon. Les petites rues voisines, avec leurs nombreuses loges, étaient aussi amplement approvisionnées.

« Dans le sentier du Pavillon,
Des boutiques de vermillon,
D'étoffes d'or, d'argenterie,
De rubans et d'orfèvrerie ;
Des livres plus nouveaux que vieux
Avaient de quoi charmer les yeux.
Une autre rue est voisine
Pleine de poudre et de résine,
De clous, de poivre, d'amidon,
De pois, de soufre et de savon.»

Toutes sortes d’attractions retiennent l’attention des badauds :

« On va voir les chevaux de bronche
Le plus mauvais jamais ne bronche.
Ce carrouzel (sic) est un pivot
Où quatre chevaux vont le trot.
Deux cavaliers, ou même quatre
Viennent là-dessus se débattre
À qui visera douze fois
Des anneaux suspendus au bois
Tandis que la dite machine
Autour de son pivot chemine.

Pour quatre sols on s’assied sur des planches et on s’extasie devant les prouesses des paillasses,  lutteurs, prestidigitateurs, avaleurs de sabres, acrobates.

Dont le corps en deux plié
Ramasse un liard sous son pié
Par le seul moyen de sa bouche
Sans même que la main y touche

Pour souper et coucher, on revient à l'auberge de la route de Trun. On se restaure copieusement : Nanette sert haricot de mouton, coq rôti, gigot, le tout bien arrosé. Après quoi, les coudes sur la table, on parle de rentrer à Carrouges. Enfin nos soupeurs repus s’en vont se coucher dans une espèce de chambrée où, vu la grande affluence, les logeurs installaient plusieurs couchages dans la même pièce. On y dormait fort mal, tant à cause des allées et venues incessantes, que des quiproquos et du mauvais état des lits. Oyez par quelles tribulations passent nos bon compagnons : vous verrez qu’on ne reposait pas mieux à l’auberge de Guibray que chez l’apothicaire de falaise :

Vassal et sa chère moitié,
Unis de grande amitié,
Se mirent dans une couchette.
Et puis dessus une autre couette
Ou, si l'on veut, un autre lit,
Madame Levain se mit
À côté de Monsieur son homme
Pour tâcher de dormir un somme.
Notre lit, sur de vieux carreaux
Qu’appuyaient de méchants tréteaux,
Était dans un coin de la chambre.
Je pensai me démettre un membre
Lorsque je me coulai dedans;
Les planches se culbutant
Font tant de bruit que tout en tremble.
Nous nous mîmes tous deux ensemble
Esnault mon camarade et moi
A réparer ce désarroi.
Le bois de lit nous arrangeâmes
Et soudain nous nous débargeâmes.
Mais quel fut notre étonnement
Quand voici qu'au même moment,
La couchette retombe à terre
Faisant  un fracas de tonnerre.
Nous eussions pleuré sans oignons…

La servante Nanette accourt au fracas, aide à remettre le lit sur ses pieds :

Mais à cette troisième fois,
Nous étions tous trois aux abois
Et nous déguerpîmes bien vite
De ce frêle et caduque gîte
Pour chercher encore un moyen
De lui donner quelque soutien.
Et nous fîmes avec Nanette
Si bien, que la dite couchette
Vint à bout de se radouber
Et de nous porter sans tomber.

Quant au couple Vassal qui commence à sommeiller, le voilà réveillé par le bruit des pas d'un marchand forain en quête de son lit. L'époux, croyant avoir affaire à un de ses compagnons qui veut lui faire une farce, agite son bras dans l'obscurité et vient frapper sa femme: l'épouse se plaint, le marchand s'égosille en reproches et toute la chambrée est en émoi... Aussi ne faut-il point s'étonner si :

« Quand il commence d'être jour,
À qui mieux mieux chacun s'habille,
L'un endosse sa souquenille,
L'autre avant de fuir la maison  
Fait à genoux son oraison.
L'un cause, l'autre est taciturne,
L'autre vide son vase nocturne. »
... O Scarron !

