Le Chansonnier du Bocage

Ch. LEMAlTRE


LES JOYEUX BOCAINS


CONTES DRÔLATIQUES

en

Patois Bas-Normand




Préface d'Arthur MARYE

Illustrations de LEVAVASSEUR et R. THURIN



Se trouve :
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7, rue Haute, Caen
BONNAVENTURE,  7, rue de l'Oratoire, Caen
JOUAN,   98, rue Saint-Pierre, Caen



Cet ouvrage a été tiré à
500 exemplaires numérotés
dont 25 sur simili-japon

 


AVANT DE RIRE


Voici des contes. Ils sont en vers et en vers patois, s'il vous plaît ! De par cette double façon d'être, ils échappent déjà à la banalité; n'est-il pas vrai ? Mais quand vous saurez qu'ils ont été écrits par notre brave chansonnier du Bocage, « le père Lemaître », vous penserez avec raison qu'ils sont du meilleur crû : originaux, gais, exhilarants même, pétillants de malice et d'esprit. Vous ne vous tromperez pas, ils ont ces qualités-là et bien d'autres encore. « Le père Lemaître » a fait dès longtemps ses preuves. Les oeuvres nombreuses qu'il a signées sont connues, répandues et appréciées à la fois; d'abord pour leur curieuse forme patoise, ensuite pour la joie simple et franche, pour la bonne humeur qu'engendre leur lecture ou que provoque leur audition. Lisez ou récitez .., en public une de ces petites pièces rimées où le curieux langage du Bocage normand accumule ses subtilités, ses tournures imprévues et cocasses, ses termes savoureusement descriptifs, et vous serez certains de retenir votre auditoire, de l'intéresser fortement et, comme eût dit maître François Rabelais, de le faire « soubdain demourer quoy et joyeux ».

Mais. cette fois, ce n'est plus de chansons ni de monologues qu'il s'agit. « Le père Lemaître » a délaissé ses chalumeaux rustiques pour accorder le rebec des ménestrels. LES JOYEUX BOCAINS sont des récits de plus longue haleine et, j'aime mieux vous le dire tout de suite, car vous vous en seriez sûrement aperçus bientôt, leur qualité essentielle est d’être grivois. Eh ! oui, leur qualité, car c'en est une en nos époques de pudibonderie excessive, que d'oser, à l'exemple de nos grands aïeux, se gaudir d'histoires aimablement polissonnes et d'appeler parfois les choses par leur nom. Nos générations moroses et positives ne savent plus rire, « Le père Lemaître », lui, sait encore et, en l'écoutant conter, nous pouvons retrouver le secret perdu de la gaîté d'antan.

Il ne faudrait d'ailleurs pas croire que le genre grivois soit un genre inférieur. Sans doute il touche à l'érotique, mais ne tombe jamais dans l'obscène. C'est même là sa marque distinctive, et c'est en quoi réside l'aimable vertu de ces contes qui n'ont rien de commun avec la basse farce ou les malsaines élucubrations de certains écrivains sans délicatesse.

De tous temps le genre grivois a inspiré les meilleurs esprits, et il a fait naître parfois de véritables chefs-d’œuvre. Sans passer pédantesquement en revue la série des érotiques grecs et romains, je me permettrai néanmoins de rappeler que le fameux « Satyricon » de Pétrone est un ouvrage grivois dont, après des siècles, la lecture peut encore procurer de l'agrément. Au Moyen-Age, les Italiens eurent Boccace et ses contes, si pimpants, si alertes, si spirituellement pervers, qui vinrent bien à leur heure. Après avoir contribué à fixer la langue italienne encore incertaine, ils ont passé dans toutes les autres langues et sont restés comme un inépuisable fonds d'inventions et de traditions joyeuses où des milliers d'écrivains n'ont cessé de puiser.

Nous autres, Français, nous eûmes aussi, sinon un « Décaméron », du moins un « Heptaméron », oeuvre fâcheusement inachevée de cette reine de Navarre qui, au seizième siècle, occupait ses loisirs à fixer sur le vélin les aventures galantes qu'on vivait en son temps.

Il y avait eu, du reste, d'autres précurseurs dans le genre. Béroalde de Verville et son « Moyen de parvenir », un des ouvrages les plus curieux de notre langue, venaient après Rabelais et son immortel Gargantua qui, après plus de quatre cents ans, demeure comme un monument impérissable de la littérature universelle. Rabelais lui-même devait connaître les « Contes, dévots » qui, au XIIIème et XIVéme siècles, firent les délices de nos ancêtres, et les « Baliverneries  d'Eutrapel », ce recueil pittoresque qui fut l'œuvre de maître Noël du Fail, un auteur presque normand, car il était de Rennes.

A partir du XVIe siècle, le branle était donné et la littérature grivoise comptait de nombreux adeptes. Faut-il citer Aimé Piron, le père de l'auteur plus célèbre de la « Métromanie », un poète bourguignon qui, comme notre Lemaître, écrivait ses contes dans le patois de son village; l'abbé de l'Attaignant, l'auteur de notre fameuse chanson : « J'ai du bon tabac », et les autres membres du Caveau, ce premier des cabarets artistiques, ancêtre des « boîtes» montmartroises ; Collé, l'auteur du « Mariage sans curé », de « L'Amant poussif », de « l'Accouchement invisible »; Charles Rivière-Dufresny et ses « Amusements sérieux ou comiques »; Vadé, qu'on surnomma le « Callot de la poésie », et qui, comme le puissant graveur auquel on le comparait, ne dédaignait pas de descendre au détail pittoresquement égrillard ! C' est ce Vadé, l'auteur de la « Pipe cassée », poème épitragi-poissardi-héroï-comique, qui mit à la mode le langage poissard parmi les beaux esprits de son temps, comme « le père Lemaître » met à la mode le patois de Vire. On parla  « poissard » alors, jusque dans le boudoir des duchesses et des courtisanes, et si, de nos jours, il en existait encore, courtisanes et duchesses pourraient s'amuser sans déchoir à parler la langue non moins colorée dont use magistralement l’auteur de ce volume.

Ne pourrais-je encore en citer d'autres? Panard, le prédécesseur de Désaugiers et de Béranger - encore des auteurs grivois, ceux-là ! C'était ce Panard à qui on reprochait de présenter souvent  des manuscrits tachés de vin : « Prenez, disait-il, c'est là le cachet du génie ! » Je suis sûr que, plus d’une fois, une tache de « gros beire » a pu jaunir aussi les manuscrits du « père Lemaître », mais ce cachet de pur « normandisme » ne doit-il pas contribuer à nous les rendre plus précieux ?

Et plus tard, de nos jours, parmi la brillante Pléiade des écrivains  romantiques, ne voyons-nous point que plus d'un s'essaya avec succès au genre grivois. Musset lui-même, l'élégiaque et tendre poète, en fit l’occasion de quelques adorables et pervers péchés de jeunesse. Plus près de nous encore, Théodore de Banville, Catulle Mendès, Armand Sylvestre et presque tous les Parnassiens ne s'érigèrent-ils pas en maîtres de ce genre ?

C'est à dessein que j'ai négligé, à son rang chronologique, le prodigieux conteur grivois que fut Honoré de Balzac, car c'est lui qui me fournira la conclusion de cette trop longue préface où, par bonheur, le lecteur a pu négliger de s'attarder. L'immortel auteur de la « Comédie humaine » fut aussi, ne l'oublions pas, l’éblouissant et érudit narrateur de ces « Contes drôlatiques », pastiches savants des vieux  prosateurs français, qu'il composa « pour l'esbattement des Pantagruelistes et non aultres ». Balzac maniait la langue du XVIe siècle comme, dans ce volume, « le père Lemaître » parle le jargon virois, et j'oserai ajouter, pour pousser plus loin le parallèle, que LES JOYEUX BOCAINS pas plus que les « Contes drôlatiques » ne sauraient être mis entre toutes les mains.

La mère en prescrira la lecture à sa fille,

disait Piron en s'illusionnant singulièrement sur le genre d'intérêt de ses aimables grivoiseries. « Le père Lemaître », lui, n'a pas celle prétention ; il saura se contenter de la curiosité des bibliophiles, et de la sympathie des Normands ses compatriotes. Il se ralliera sûrement, ainsi que votre serviteur, à une autre appréciation sur son ouvrage en disant comme M. de Balzac : «Lisez ceci plus tost â la nuit que pendant le jour et point ne le donnez aux pucelles, s'il en est encore, pour ce que ce livre prendrait feu ».

Arthur MARYE







À mes Lecteurs


Il me plaît d'évoquer de lointaines images.
J’ai le culte profond des anciens horizons;
D'un livre déjà lu, j’aime à revoir les pages,
Et mon âme s'émeut à nos vieilles chansons.
J'aime, de nos aïeux, les légendes rustiques,
Divertissants échos des anciens troubadours,
Par la tradition, venus jusqu'à nos jours,
Et parmi, j'ai glané ces « contes drôlatiques ».


