La Fanchette à l'octroi
C’est pas que le cochon avait été vendu un bon prix mais l’André et sa Fanchette, la Fanchette quasiment plus que l’André, n’étaient pas du monde franc comme on dit. Regardant à un sou, ils auraient égorgé un pou pour en avoir la peau. Qu’est-ce que vous voulez, on est comme on est.
Ça fait que l’André et sa Fanchette se disaient comme ça : « Si des fois on pouvait passer l’octroi sans payer, ça serait toujours ça de gagné ». Mais avec ces satanés flics, ça serait bien hasard si on s’en sauverait. Enfin, on verrait bien.
Ça fait qu’ayant bien fait manger le cochon pour qu’il pèse plus, ils le cognèrent dans le caisson de la voiture, sur du foin. Il n’y entrait pas, mais ils abouchèrent dessus une caisse plus haute. Bien fâte avant de partir, bien couché en route, surs que le cochon ne bougerait pas plus que rien.
« Fanchette, faisait l’André, tout ça c’est bien, j’dis pas, seulement quand on passera ils voudront voir. »
« T’émoie pas, que lui répondait la Fanchette ». Fut dit, fut fait. On mit le cochon comme j’ai dit, une couverture sur la caisse, et « Hue cadet ! ».
En route l’André faisait que d’dire : « Fanchette nous serons pris, j’te dis ! ». Et la Fanchette : « Que c’est bête, un homme, bonne Vierge, que c’est bête !!! ». Un peu avant d’arriver, Fanchette dit à son homme de rester, qu’elle allait descendre.
Elle descendit, attrapit l’âne par la bride et « Hue cadet ! ».
D’abord on arriva à l’octroi.
Faut vous dire que la Fanchette de ce moment avait l’air mal virée comme tout. Le monde en la voyant pensait qu’il ne ferait pas bon s’attraper avec elle. En mangeant sa soupe elle avait dû avaler quelque épine de buisson, comme on dit.
« Bast »..! En arrivant devant l’octroi, la Fanchette s’arrête, comme ça devait être. Le flic sort et demande :
- Vous n’avez rien à déclarer ?
Elle répond en serrant les dents :
- Si.
- Bé quoi.
- Un gros cochon, le respect que je vous dois.
- Un cochon ? Mais sur la voiture il n’y a que votre homme !
Et la Fanchette montrant son homme du poing, fit :
- Oub ! Tenez, regardez ce grand fainéant, si ça serait pas à lui d’être à ma place et moi à la sienne. C’est honteux.
(et, se mettant à pleurer) :
- Pauvre Monsieur, si c’est pas malheureux, j’suis si tellement rendue que j’n’en peux pus ».
Le flic, ça lui fit quelque chose de voir ça et il dit :
« Qu’est-ce- que vous voulez, pauvre femme, chacun a bien ses peines. Enfin, ce cochon là, c’est pas de ceux qui paient. Passez et tirez-en d’argent tant que vous pourrez ».
C’est comme ça que la Fanchette passit sans payer.
Conte recueilli par Anne-Marie Barbe-Mourez auprès de Denise Vivier, conteuse dans la région de Domfront, Orne, en 1945.