On déjeune aux huîtres : pour huit sols, on en gobe trois douzaines et, après un dernier tour de foire à Guibray où l'on fait les ultimes emplettes, on prend courageusement la direction de la butte Saint-Clair

« Où les charrettes
Font cent pirouettes. »

Sur le chemin du retour, on croise quantité de gens de connaissance :
 
« Nous rencontrâmes Préfontaine
Ensuite Monsieur Clairfontaine
Lesquels, portés sur leurs chevaux
Nous tournèrent bientôt le dos.
Nous fîmes une autre rencontre :
Une troupe noire se montre
Dont un chacun était curé.
Ils revenaient tous de Guibray.
A leur tête, celui qui trotte
Est le bon curé de la Motte,
Et sur les deux autres chevaux
Etaient le curé de la Chaux
Et celui du Champ-de-la-Pierre
Qui faisaient voler la poussière... »

Bien des années plus tard, le curé Gérard Desrivières entreprenait un voyage autrement long, mais certes moins gai que celui de la foire de Guibray... C'était en 1792, au temps de la Révolution. Ayant refusé de prêter le serment constitutionnel, l'abbé Desrivières émigra en Allemagne où il rejoignit son supérieur hiérarchique Mgr d'Argenté, évêque de Séez, cornme lui réfractaire.

Rentré en France en 1802, il fut d'abord nommé curé de Rouperroux puis en 1813 curé-doyen de Carrouges où il décéda vers 1830.

Jeanne LÉTOQUART.



En remontant la Rouvre…
(Été 1955)



Une colline inspirée

De la colline de Pont-d'Ouilly, où se dresse la chapelle de Saint-Roch, le guérisseur miraculeux... quel horizon magnifique !...

Les hauteurs boisées du Mont Pétron... la futaie du Repas… un chemin qui fuit vers les sauvages Roches d’Oêtre... l'église de Cahan battue par les vents... le site de Berjou, le Mont Cerisy qui se cache dans les brumes bleutées. . .

En bas, à droite, la vallée de l'Orne: à gauche, la vallée du Noireau…

Au flanc des côteaux d'alentour, des bois, des fermes, des champs de blé...

On comprend pourquoi, l'an dernier, le Président de la République et Mme René Coty, passant à bord de leur Frégate noire, ont dit leur admiration pour ce site qui est le plus typique de la « Suisse Normande ».


Le dimanche qui suit la Mi Août

C'est le pèlerinage annuel à Saint Roch, le grand pardon, comme on l'appelle. Il date des siècles et des siècles. Cette année, il aura lieu le 21 août. Alors toute la colline s’animera d'une foule de cinq mille ou six mille pèlerins montant de quarante paroisses sous la présidence de Mgr l'Evêque de Bayeux et Lisieux.

Il ne s’agit, non pas d'une fête profane, mais d'un vrai pardon, c'est-à-dire d'une journée de prière, de réconciliation avec Dieu. La Messe de 11 heures sera célébrée en plein air, par le jeune Révérendissime Père Yves Bossières, abbé de Mondaye qui, avant d’entrer en religion, fut un brillant étudiant de Sorbonne et… un champion national de course à pied. Autour de l'autel rustique, il y aura la jeunesse du pays; elle chantera et fera l'offrande des fruits de la Terre.

À midi, repas à l'ombre des arbres et des javelles de blé.

Après Vêpres, il y aura la fameuse procession à travers champs et l'antique bénédiction des moissons.

- Depuis que j'assiste à cette procession, monsieur, m'a dit un homme du pays, et cela fait longtemps, je n'en suis jamais fatigué. Tous les ans, je suis saisi par la grandeur de cette cérémonie séculaire qui se déroule sur ce plateau de 20 ha dominant l'Orne et le Noireau.


Les costumes vieux Normand

Dans l'air calme où glissent des nuages majestueux, résonneront les tintenelles et les vieux cantiques de nos Pères qui invoquaient Saint Roch contre la maladie des troupeaux. La procession rurale s'avancera lentement, gravement. Parmi les pèlerins, un certain nombre auront revêtu les vieux costumes normands, aux couleurs gaies et voyantes, tels qu'on les portait dans nos contrées vers 1850. Ces costumes ne seront pas une reconstitution, ce sont ceux d'autrefois qui dormaient dans les armoires de chêne. Voici qu'ils reparaissent au soleil. Les haut  bonnets de dentelle légère palpiteront joliment à la brise des colline. On aura l'impression saisissante de plonger dans le passé ou de voir nos ancêtres revenus faire un tour parmi nous et chanter, comme au temps jadis :

Quand je laboure en plaine,
avec mes bons chevaux
Je lance à gorge pleine
Ma prière aux échos.