Ch. LEMAÎTRE



 
NOTE DE L'AUTEUR


______


Lorsqu'on veut orthographier notre patois bocain, de façon à le rendre compréhensible, on se trouve en présence de sérieuses difficultés.

J'ai essayé de suivre des règles établies par quelques érudits et le résultat obtenu ne m'ayant pas satisfait, j'ai adopté, tout en respectant le plus possible l'étymologie des mots, une orthographe simplement phonétique, de sorte qu'en prononçant tel que j'ai écrit, on parle exactement comme un Bocain d'Aunay-sur-Odon ou de Villers-Bocage.

Parmi les mots très usuels, difficiles à écrire correctement en patois, je place au premier rang les pronoms, personnel et possessif, « vous et vos », qu’en patois on prononce tous les deux « vo ».

Exemple : « j' vo d'mand' pardon» pour « je vous demande pardon ».

         d°   : « Eioù qu' sont vo pétiots ? » pour « où sont vos enfants ? »

Toutefois, lorsque « vo » est suivi d'un mot commençant par une voyelle, j'ajoute un « s » pour faire la liaison.

Exemple : pour le  français « vous avez », j'écris « vos avé » qui se prononce « vo z' avé ».

Vous remarquerez aussi que dans : « avez », « allez », « pouvez », ou tout autre verbe à la 2ème  personne du pluriel de l'indicatif, je supprime le z qui allonge la prononciation française et je le remplace par un « é » qui donne exactement l'accentuation patoise ;  j'écris donc  « vos allé » « vos avé » ou « vo pouvé ».

C'est pour le même motif que je supprime l's dans « les, tes, mes » et que j'écris « lé, té, mé », Exemple: « gas, petiots, pommes» qui rendent exactement la prononciation patoise.

« No » qui revient très fréquemment dans ce volume, signifie également  « on », comme dans : « no s'amuse » ou « no travaille » et « nos » comme dans: « no poules » et « no lapins ». J'y ajoute également un « s » lorsqu'il est suivi d'un mot commençant par une voyelle comme dans: « nos avait » ou dans « nos amis », qu'on prononce « no z'avait » et « no z'amis ».

Le « tch », dans certains mots commençant par « cu », tel que curé que j'écris « tchuré », n'est mis là que pour forcer la prononciation bizarre de ces mots, que la majeure partie des Normands étend aux mots commençant par « qu », tels que « qui », « quelle », qu'ils ne prononcent pas « ki ou kelle », mais bien avec une espèce de sifflement mouillé rappelant un « p'schitt » qui commencerait par un « q ».

N'ayant pas la prétention d'établir ici une grammaire bocaine, je borne aux quelques indications qui précèdent, l'explication de ma façon d'orthographier. J'ai, dans tous les cas, fait mon possible pour bien me faire comprendre de mes lecteurs et j'espère qu'ils voudront bien tenir compte de mes efforts pour y parvenir.


Caen, le 10 juillet 1917.

Ch. LEMAITRE




  1. Tibi, Georgette !
  2. La Confession à Véronique
  3. Leçon de politesse
  4. L'clou à Locadie
  5. Faut que j'tabate !
  6. Le Temple de l'Amour
  7. Fais-li vei !
  8. Le Pain bénit
  9. Le Goulu attrapé
  10. Les Oies perdues
  11. L’ Divertisseux
  12. Le Bénitier gelé
  13. Arthémise la mal servie

  1. Confiance céleste
  2. Le Beurre malpropre
  3. L'abbé Trupot
  4. La veuve inconsolable
  5. Le Haut-du-Temps
  6. L'bras tendu et la goule ouverte
  7. Lé Chendres
  8. L' Voleux d' pain
  9. Fanchon Cliquet
  10. La Catoueilleuse
  11. Le Chapelet
  12. La Migraine





Tibi Georgette

À Monsieur Georges Rivière.




D'abord faut que j' demand' pardon
A moussieux les ecclésiastiques
D' lé mettr' si souvent en question
Dans mes histouèr's un brin comiques;
Mais comm' c'est tous dé gens d'esprit,
Au lieu d'y trouver d' qué à r'dire,
Quand j' lé gratt' sans les écorchi,
C'est eux lé premiers à en rire.

Là d'ssus j' vas vo conter que, n'y'a d' cha bi longtemps,
J'ai connu un t'churé par t'chu nous, dans l' Bocage,
De qui qu' la bouenn' servante avait tous lé talents.
Por l'y fair' tout san cas et l'y t'ni san ménage,
Et sans mépriser l's 'autr's por cha,
C'était la meilleur' cuisinière,
Que n'y'eût bi'n à vingt lieues de d'là,
N'importe dans quel presbytère.
Or, v'là-t'y pas qu' san maîtr', dans l' moment dé gras jours,
Réunit por eun' conférence,
Au sujet d' la concupiscence,
Eun' douézain' de t'churés dé parouess's d'alentour.

Georgett', c'était l' nom d'la servante,
Por bi traiter tous cé moussieux,
Fit dé chos's si appétissantes,
Qu'y s'en liquaient à qui mieux mieux;
Du potage au rôti, no n'entendit qu' dé louanges.
Et n'y'eut d's' estomacs r'connaissants,
Qui crur'nt bi faire, en affirmant
Qu' les élus n'mang'nt pas mue au réfectouair' des anges.
Quand arrivit l' café,
Qu'était si 'parfeumé,
Que, comm' no dit quiqu'fouais, no mordait presque à même,
Cha couronnit l' dainner comme avec un diadème ;
Tous disaient au t'churé : « - Mes compliments, mon cher,
« De votre cordon bleu, vous devez être fier. »
« - Certes, dit un doyen,  c'est un talent notoire,
« Et rien que ce café suffirait à sa gloire. »
« - Ah ! dam', pour le café, ell' le fait toujours bon »,
Répondit aussitôt l'aimable amphitryon,
« Et pour sa récompense,
« Si vous l' permettez tous,
« Vous voudrez bien, je pense,
« Qu'ell' le prenne avec nous. »

La chos' fut adoptée
Par la docte assemblée.
Et chins minut's apreux,
Avec tous cé moussieux,
Olle était dans la sall', preux d' san maîtr', la pauvrette.
Et v'là qu' çu bon t'churé, qui causait en latin,
Quasiment si bi qu' mé, quand ej' cause en bocain,
Dit en trinquant do elle : « Allons, Tibi, Georgette. »

C'était sûr'ment bi latiné,
Mais faut. dir' que la cuisinière,
A part un brin dans sa périère,
Jamais dans c' te langu' là n' causait,
Et co, c'était sans la comprendre.
C'est bi por qui,
Que l' mot d' Tibi
L'embêtait d'pus qu'o v'nait d' l'entendre.

Aussi quand l' vicair' de Coulvain
Sortit por prendr' l'air un p'tit brin,
La bouenn' Georgett' fit meine
D'aller dans sa t'cheuseine,
Mais c'était, en réalité,
Por consulter çu bouen abbé.
Comm' c'était un farceux, conteux d' plaisant's nouvelles,
Quand la brav' Georgett' l'y d'mandit
Qui qu' voulait dir' çu nom d' Tibi,
Qu' san maître l'y'avait dit, en trinquant d'avec elle;
Por rire à ses dépens,
V'là qu' çu mauvais plaisant
L'y dit tout bas : « - Je n' puis vous l' dire,
« Ma pauvre fille, car n'y'a rien d' pire. »
Et comm' c'est qu'olle anticipait,
Disant qu'o voulait tout saver.
« - Mais, qu'i lui dit, ma chère (por l'i faire eun' bouenn' farce),
-« J'ai hont' de vous dir' ça ; Tibi, c'est l' nom d'un' garce,
« C'est un vieux mot latin
« Qui signifie putain,
« Et surtout, ma fill', que personne
« Ne sach' d'où vient ce renseign'ment,
« Que j' vous donn' charitablement,
« Tenez, votre maître vous sonne. »

Georgett' l'i dit merci,
En l'i promettant bi
Que sû c' qu'i l'y 'avait dit, olle en s'rait terjours muette,
Oui mais, v'là t'y pas qu'en rentrant,
San maîtr' l'i dit core en trinquant :
« - Ces messieurs s'impatient'nt, allons, Tibi, Georgette. »
Mais, à s'n' ahuriss'ment profond,
O l'i dit d'un air furibond :

« - Ah! j' vas vos en bailli, mé, dé Tibi Georgette !
« Eh ! bi, Tibi vot' sœu, Tibi vot' nièch' Colette,
« Tibi vo deux couésein's, du hameau dé Vignats,
« Qui vienn'nt au presbytère,
« Je m' demand' porqui faire ;
« A mains qu' cha n' sé, la nieut, por vo t'ni lé pieds cats,
« Et pûs, au surplus d' tout,
« Pus qu' c'est qu'i faut dir' tout,
« Si j' sus dév'nue Tibi, c'est vous qui m'y'avé minse,
« Car vo l'savé
« Aussi bè qu'mé,
« Je n' l'étais bi sûr pas quand c'est qu' v'o m'avé prinse ! »





La Confession à Véronique

A Madame Françoise.




En mettant mé cont's à tremper,
Même à boueilli dans eun' marmite,
Malin l' sien qu'en pouerrait r'tirer
Seul'ment eun' chopein' d'iau bénite.
Qui qu' vo voulé, no n’ se r'fait pas,
Mé j' sûs d'un joyeux caractère
Et j'ainm' mue amuser lé gas,
Que d' leux conter la Sainte Histouère.

En v'n core eun' qu'est d'un bon crû,
O s'est passée à Maisoncelles,
Un bon pays où qu' lé cocus
Sont bi moins rar's que lé pucelles.
Y n' faut vaie là rin d'étonnant,
Mé j' cré qu' cha tient à leux gros bère ;
D'avec un crû qui fend lé verres,
Comment qu'i n' s'raient pas bi faisants.

Et à c't' heu', j' vas vo dir' que ny'a d' cha bi d's années,
Y'avait, dans c' pays-là, un paur' vieux tracheux d' pain,
Rouèg' de ch'veux, d' barbe itou, qu' nos app'lait Constantin ;
C'était l' plus vilain gas que n'y'eût dans la contrée,
Dé péchés capitaux; il avait sa bouenn' part
Et par dessus tous t's autr's, il était raid' saôlard.

No n'a pas tous l's ohis, Constantin n'tait pas bête,
Quand il était happé d' béchon,
Y s' cachait bi, comm' de raison,
Dé gens qui nouerrissaient sa personn' malhonnête ;
Y s' muchait dont comme y pouvait,
N'y'ayait pas d' niche où qu'i n' se coule,
Quand il 'tait sâs comme un goret,
Pourvu qu' no n'i vaij' pas la goule.

A c't' heu', j'allons laissi
Constantin l' mal lagui,
Por no n'n'aller trouver la maîtress' Véronique,
Qui s'en vient, l'air un brin soucieux,
A confess' por conter d' san' mieux
Lé péchés qu'olle a faits contr' la louai canonique,
Et parmi cé péchés maudits,
Y s'en trouve un qui la gên' bi ;
En amour, la bouenn' dam' haïssait tant l' carême,
Que parmi lé dix command'ments,
O n' n'écorchait un d' temps en temps;
J'entends causer du sien qui vient apreux l' chinquième_

O s'en fut, en entrant, drait au confessionna,
La porte du mitan était enterbaîllie,
O s' dit: « L' t'churé est là », et fut vite ag'noueillie,
Au guichet d'à côté, disant meà culpà ;
No répondit à sa périère,
D' laut' côté, comm' par un grogn'ment ;
« Hélas !, que s' dit not' ménagère,
« Moussieu l' t'churé n'est pas content. »
Portant, comme o voulait fair' sé Pâques l' dinmanche,
« Tant pis, qu'o s'dit comm' cha tout bas,
« Por eun' fessée, l' t'chu n' vo tumb' pas,
« Eun' fais tout raconté, j' vas sorti d' là tout' blanche,
« Tous mé péchés
« Vont rêt' lavés. »

Quand o n' n'eut, en sieuvant san examen d' conscience,
Avoué dé p'tiots de rien,
« - Hélas qu'o dit, man pè'r', je r'clam' votre indulgence,
« Car j'en ai bi besoin.
« J'étais core innocent' quand c'est qu' je m' sus mariée
« A maîtr' Constant Lénâlt,
« Je n' savais bi sûr pas
« Qu'su l'amour conjuga, y m' baill'rait d' bell's jeunées ;
« Là-d'ssus, com' no dit, l' vieux coquin
« M'avait promins plus d' beurr' que d' pain;
« Enfin, n' discutons pas, pus qu' j'ai fait la bêtise,
« Et à part cha, comm' vo l' savé,
« No n'a jamais mal causé d' mé,
« Quand c'est que v'là un mouais, l' garçon à la mèr Lise
« Est v'nu cheux elle en permission,
« Et dam' c'est un si biau garçon,
« D'avec cha si ainmable, que je m' sus laissie faire. »

D' l'autr' côté, brutal'ment, no se r'muit su la tchaire.

« - Hélas! qu' dit Véroniqu', man pèr', pardonnez-mé,
« J' sais bi qu' su c't' affair' là, j'ai cédé un brin vite,
« Mais quant à m'n homm' Constant, y n'a que c' qu'i mérite;
« No n'prend pas un jeun femme' quand no n' peut plus t'chu l'ver ».

Mais la paut' femm' tumbit quasiment évanouie,
Quand c'est qu'olle entendit répondre avec furie :
« - Av'ous bitôt fini ? nos a t'y jamais vu ?
« Qui qu'cha peut m' fout' à mé, si votre homme est cocu ?
« Je m' coul' dans c'te boît'-là por y dormir tranquille
« Et vo v'né m'élugi d' vos affair's de famille ! »

Comm' vo d'vé bi l' penser, c'était l' gas Constantin
Qui s'était muchi là por cuver eun' saôlée ;
Il en tirit parti, car depus, l' vieux gredin,
Qui r'connut Véronique, allait souvent la vaie,
Et la paur' malheureus', craignant s'n'indiscrétion,
A chaqu' coup qu'i y'allait, l' saôlait comme un cochon !






Leçon de politesse


À Madame Anthime Jeanne.




Je m' rappell' que, dans man jeune âge,
Lé t'churés n'taient pas malheureux,
Et lé bouenn's âm's de nos villages
Avaient bi dé bontés por eux ;
Lé sienn's qu'étaient bi forteunées,
Leux baillaient d' bouenn's chos's à gogo,
Mais cell's qu'étaient intéressées
Donnaient plutôt c' qu'o z'avaient d' trop.

Y s'trouv' des années fruitageres,
Où que n'y'a des quantités d' peires ;
Ces années-là, c'est bi'n aisi
A san t'churé d'aller n' n'offri :
C'est por cha qu'un matin, la maîtresse Adélie
En donnit à sa fille eun' bourrich' bi remplie.
« - Tu vas, qu'o l'y dit, la porter
« A not' t'churé, au presbytère,
« Et surtout prends t'y bi d' manière,
« Por qu'y n' manqu' pas d' les accepter.
« - C'est bon, qu' répondit la petiote,
« J' sus pas gênée sû c't' affair' là ;
« Tout l' mond' sait bi qu' je n' sus pas sotte
« Et que j' caus' comme un avocat. »

La bourrich' sous san bras, v'l'âllé la p'tit' Fanchette.
« - Boujou, Moussieu l' t'churé, qu'o dit en arrivant,
« V'là d' la part de ma mère eun' bourrich' de peir's blettes
« Va pourré lé mangi sans vo casser lé dents ».

« - Dis à ta mère que j' la r'mercie,
« Qu' l'y répondit l' t'churé, je lui en sais bon gré,
« Mais je n'accepte pas, craignant d' vous en priver,
« Remporte-les, ma p'tite amie. »

« - Cha n' no priv' brin du tout, j'en avons tant c't' année,
« Répondit la pétiot', qu' cheux nous, no march' dessus,
« J'en somm's tertous fûtés, no cochons n'en veul'nt plus;
« Cair'yé bi qu' c'est de bon cœur que j' va l'z'ai apportées. »

« - Eh bien ! qu' dit l' bon t'churé, j'accepte ton présent,
« Un de ces jours, j'espère
« Aller r'mercier ta mère,
« Et sur ta politess', lui fair' mon compliment. »

Aussi, l' dinmanch' sieuvant, à la sortie d' l'église,
Avisant la maman, l' t'churé fut la trouver,
Et d'abord, por lé peir's, c'mmenchit par la r'mercier,
« - Maint'nant, j' vais vous parler, qu'y dit, avec franchise.
Et là d'ssus y l'y racontit
C' que la pétiote l'y'avait dit.
« - Elle a, qu' dit l' bon t'churé, montré trop d'inconv'nance
« C'est vrai qu' c'est encore une enfant,
« Elle est bien jeun', mais cependant
« Vous devriez lui faire un' petit' remontrance
« Afin qu'à l'avenir, dans ses conversations,
« Ell' sache, avec décenc', choisir ses expressions. »

« - Pardié, que l'y répondit la mère,
« Cha n' m'étonn' brin d' ma ménagère,
« Je m' demand' qui que j' f'rai de c'te p'tit' coch' lanré.

« Olle est bêt' comm' man t'chu, man paur' moussieu l' t'churé !! »





L' Clou à Locadie


A Mademoiselle E. Lecointe.




Amen, amen, dico vobis,
Clouso fessiès for doloris.

A c't' heu, quand j' vo cont'rai d's histouères;
J' lé commench'rai tout's en latin,
J’ lé finirai d' la mêm' manière,
Mais l' mitan s'ra du pur Bocain.