Soudain, dans le silence, s'élèvera la voix de l'Evêque : « Nous bénissons les champs, les troupeaux, les instruments de travail, les maisons, les paroisses... ». Puis la foule, d'une voix rude, lancera le Credo, Patrem Omnipotens. À cet instant, la jeunesse présente ressentira profondément qu'elle n'est qu'un instant du monde. Qu'elle continue aujourd'hui la tradition des ancêtres et qu'elle-même, plus tard, laissera à d'autres plus jeunes, les mêmes sillons à tracer droit... C'est la vie...

Le soir, sous les Halles de Pont d'Ouilly, le Grand Pardon de Saint Roch s'achèvera par une veillée bien normande. Sur les tréteaux, danseront, chanteront, diront, en costume ancien, les artistes du mouvement folklorique de Caen : Blaudes et Coeffes. Ils s'exprimeront en vieux normand qui n'est pas un patois, mais une langue dans laquelle s'il vous plait, fut écrite la Chanson de Roland ! Quel esprit fin ils avaient, nos Anciens, quelle sapience, quelle verve narquoise !


En suivant la Rouvre

Si, de Pont-d'Ouilly. nous embarquions sur l'Orne, nous pourrions remonter le cours sinueux de son affluent, la Rouvre, l'une de nos plus belles rivières… Parfois, notre canoë heurterait des rochers ou sauterait des rapides ou s’ensablerait, car cette petite Rouvre, elle a des airs de torrent, tantôt sage, tantôt bondissant, frémissant, écumant… Le beau parcours dans un pays encore secret !... Et nous finirions notre randonnée en débarquant à Beauvain, du côté de La Ferté-Macé, aux environs  de la Géraudaie.


L'Élysée dans l'Orne

L'an dernier, à pareille date, on voyait une trentaine de journalistes parisiens ou londoniens ou européens à l'affût sous l'avenue des sapins de la Géraudaie. Dans les près, le long des talus où poussent les fougères, des gardes républicains faisaient la ronde. Ils veillaient alors sur la sécurité et le repos de Monsieur le Président de la République et de Mme René Coty venus simplement prendre les eaux de Bagnoles,

La Géraudaie, c'était l'Elysée dans l'Orne ou, plus exactement, comme M. le Curé l’a précisé avec une grande rigueur historique dans une brochure que le Chef de l'Etat a trouvée « charmante », c’est L'Elysée en Beauvain. Cet été 1955, l’avenue est déserte. Plus de journalistes. Plus de policiers. Sur les près on a laissé la  ligne téléphonique qui reliait à l'Elysée de Paris. Et, dans la cour du manoir où stationnait, l'été 1954, la Frégate noire présidentielle, on décharge en ce moment une grosse charrette de foin…


La Chaux

Passons. Roulons sur la bonne petite route qui a été spécialement goudronnée pour le passage du Chef de l'Etat et dont le pays profite; arrivons à La Chaux, aux sources de la Rouvre que nous avions un instant abandonnée.

La Chaux, en langue gauloise ou celtique, se dit Calx, ou plateau escarpé. De même que Pont-d'Ouilly, là-bas, domine la Suisse Normande, La Chaux est installée sur une chaîne de collines. Ses eaux ruissellent par moitié sur la Manche par l'Udon. la Rouvre et l'Orne, moitié vers l'Atlantique par la Gourbe, la Mayenne, le Maine et la Loire.

Pays de toute beauté, mais d'une beauté solitaire, que La Chaux. On devine que la commune a été taillée dans la forêt antique, où patrouillèrent les Légions de Jules César et les bandes de Vikings. L'herbe y pousse, mais à certaines places, le rocher est à fleur de terre. Les bois abondent. « J'ai sept hectares de hêtres », nous dit un fermier. On entend le murmure d'eaux vives qui cascadent. Plus loin, un étang mystérieux, Des taillis. Des chemins creux. On comprend quel maquis c'était pour les Chouans du général de Frotté. Le 3 février 1800, les colonnes républicaines, qui comptaient 700 hommes, surprirent, de nuit, à La Chaux, 400 Royalistes qui s'étaient pourtant protégés par des avant-postes. Le combat nocturne fut sanglant. Au petit jour, on trouva un chouan tué, qui portait au doigt un anneau pastoral. La légende voulut voir dans ce Chouan le dernier des Evêques d'Avranches, Mgr de Belbœuf, déguisé en soldat. Mais  l'histoire nous affirme que celui-ci mourut à Londres.