Y'avait jadis, à Ond'fontaine,
Un t'churé qu’était raid' savant,
Et qui connaissait la méd'ceine
Bi mue qu' tous lé méd'cins d' san temps;
C'était surtout lé forbétures,
Lé panaris ou lé touerniants,
Qu'y guérissait s'lon leux nature
Avec plusieurs espèc's d'onguents.
Faut dir' que çu bouen homm' de science,
Allait souégni lé gens partout,
Simp'elment par acquit d' conscience
Et sans qu' cha l'y rapporte un sou.

Y'avait dans un village, en d'valant su la Beigne,
Eun' femm' que nos app'lait, d' san nom, Fanchon Pitrou,
Qu'était bi sottisièr', comme c'est qu' no dit t'chu nous.
Et tout l' monde avait poue d' sa mauvais' goul' d'empeigne.
Olle avait, por sa punition,
Récolté par procuration,
Y'avait d' cha eun' quinzain' d'années,
Eun' fill' ma fé raid' bi touernée ;
No l'app'lait, dans l' pays, Locadie à Fanchon,
Por n' pas qu' no s'trompît avec d'autr's du mêm' nom;
Or, v'là qu' not' Locadie
S' trouvit bi'n affligie,
Y l'y'était v'nu un clou qu'était si mal plachi,
Qu'la malheureuse éfant n' pouvait pas s'assiessi ;
Véyant cha, la Fanchon s'en fut au presbytère,
Por que l' t'churé savant
L'i guérisse s'n éfant:
Et dès en arrivant, o l'i contit l'affaire,
Comment qu'cha l'avait prinse et où qu' c'est qu'était l'clou,
D'qui qu' sa fill' souffrait tant, bref, o l'i contit tout;
Quand y l'eut entendue, l' t'churé dit : « - Ma bonn' mère,
« D'ordinair' ces clous-là, ça fait beaucoup souffrir,
« Mais, avec un 'p'tit peu de mon onguent, j'espère
« Qu'avant quarant' huit heur's, nous le f'rons aboutir. »

La bouenn' femm' partit rassurée,
En emportant l' précieux onguent.
Et dame, aussitôt rarrivée,
Olle en beurrit l' clou copieusement.

Paraît qu' dans c't' onguent-là, y'avait dé drogu's maleignes,
Car, quand la p'tiot', por san malheur,
Fut dans san lit à la chaleur,
Cha c'mmenchit, comm' no dit à l'y haler la couenne,
Et tout pendant la nut
O n' put pas fer-mer l'u.

Et lend'main au matin, quand sa mèr' fut la vaie,
O l'i dit en pleurant,
Tout comme un p'tit éfant :
« - Hélas' ma paur' maman, j' souffre comme eun' damnée,
« Moussieu l' t'churé s'est p'têt' trompé
« Su l'onguent qu' tu m'as rapporté,
« Cha dait rêt' por un ch'va, l' sien qu' t'as mins su ma fesse;
« Pus qu' c'est agneu dinmanch', va l' va e apreux la messe,
« Qu'il arrive à t' bailli
« D'qué par em' soulagi. »

Quand Fanchon arrivit, l'église était tout' pleine,
Et, monté dans la chair', l' bon t'churé d'Ond'fontaine,
Por fair' poue à sé parouaissiens,
Disait comm' cha d'un ton funèbre :
« Vous irez tous, mauvais chrétiens,
« Chez Belzébuth, princ' des ténèbres ! »

Il allait continuer l' sermon,
Oui mais, quiqu'un troublÎt la fête,
C'était la sottisièr' Fanchon,
Qui l'i criait tout l'hât d' la tête:
« Eh ! qui qu' je m' fous d' vot' Belzébuth !
« All'ous-en bi plutôt vaie ma paur' Locadie,
« D'avec vot’ gueux d'onguent, comme olle est arrangie,

« C'est eun' pitié que d' l'i vaie l' t'chu ! »

A c't'heu, por teni ma promesse,
Faut que j' vo raconte, en latin,
Comment qu'opérit su la fesse,
L'onguent du bon t'churé méd'cin.

Tantum ergo, clouaboutit.
Soulagibi Locadii.





Faut que j'tabate !

A Monsieur Edgard Piquet.




Vo n'avé pas connu l' bouen abbé Dalibert,
Qu'était t'churé amont l' Bocage;
Il avait p't'êtr' chinquante ans d'âge,
Mais comm' no dit quiqu'fais, il était co bi vert.
Sûr' ment qu' c'était la crèm' des hommes,
Je l' vais co là d'vant mé, çu paur' bon vieux t'churé,
D'avec san teint bi frais, un p'tit brin couleuré,
Surtout l's'années qu'y' avait dé pommes.

J' cré bi que l' bon Dieu l' protégeait,
Tell'ment qu' tout l'i réussissait;
Il avait terjous eu d' la chance,
Mais dam' la plus grand' qui l'i vint,
Cha fut l'année où qu' c'est qu'i print
Comm' chambérièr' la gross' Constance.

Ah! dam', no n'en fait plus, dê bouenn's servant's comm' cha;
L' moule en est bi perdu, jamais no n' le r'trouv'ra.

N'import' qui qu' no voulût, oll' tait propre à tout faire;
O vo dressait un lit dans tout' la perfection,
Et brin faignant' du tout, l' cassait à l'occasion;
Y'en a qui critiqu'nt cha, qui f'raient bi mue de s' taire,
Et pus; au surplus d' tout, Constance et san t'churé
Faisaient de c' qu'i voulaient, cha n' dait pas vo r'garder.

Là d'ssus, o n'était pas comme eune vieulle effrontée.
J' vo dirais bi'n éiou;
Qu'i faut qu' san paur' bouenhomm' l'y'en baill' core eun' touernée,
Quand c'est qu'i n'a plus l' sou.

Agissant prudemment, Constanc', bi'n au contraire,
Quand son maîtr' voulait jastouaiser,
Avait bi soin de l' modérer;
Quand c'est qu' nos ainm' lé gens, c'est comm' cha qu'i faut faire.

No sait bi qu' l'homm' n'est pas parfait;
L' bon t'churé Dalibert prisait,
Au point qu'il eût plutôt ombélié sa périère
Que d' prendr' du bon taba dans sa gross' tabatière;
N'importe à quel temps qu' no l' véyait,
Y n'n'avait l' nez tout talboté,
Et il airait vendu sa c'minse
Plutôt que de s' passer d'eun' prinse.

Or, v'là t'i pas qu'un coup, au biau mitan d' la nieut,
Y vint quiqu'un au presbytère,
D'mander lé soins d' san ministère,
Por un malad' tout preux d' s'en aller t'chu l' bon Dieu.

L'agonisant d'meurait à l'autr' bout d' la commeune,
Et comme y n'était pas hardi,
Il emm'nit Constanc' d'avec li;
C'était dans l' mouais d' juillet, par un biau clair de leune,
Y s'en fur'nt tous lé deux d'visant,
Su l' malheureux qu'était mouérant ;
Mais v'là t'y pas qu' su la bér'yère,
L' t'churé trachit sa tabatière
Por prendre eun' bouenn' prins' de taba ;
Y trachait dont, par ci, par là,
D'vant sa servant', tout' ébaubie,
Qui le r'gardait, la goul' baîllie.
« - Ah! Mais, qu'i dit, n'y'a pas moyen,
« Ma pauvr' fill', j'en' ai trop besoin,
« Faut que j' la trouv' ; tiens-moi ma canne,
« Que je 'déboutonn' ma soutane. »
Et apreux cha, comm'de raison,
Y fouillit dans san pantalon.

Oui mais, v'là qu'la bouenn' gross' Constance
Véyant toute c'te manigance,
L'i dit : « - Moussieu l't'churé,
« Qui qu'c'est dont qu'vo traché ? »

« Tu t'en dout's peut'êtr' bien, qu'i l'i dit, scélérate,
« Hélas! ma bonn' Constanc', n'y a pas, faut que j' tabate. »

Y voulait dir’, par là,
Prendre eun' prins de taba ;
Mais Constanc', compernant c' mot là 'd'eune autr' manière,
L'y dit: « - Moussieu l' t'churé, j' devrais m' mettre en colère,
« J 'sai bi qu'd'avec un maîtr' comm' vous'
« No 'n'y guett' pas, mais enter nous,
« Por çu coup-là faut que j' dispute.
« En vérité, j'cré bi
« Qu' vo dev'né enragi,
« Vo z'ett parté, y'a chins minutes ! »







Le Temple de l'Amour

A Monsieur Camille Desbans.



Vraiment, la langu' française est eun' langu' bi féconde,
Olle est bi riche en expressions;
Rin qu' por nommer la port' par où qu' no vient au monde
Cha s' dit d' peut' êtr' plus d' chent fachons.
Ya d's' espèc's d'écriveux d' sornettes,
Qui dénoinm'nt cha l' Temple d' l'Amour;
Aut's fais, c'était dé troubadours,
A c't' heu', no les appell' dé pouëtes ;
Por cé bailleux d' goul' là, qui n' vo caus'nt qu'en rébus,
Cha s'appell' core itou la chapell' de Vénus;
Y'en a co d'autr's qui dis'nt que ç'est l'îl' de Cythère,
Et qu' faut qu' celui qu'y va s'embarque avec mystère.

Pacifique Lamendé,
Du bourg de Campandré,
Causait d' ces objets-là, en langu' bi moins fleurie;
Car çu paur' vieux bêtias
Allait disant tout hât
Qu’il 'tait sûr que cha n'tait qu'eun' vieull' goule enragie.

Faut dir' que Pacifique avait certain's raisons
Por traiter pareill'ment des objets si mignons.
Malgré qu' cha n’ sé pas à sa glouère,
J' vas vo conter tout d' même l'histouère,
Et porqui qu' Lamendé.
Avait la cruauté
D' traiter comm' cha en bêt's féroces
C' qui fait l'attrait d'un jour de noces.

L' paur' garçon était v'nu jusqu'à sé vingt-chinq ans,
Sans connaîtr' rin dé fill's, ni d' leux p'tits agréments.
Et y r'fusait terjous sa mère
Qu'airait si bi voulu qu' san gas
Epouse eun' gentill' ménagère,
Por l'y'aindi à fair' tout san cas.

Por décider san Nicodème,
O s'avisit d'un stratagème.

Y'avait leux p'tit' servant', qu’avait dû, plus d'un coup,
Comm' c'est qu' no dit quiqu'fais, d'bi preux veie péter l'loup ;
En plus d'cha, la pétiote
Etait guérie d'êtr' sotte;
La bouenn' femm' l'y d'mandit d' déniaiser san garçon,
O promint d'y mettr' toute s'n érudition.
Oui mais, la p'tit' servant', qu'était farceuse en diable
Et voulait s'amuser ès dépens du bégas,
Trouvit l' moyen d' l'y jouer un tour abominable,
Qui l' dégoutit d' Vénus et mêm' de san p'tit gas.

Nos avait j'té sû la mâlière,
Un jeune agné qu'était quervé;
Olle en ramassit la mâchouère,
Qu'olle eut grand soin d' bi nettoyer;
Vos allé vaie comm' la mâtine,
A la persécution
De s'n'innocent patron,
Empél'yit c'te cruelle machine.

C'est tout d' mêm' malheureux, qu' por amuser lé gens.
Faut leux conter l' malheur des autres:
Tout en faisant lé bons apôtres,
Y z'ont l'air de lé plaindre et rient à leux dépens.
Qui qu' vo voulé qu' j'y fache,
C'est l'éternell' grimache;
No rit d'un homm' qui tumb' sû l' t'chu,
No' pleur' d'un qui trouve un écu.
Et à c't' heu', si j'étais un conteur impudique,
Comm' c'est, hélas! malheureus'ment,
Qu'y s'en rencontr' bi trop souvent,
J'vo racont'rais comment qu' l'innocent Pacifique,
Qu'avait co sa candeur,
S'trouvit, por san malheur,
Happé dans lé filets d' la gentill' chambérière,
Qui, por l' déniaiser, y mint tell'ment d'action,
Qu'y s' trouvit dans san lit, por la dernièr' leçon;
Mais l' paur' gas, dans s'n ardeur, por aller à Cythère,
S'embarquit bi trop hardiment,
Car, tout d'un coup, v'là qu'eun' morsure
L'y fit pousser un hurlement:

C'était la perfid' cairiature
Qu'avait, dans la mâchouèr', happé l' malheureux gas,
Qui s'écappit bi vit', faisant des ta la las !

Apreux s'êtr' vu traiter, avec tant d' barbarie,
Par l' fameux Temple d' 'l'Amour,
Lamendé nommait cha tout court,
Comm' c'est que j' vo l' disais: eun' vieull' goule enragie ;
Et depuis c't' affair' là, l' paur' garçon s' promit bien
D' s'écapper dé fumelles,
Qu'o saient vilain's ou belles,
Mais, sieuvant l' vieux proverbe: y n'faut jurer de rien.

Tout s'oublie,
Dans la vie;
Deux ou' trouais ans apreux, v'là qu' not' paure innocent,
Par eun' jeun' veuv' du voisinage,
Fut presque d'mandé en mariage.
La femme, y n'y t'nait pas, mais il ainmait l'argent,
Et comm' la gentill' veuve était bi fortunée,
Notre amateur d'écus acceptit l'hyménée.

Por célébrer çu mariag' là,
La neuche s' fit en grand gala,
La bell' mariée, chaud' comm' la braise,
Avec dé z'yeux bien doux,
Guettait san triste époux,
Qu'était plutôt mal à san aise;
C'est qu'il avait l' souv'nir cuisant
D' la 'mâchouèr' malfaisante,
Avec qui qu' sa servante
Vo l'avait mordu jusqu'au sang.

« Enfin, que s' dit not' Nicodème,
« J' m'en vas bi tout examiner,
« Mais si s'n affaire est fait' de d'même,
« J'vas bi sûr pas m'y fair' happer.»

Quand donc arrivit l'heur' fatale,
Il entrit dans la chambr' nuptiale,
Mais au lieu, do sa femm', d'aller prompt'ment s' couchi,
Y restit planté là, n'osant s'en aperchi.

La mariée, por l'amour, n'avait guèr' de patience,
Et quand o vit l' paur' gas
Rester dans l'embarras,
O s' doutit qu'y manquait total'ment d'expérience.

Por arriver au' résultat,
Qu'o n' voulait pas manqui por cha,
O vit bi qu'y fallait qu'o commench' la permière.
Et por cha, dans tous ses atours,
O l'y fit vée l' Temple d' l'Amour,
L'invitant à y'entrer, por y fair' sa périère.

Comme y la guettait du coin d' l'oeil,
Olle espérait un tendre accueil,
Il airait bi voulu, l'offre était si tentante,
Mais, quand, à san grand r'gret,
Il eut bi constaté
Que l' Temple était pareil au sien d' la p'tit' servante.

« - Hélas ! qu'y dit, qu' j'airais d' chagrin,
« Ma fé ! qu'un autr' que mé s'y coule;
« Le v'là déjà qu'ouvre la goule,
« Por sûr que lé dents n' sont pas loin ! »





Fais-li vée !

À Madame R. Thurin.





La vieull' Mariann' Cauvet, qu' nos app'lait « la Cauvette »,
Etait bouenn' femme assurément,
Mais dame! o causait si drôl'ment,
Qu' tous lé gens du pays s'amusaient d' sa tapette;
Olle estropiait
Tout c' quo disait;
N'importe éiou qu'oll' tait, y fallait qu'o débite
Terjous d'avec dé drôl's de mots,
Qu'olle empélyait mal à perpos,
Mais por bi s'expliqui, o causait bi trop vite.

Ulalie, sa jeun' fille, eun' raid' gentille éfant,
Qui pouvait bi'n avé comm' dans lé dix-huit ans,
Avait bi'n à souffri d' sa mère,
Et o faisait
Tout c' qu'o pouvait,
Por arriver à la fair' taire.

Or, v'là t'y pas qu'un jou, qu'os étaient tout's lé deux,
Assis's devant leux porte, à faire d' la dentelle,
Por mettre ès attifias dé dam's et dé d'mouéselles,
O vir'nt un bon t'churé qui s'arrêtit d'vant eux
Et leux dit d' bi voulai l'y' indiqui l' presbytère.

« - Ma fé oui, qu' dit la vieull', c'est bi'n aisi à faire,
« Vo véyé bi l' chemin que v'là tout drait d'vant vous,
« Vos allé l'enfiler quasiment jusqu'au bout,
« Apreux cha, vos allé dévaler la cavée
« Et découvri l'églis' qu'est en hât d' la montée;
« Vos allé la longi jusque t'chu l' maricha
« Qui d'meure en bas d' la côte; eun' fais arrivé là,
« Y n' va plus vo rester qu'un p'tit crochet à faire,
« Et vos allé tumber tout drait sû l' presbytère.
« Comm' cha, j' cré bi, moussieu l' t'churé,
« Qu'vo n'allé pas manqui d' trouver. »

« - Faut croir', dit l'bon pasteur, que je n' suis guère habile,
« Après ces ch'mins à parcourir,
« Et puis l'église à découvrir,
« Tomber su l' presbytèr', je n'vois pas ça facile.

« - Attendé, qu' dit Marianne, y a core un autr' moyen,
« Véyons té, Ulalie, tu connais bi l' chemin;
« Au lieu que d' rester là, assis' comme eun' poupée,
« Pus qu' c'est qu' çu paur' moussieu
« N' peut pas trouver tout seu,
« Allons véyon', lèv' dont tan t'chu et fais-li vée ! »





Le Pain Bénit

A Monsieur François Débrix.