Terre de manoirs

Sur les 506 hectares qui forment La Chaux, on rencontre sept manoirs seigneuriaux qui sont devenus des fermes. Quels manoirs !...  À la Cour, il reste une aile Renaissance, les hauts murs du parc, qui s'écroulent, les belles et profondes douves mais les beaux arbres, les avenues, sont, hélas ! morts ou rasés. Au Coudray, on ramasse du foin et du grain dans ce magnifique manoir, où l'escalier de pierre du XVe slècle est renfermé dans une tour. Au rez-de-chaussée, sous l'immense manteau de la cheminée, l'âtre est mort. Quelles veillées se déroulaient autour de lui, voilà deux siècles ou trois, au temps d'Henri IV !...Les familles nobles qui demeuraient ici et vivaient de plein pied avec les paysans, avaient 10, 12, 14 enfants, qui devenaient officiers des armées royales ou embarquaient sur les frégates à voile de Sa Majesté. Le Champ-du-Gué, restauré avec goût, a retrouvé des fenêtres du modèle ancien, Les cultivateurs qui habitent là, sont justement fiers de leur grande salle, à la cheminée monumentale surmontée d'une fresque un peu effacée, aux poutres apparentes. Nous collationnons chez eux, sur la table de chêne. Comme les châtelains de jadis, ils savent pratiquer l'hospitalité la plus seigneuriale !

Que nos campagnes françaises et normandes seraient splendides si tous les fermiers qui occupent manoirs et châteaux les conservaient avec le même goût !... Tout vieux logis qui s'écroule ou que l’on mutile, c’est du patrimoine national qui s’en va.


L'église en ruines

BelIe église de La Chaux, bâtie au XIIIe siècle, tu n'es plus que ruines sous la terre ! Et ton if géant, qui ressembla à ceux de La Lande-Patry et, comme eux, a été sûremcnt planté sous Charlemagne, est solitaire et triste. Dans le cimetière, l'herbe a tout envahi.

« Morts anciens oubliés sous les pierres tombales... »

On imagine les offices qui se célébraient là jusqu'à la Révolution. Quelle rumeur, par exemple. Lorsque le 16 mars 1702 et le 18 Juin 1708, arriva à La Chaux le jeune évêque de Sées aux boucles brunes, Mgr Louis d'Aquin, qui devait en 1710, âgé de 43 ans, mourir de « la fièvre pourprée maligne », laquelle ravageait alors nos contrées. Le soir même, on l'enterrait dans la cathédrale.


Renouveau

Voici que les jeunes de La Chaux ont débroussaillé les ruines de leur église. Ce fut très émouvant. Dimanche 28 août, il y aura, dans le pré voisin, bordé de beaux arbres, une grande Fête de la Terre qui se prépare dans la joie et  dans l'entrain. Pour la première fois depuis 1789, la Messe sera célébrée à La Chaux ! On y ramènera la vieille cloche paroissiale qui avait été emportée à Beauvain. Il y aura même la présence d'un évéque, Mgr Pioger, dont la jeunesse rappellera celle de Mgr d'Aquin, venu deux cent quarante-sept ans plus tôt. Jamais, depuis cette époque, La Chaux n'avait reçu de visite épiscopale ! L'après-midi, défilé de chars, reconstitution historique de la commune, jeux scénique, attractions multiples. Et tout cela dans l'un des plus beaux cadre de la Normandie.

Quelle petite commune rurale fera mieux ?


Future Normandie

Depuis un siècle, notre province s'était affaissée sur elle-même. Témoins ces belles maisons vides ou ruinées que l'on rencontre en remontant le cours de l'Orne et de la Rouvre, témoins ces villages dont la population a baissé de moitié !...

Maintenant, nous assistons au réveil de la Normandie. À la Faculté des Lettres de Caen ou à la Petite A de Flers, des conférences historiques, comme celles de Michel de Bouard ; à Paris, des livres comme les récits normands de La Varende ; à Falaise des spectacles Son et Lumière, qui évoquent, chaque soir, Guillaume, le Fondateur de la Normandie ; à Argentan, une revue d’histoire locale et un Syndicat d’Initiative dynamiques fondés par Paul Vanuxem, professeur au Collège ; un peu partout, des  fêtes de la Terre, des reconstitutions historiques, des remises en valeur de monuments anciens, tel le château de Caen ou celui de  Falaise, tout cela est significatif.

Si, de plus, nos fermes s’équipent à la moderne, si nos petites villes savent profiter de la congestion des grandes, alors la Normandie millénaire commencera une nouvelle jeunesse.

Voilà les pensées qui nous viennent en remontant la Rouvre…


Un du Pays.



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