Enter el' fromage et la pouère,
A c't' heu qu' j'avons fini d' daînner,
Faut que j'vo conte eun' bouenne histouère,
Por vos' aindi à digérer.

O s' passit dans man vieux Saint-Georges,
Où que j' sus nê et mal bâti,
Et iou qu' no veit d' si biaux camps d'orges,
Faire onduler leux blonds épis.

Faut dir' qu'aut'fais, dans not' paroueisse,
No n'tait pas impies comme à c't' heu,
Et nos allait périer l' bon Dieu,
Tous lé dinmanch's, à la grand' messe.

Es grand's fêtes d' l'année, y'avait du pain bénit,
D' la belle galette dorée,
En pât' bi'n amendée,
Qu' lé gens rich's, tour à tour, s'empressaient à fouerni.

Parmi ces personn's bifaisantes,
Y'avait la bouenn' maitress' Dubos,
Eun' femm' co bi'n appétissante,
Surtout por ceux qui n'ainm'nt pas ls 'os ;
Comm' c'est quand no prend d' l'âge, olle était bi dodue,
Mais san plus triste inconvénient,
C'est qu'à la sieut' d'un accident,
La paur' malheureus' femme était restée jodue ;
Olle était souerde comme. un pot,¬
Et n'importe c'que no l’i dise,
Qu' cha sé compliment ou sottise,
O n'en entendait pas un mot.

C'est cha qui fut la caus' du fait que j' vo raconte,
Et c'te paur' mèr' Dubos, depus, en eut bi honte.

Cha s' trouvait dont san tour d'offrir l'pain bénit
De qui qu'oll' 'tait bi'n ambitieuse.
Mais v'là t'y pas qu' la malheureuse
S' trouvit à court de beurr', quand o s' mint à l’ pêtri.
Tout'fouais, comme y fallait qu'o s'hâte,
Et qu'o t'nait à la qualité,
Olle y mint un p'tit brin moins d' pâte
Afin qu' y sé bi'n amendé.

Justement cha s' trouvait por la fêt' patronale,
Et conim' c'était l'usag', l' t'churé, por çu grand jour
Avait comme invités quiqu's t'churés d'alentour;
I's étaient là, dans l' chœur, chacun dans une stalle,
Et dame. y s' minr'nt tous à guetti
Quand c'est qu' la bouenn' femme arrivit.

D'avec san pain bénit couvert d'eun' blanch' serviette,
San panier à san bras, et d'un pas majestueux,
O fut jusque dans l' chœur devant tous cé moussieus,
Qu'écarquillaient les yeux por vée la bell' galette.

Or, dans l'effort qu'o fit por mettr' san pani bas,
O lâchit un gros pet, mais o n' l'entendit pas,
Et cair'yant qu'y trouvaient l' pain bénit trop modeste,
Car y s' pinchaient tous l' nez, cairgnant qu' cha n' les empeste.

« - Ah! dame ! excusez-en, qu' dit la maitress' Dubos,
« Si j'avais eu plus d' beurr', j' vo l'airais fait plus gros ! »




Le Goulu attrapé

À Monsieur Henri Richard.



Dans not' bon pays du Bocage,
No n'haït pas lé cont's plaisants
Et j'en ai ouï, dans man jeune âge,
D'aucuns qu'étaient bi'n amusants.

Je m' rappell' que not' couturière,
Quand o v'nait coudre à la maison,
En savait dé drôl's à fouaison,
Qu'o racontait mue qu' sa périère...
Olle est où qu' c'est qu' j'irons tert-ous,
C'te paur' vieull' Désirée Monique,
Qui no faisait rir' comm' dé fous,
D'avec sé cont's si drôlatiques.

J' cri bi qu' c'est la chos' d'en causer,
V'là qu'y me r'pass' dans la cervelle
Eun' de sé plus joyeus's nouvelles,
Qu’olle ainmait tant à raconter;
Olle est p't'êt' bi un brin légère,
Mais l’ diable sé dé mal plaisants,
Qui n' rient jamais qu' du bout dé dents !
La vlà, por lé mettre en colère.

J' vas vo la dir' comme j' la sais;
D'apreux la bouenn' Moniqu' de qui que j' la répète,
Paraît qu'o s'est passée au pays d' la Happette,
Où qu' c'est lé pies qui côqu'nt les guais. (1)
Y'avait, dans c' pays-là, eun' bouenn' femm' restée veuve
D'avec un grand garçon, et y faisaient valai,
Ensemble, en s'entr'aindant, eun' ferm' que nos app'lait,
J' n'ai jamais su por qui, la ferm’ de Porte-Neuve.

L'gas n'était pas chargi d'esprit,
Mais il avait bouen appétit;
Il 'tait connu par sa bêtise
Et co pus por sa gouermandise.
Surtout, c' qui l'i semblait l'meilleu
Parmi lé choses d'la mangeaille,
C'était eun' belle et bouenn' volaille,
Rôtie au bouais, d'vant un bon feu.

Sa mèr' qu'était déjà âgie,
Airait bi voulu qu'i s'marie,
Car la bouenn' femme n' tenait pas
A l'ssi çu paur' malheureux gâs
Marchi tout seu dans l'existence
D'avec sa triste intelligence;
Faut dir' qu'il 'tait bi'n ignorant
Du mariage et d' ses agréments;
Y n' manquait pas d' fill's dans l'village,
Dé gentill's blond's, dé breun's itou,
Mais cha n' li disait rin du tout,
Y n' voulait pas s' mettre en ménage
Et s'rait resté longtemps comm' cha,
Sans qu' sa bouenn' mèr', qu'était pas bête,
Trouvit un moyen dans sa tête
Por 1'i fair' lâchi l' célibat.

Pendant qu'il 'tait à la quérue,
O fit rôtir un biau poulet,
Qu'était si joliment doré
Qu'y vos en réjouissait la vue;
Apreux cha, o s'en fut s' couchi.
Et quând sa bêt' de gâs rentrit,
O mint par sous la couverture,
Enter sé gambes, l'biau poulet;

Man cont' paraît p't'êt' indiscret,
Mais c'est la vérité tout' pure'
Et pus, au surplus d' tout,
Y n' faut pas tant d' mystère,
Si cha vo met colère,
N'allé pas jusqu'au bout !

A c't' heu, mé bons amis, por vo fini m'n' histouère,
Quand c'est qu' not' gas rentrit,
Qu'y vit sa mère au lit,
« - Hélas ! qu'i dit comm' cha, ét' ous malad', ma mère ? »
« - Dame oui! qu'o dit; cha n'va pas bien
« Et d'avec cha, j'ai du chagrin;
« Pourrait s' fair’ que bitôt j' vienne à quitter la vie
« 'Et de c' qui m'fait l' plus d' deu,
«C'est de t' laissi tout seu ;
« Por que j' m'en aill' contente, y faudrait qu' tu t' maries. »

« - No dit que d' prendre eun' femm', c'est s' mettr' la corde au cou,
« Por mé, qu' répondit l' gâs, j' m'en méfie comm' du loup. »
La bouenn' femm', tout douc'ment, soul'vit la couverture
Et c' qu'aperçut l' gouermand li changit la figure;
« - Qui qu' c'est dont qu'cha, maman ? qu'y dit, tout ébahi,
« No dirait quasiment qu' c'est un poulet rôti ? »
« - Bi sûr que c'en est un, qu'li dit la vieull' rusée,
« Un biau poulet rôti et tout' femm' qu'est mariée
« En met un tous lé soirs comm' cha,
« Por san mari, dans c't' endrait-là. »

« - Les homm's mariés font donc tous lé jours la ripaille,
« Qu' répondit not' goulu, mordant dans la volaille,
« Cha leux est bi'n aisi,
« De s' régaler d' rôti;
« Ma fé, qui qu' no n' f'rait pas por du bon comestible,
« Mariez-mé dont, maman, l' plus tôt qu'i s'ra possible;
« Chouaisissé la bru qu' vo voudré,
« La-d'ssus man goût s'ra l' mêm' que l' vôtre,
« Por mé, je m' fous d' l'eun' comm' de l'autre,
« Porvu qu'olle ait un biau poulet.»

Y' avait dans l'autr' bout du village
Eun' bouenn' gross' fill' de dix-huit ans,
La bouenn' femme n' perdit pas d' temps,
Et fut la d'mander en mariage.

La neuche eut lieu un mouais àpreux,
L' marié paraissait tout joyeux;
Y n'avait d'yeux qu' por la mariée;
Dam' c'est qu'o r'présentait por li,
En plus d'eun' femme, un bon rôti,
Et tous lé jours à coeur d'année,
Y s' régal 'rait
Tant qu'y voudrait.

Y paraissait tout feu, tout flamme:
Aussi, quand lé d'mouésell's d'honneur,
Li permettir’nt, por san bonheur,
D'aller au lit r'trouver sa femme,
Y mint la main vite à l'endret,
Eiou qu'i d'vait trouver l' poulet,
Qu'était censé sorti d' la broche;
Mais y restit
Tout ébaubi.
« - Hélas! qu'i dit d'un ton de r'proche,

« El' sien à ma paur' mère était mieux acc'modé,
« Car il 'tait bi rôti; l' tien n'est co pas pleumé ! »

__________
(1) Guai, c'est le nom du geai, en patois.





Les Oies perdues


A Madame Charles Jacquier.




Pus qu' vo voulé d's histouèr's, j'vas vos en conter eune
Qu'a p't'êt' bi plus d' chent ans, c'té là n'est donc pas jeune.

« - R'garde donc, Désirée, disait l' t'churé d' Coulvain;
« Viens donc voir les deux oies
« Qu'un paroissien m'envoie;
« Je crois qu' dans tout l' pays, on chercherait en vain.
« Pour trouver les pareilles,
« Vrai, ce sont deux merveilles. »

« - C'est vrai, qu'dit la servant', que v'là deux bêt's superbes,
« Mais, sauf meilleur avis, avant d' lé mettre à l'herbe,
« J'allons bi fair' de lé marqui;
« En v'là terjous là eun' porqui
« Que n' y' a pas d' marque à faire,
« Car v'là eun' bell' taqu' nère,
« Qu'olle a, sous, l' respect que j' vo deis,
« Aupreux du tchu, moussieu l' t'churé;
« No va couper la queue à l'autre
« Et si, do lé sienn's ès vaisins,
« O vont couéri amont lé ch'mins,
« No r'connaîtra terjous lé nôtres. »

Là d'ssus, comme o vit bi que l' t'churé l'approuvait,
O fut qù'ri sé cisiâx et coupit l' biau pleumet.

Tous lé matins, la Désirée
Avait bi soin d' lâchi les ouées,
Qui s'en allaient amont lé camps,
L'un' par derrièr', l'autr' par devant ;
Quand oll' taient saôl's, au presbytère
O s'en r'venaient, sans plus d'mystère.

Cé bêt's là sont plus fein's que leur réputation.
La Taqu'-Nère et la Queue-Coupée,
Quand no l's app'lait à la pâtée,
N' s'y trompaient brin du tout sachant qu' c'était leux nom.

Tout cha marchait trop bi. Quiqu's jours apreus, hélas !
Malgré qu'i s' faisait tard, les ouées n' r'arrivaient pas.
Mais au lieu d' perdr' la tête
Au sujet d' leux bell's bêtes,
O s'en fur'nt tous lé deux, la servante et l' t'churé,
Couéri amont l's herbag's por tâchi d' lé r'trouver.

Y'avait déjà longtemps qu'i trachaient leux volailles,
Quand c'est qu'i's arrivir'nt dans l' pré à maîtr' Lacaille.

« - Regardons, qu' dit l' pasteur, de chacun un côté,
« D 'un' grand' haie que voilà, les oies aim'nt à s' cacher.
« Pour retrouver les nôtr's j' crois qu' c'est notr' dernièr' chance,
« Cherche donc bien, ma fill', cherche avec persistance. »

En marchant d' chaqu' côté, arrivés presque au bout,
V'là qu' par dessus la haie, D'sirée crie tout d'un coup:
« - Victouèr' ! moussieu l' t'churé, en v'là eun' de r'trouvée.

« J'ai la « Taqu' Nère au t'chu », avous la « Queue-Coupée ? ».





L' Divertisseux


À Monsieur René Perrotte.




Y s' trouv' quiqu'fouais dé maladies
Qui s' jett'nt comm' cha su l' corps humain,
Qu'eun' paur' femme est bi'n affligie,
Quand faut qu'olle aill' trouver l' médecin ;
C'est qu' cé gas-là sû la nature
Es femm's pos'nt quiqu'fouais dé questions
Qu' cha gên' bi lé paur's cairiatures'
Su la pudeur… quand o's en ont.
Portant, lé mâtein's de bôquines
N'ainm'nt pas rester la goul' sous l' nez,
Et por répondr' su la méd'cine,
Trouv'nt dé bons mots dans leux patouais.

Y'avait la femme à Jean Dardenne,
Un coup qu'o s'en fut l' consulter,
Qu'en répondit comm' châ eun' bouenne
Au paur' défunt méd'cin d'Aunay.
Olle avait d's espèc's de coliques. ¬
Et fut dont l' veie à caus' de cha,
Mais comme y voulait qu'o l' y' explique
L’endrait bi juste iou qu'était l' ma' :

« - Dam', qu'o l'i dit, j' sieus bi gênée
« Por vo dir' cha, man bon moussieu,
« C'est à la pointe d' la couérée ;
« J'en souffre tant l' jouer et la nieut,
« Que n'y' a dé coups qu' j'en sieus tout' pâle
« Et c'est comm' si no m' rabûquait
« Dans l' ventre avec eun' fouerque à mâle ;
« C'est-i' cha qu' vo vouliez saver ? »

« - Mais non ! mais non ! ma bonne amie,
Qu' dit l' méd'cin qui s'impatientait,
« Faut m' dire où est votr' maladie,
« Afin que j' puiss' vous soulager. »

« - C'est là, qu'o dit, au coin du ventre;
« J' vos expliqu' portant cha d' man mieux ;
« Juste au mitan, comm' cha là, entre
« El nombrin et l' Divertisseux ! »
 





Le Bénitier gelé


A Monsieur Joseph Duval.




V'là v'ni la p'tit' Naunon, la fille à Jean Pitou,
Du fond du villag' de Courcelle,
Et, bi camarad' d'avec elle,
L'autr', c'est la grand' Julie, du même village itou.

Où donc qu'o vont comm' cha, lé deux jolies Bôquines,
Que v'là qui font dé si grands pas,
Bi muchies sous leux afflubas ;
J' cré qu' c'est d' couéri comm' cha qui leux baill' si bouenn' mine
l' somm's à la veill' de Noël, et dame, y fait bi fraid,
Malgré qu' sû la route, o chabot'nt,
Cha n'empêch' pas lé deux pétiotes
D' causer de c'te grand' fête avec bi d' la piété.
O s'en vont dont comm' cha, tout's lé deux à confesse,
Por a r'cevé l'absolution,
Qu'y leux faùt por la commeunion,
Qu'o f'ront l' lendemain, à la grand' messe.

« - Mé, qu' dit la p'tit' Naunon, j'ai d' qué qui m' dérang’bi :
« J'cré qu' j'ai fauté su la décence,
« Et j'ai bi poue d' la pénitence,
« Que va m' donner por cha not' vieux t'churé Jean-Louis. »¬
« - Mais dam', que dit Julie, j' sieus ptêt' pas innocente
« Enn' tout su c’te gueuse d'affaire là ;
« Si tu savais de c' que j'ai d' ma
« D'avec el gros Maclou qu'est terjous qui m' touermente ;
« Enfin, no va bi veie c' qué va dir' not' t'churé.
« Tu vas passer la permière,
« Por l'i raconter t'n affaire,
« Et s'il est trop méchant, mé j' m'en vas m'en r'touerner. »

Tout en d'visant comm' cha, o s'arriv'nt à l'église ;
Oui mais, dans l' bénitier
L'iau bénite avait g'lé;
Fallut casser la glac' por en prendre à leux guise !

Comme i's avaient conv'nu, cha fut d'abord Naunon
Qui s'en fut comparaître,
Bi dévot'ment,' d'vant l' prêtre,
Tremblant qu' por san péché, y n' l'i r'fuse el' pardon.
Oui mais, pendant c' temps-là, qui qu' faisait not' Julie ?
Por écouter lé compliments
Qu'allait r'ceveir la paure éfant,
Preux du confessionna o s'était aperchie ;
Et v'là qu'olle entendit l' t'churé qui s'ébairiait :
« - Misérable indécente,
« Vous avez, impudente,
« Osé mettre la main sur un pareil objet;
« Allez, pour implorer du Seigneur l'indulgence,
« Allez plonger, sortant d'ici,
« La main qui s'est souillée ainsi,
« Deux heur's dans l'bénitier, en faisant pénitence. »

« - Eh! qu' dit la grand' Julie, j' vé bi c' qu'i m'arriv'rait
« Si j'allais à confesse,
« Raconter ma faiblesse;
« Ma fé, y' aill' qui voudra, j' m'en r'vas t'chu nous tout dreit. »
Et d’taller not' Julie, d'avec sé p'tits chabots,
Qui s'écappait bi vite;
Oui mais, v'là qu'à sa suite,
L' t'churé, qu'était sorti, la rappelle aussitôt.
« - Eh! qu'i li dit, Julie, c'est à vot' tour, ma fille. »

« - Ah ! mais, qu'o dit, Moussieu l' t'churé,
« J'airais bi voulu m' confesser,
« Mais vos êt's trop sévèr' por lé p'tits' peccadilles ;
« J' vé là, por bi peu d' chos', Naunon qu'a sa paur' main
« Trempée dans l'iau glachie ;
« D' qué faire eun' maladie;
« Mé qu'ai péchi de d' même j' tremp'rais dans l' même bain.

« Mais cha n'est pas la main, cheux mé, qu'a fait l'offense,
« Et si, por man péché,
« Dans l' bénitier qu'est g'lé,
« Vo vouliez, comm' Naunon, m'env'yer fair' pénitence,
« Cha s'rait bi pis, man doux Jésus,
« Car faudrait que j' m'affouerque d'ssus !... »





Arthémise, la mal servie


À Monsieur Charles Chardine.





Quand Pacifique Touchard,
Epousit sa femme Arthémise,
Y n'tait jamais en r'tard
Sû la chose d' la paillardise.
La gentill' dame était, là-d'ssus,
Comm' c'est qu' no dit, un brin gouermande,
Mais sans qu'o l'yen fass' la commande,
Y l'i baillait c' qui l'y était dû.

Arthémise était bi d' sept, huit ans, la plus jeune,
Aussin quand Pacifiqu' commenchit à s' vieuilli,
Fallut bi qu'o s' restreigne un brin su san plaisi ;
Y'en a qui riraient d'cha, mé j' plains bi s'n inforteune.

D' couchi si souvent dos à dos,
Cha l'y avait changi l' caractère
Et sans por' cha s' mettre en colère,
O l' chicanait à tout propos.
O s' comparait à ses amies,
Qu' l'homme à eun' telle était biau gas,
Que l' sien d'eune autre n' calait pas.
Et qu'ell', c'était la mal servie.

Çu paur' brave homm' de Pacifique
Ecoutait cha bi tranquill'ment ;
Y n' manquait portant pas d' réplique,
Mais s' taisait core l' plus souvent.

Y's avaient eu, d' leux catt'  Tempête,
Un jeun' cat qu'i's avaient él'vé ;
L' bouenhomme ainmait bi la p'tit' bête
Et bi souvent s'en amusait.

Un jou qu'assis preux d' la ch'minée,
Y sommeillait d'vant lé tisons,
V'là t'y pas qu' sa culotte à pont
S' trouvit censé déboutonnée ;
L' petit cat, qu'arrivait,
Vit quiqu' chos' qui pendait
Et s' dressait déjà su sé pattes;
Mais Arthémis', la scélérate,
S'mint à cairier derrièr : « - Veux-tu bi laissi cha ! »
« - Allon! qu' l'i dit l' boùenhomm', laiss' dont c' cat-là tranquille. »

« - Pardié ! J'sais bi ! qu'o dit, qu' c'est l' mieux vu d' la famille ;
« Quand y'a un bon morcé, c'est terjous por el' cat ! »





Confiance céleste

À Monsieur Raoul Bougeret.




Y'avait la gentill' femme au custos d' Vaucougrain,
Por lé choses d' l'amour, qu'avait l' coeur su la main.
Et, dès l' matin, trouvait les moyens d' satisfaire
San brave homm' de custos, l' t'churé et san vicaire.

Dès l' matin, à six heur's, partait çu bon custos,
Por aller, au vicair', répondr' la permièr' messe,
Pendant c' temps-là, l' t'churé, d'avec sa bouenn'  bougresse;
S' mettait bi vite en train d' fair' la bête à deux dos,
Et apreux s'en allait à san tour à l'église,
Dir' sa mess' que l' custos, aussi, l'i répondait,
Pendant que l' bon vicaire, à san tour, s'en allait,
Do sa femm', satisfair' sa vilain' paillardise.

Cha durait d'puis longtemps comm' cha,
Sans qu'aucun d' ces deux pasteurs-là,
Sach' qu'i mettaient tous deux l' nez dans la même écuelle,
Et çu paur' bon custos,
Airait parié bi gros
Et mis la main au feu qu' sa femm' l'y' était fidèle.

Ces affair's-là marchaient trop bien,
Car, v'là t'y pas qu'un biau matin,
L' paur' t'churé s'endormit d'avec la ménagère
Et qu'i fûr'nt réveillis par el' bruit d' la barrière,
Qui fermait la p'tit' cour précédant la maison;
Y' s'en manquir'nt tous deux d' tumber en pamouéson ;
« - Hélas! qu'dit la donzell', d'eun' vouaix épouvantée,
« C'est m'n homm', moussieu l' t'churé, montez vit' l'escalier,
« Y'a là, au-d'ssus d'not' lit, eun' soupent' pas fermée,
« Tâchez d' vos y muchi, pendant que j' vas l' renv'yer.

Cha n'était pas l' custos, mais l' paillard de vicaire,
Qu'arrivait l'oeil ardent,
Et s' mint incontinent
A caresser la belle, au lieu d' lir' san bréviaire;
Mais pendant qu' sans souci, y pernaient leux ébats,
La punition d' leux crime arrivait à grands pas.

L' custos, n' véyant pas v'ni l' t'churé por dir' sa messe,
A sa maison r'venait tout dreit,
Et l' bruit d' la barrièr' qui s'ouvrait
Interrompit du coupl' les coupables caresses.

« - Bi vit', que dit la femme au vicair' déconfit,
« Muchez-vous dans la v'nelle et surtout n' fait's pas d'bruit.»

Ah! dame, il était temps, l' bon custos, sans méfiance,
V'nait d' pénétrer dans la maison,
Et, poussé par la tentation,
Y s'approchait du lit, l'oeil plein d' concupiscence.

« - Hélas! qu'dit sa femm', véyant bi
« Eiou qu' c'est qu'i voulait en v'ni,
« Tu sais bi, man paure homm' que j' somm's dans la misère,
« Tu n'as donc pas d' raison, j' vé bi c' que tu veux faire,
« Et si malheureus'ment y no v'nait un éfant,
« Crairais-tu qu' cha suffise,
« Ta p'tit' plache à l'église,
« Por nouerri c't' éfant-là jusqu'à c' qu'i devienn' grand. »

« - Mais, qu' dit l'custos, pensant à la bonté divine,
« J'ai confianc' que l'sien qu'est là-hât
« N' no laiss'rait pas dans l'embarras
« Et qu'i nos enverrait du lait et d' la farine. »

L' malheureux t'churé, qu'entendait,
Crut qu' c'était d' li qu'i s'agissait,
Mais comme y savait bi (sans qu'i l'y eût vu la face)
Que c' n'était pas l' custos qui l'y avait prins sa place :
« - J'accorde tout, qu'i dit, en d'scendant l'escalier,
« Mais je n' veux pas qu'un autre en rie,
« Et s'il faut payer la bouillie,
« Celui qu'est dans la v'nelle en paiera la moitié ! »





Le Beurre malpropre


À Monsieur Auguste Fortin.




La maîtress' Barrassin, fermière à Ond'fontaine,
Qui n'était pas pu c'mod' que cha,
Disputait maleign'ment c' jou-là,
La traitant d' tous lé noms, sa p'tit' servant' Mad'leine
« - T'es qu'eun' malpropr', qu'o l'i disait,
« Tantôt, en plein marchi d'Aunay,
« J'ai core r'çu eune avanie,
« Qu' tan beurre était plein d' salop'rie;
« Mêm' que Pitard, qu'était m'n ach'teux,
« M'a dit y'avé trouvé dé ch'veux.
« N'y a qu' té qui vas dans la lait'rie,
« Arrang' té dont comm' tu voudras,
« Prends l' temps' qu'i t' faut, no n' te court pas,
« Seul'ment te v'là bi'n avertie,
« Sam'di dans l' beurr', si n'y' a co d' qué,
« Tu n'airas qu'à fair' tan paquet. »

« - Hélas ! que s' dit la malheureuse,
« Mon Dieu, qui qu' c'est que j' vas d' veni,
« Si man beurr' n'est pas propr' sam'di. »
Mais, tout d'un coup, o d'vint joyeuse,
Cairyant avai trouvé l' moyen
De l' fair' sans qu'il y tumbe rien.

L' jou qu'o fut por barr'ter, Mad'lein', bi matinale,
Dans sa lait'rie s' déshabillit,
Comm' notr' mère Ev' dans l' paradis.
« Comm' cha, qu'o dit, d'ssus mé y n' va tumber rin d' sale. »
¬Olle en avait tant peux qu'o print la précaution
D' bi coueffi. tous sé ch'veux d'un grand bounnet d' coton
D'eun' fermeture impénétrable.
Y l'i tumbait jusque dans l'cou.
« Comm' cha, qu'o s'dit, cha s'ra bi l' diable
« Si l' beurr' n'est pas propr' comme un sou. »

La crèm' dans la barrette, o s' mint d'avec couérage
A touemer la chouainoll', qu'o n'n' était tout en nage ;
Quand c'est qu'olle eut fini d' barr',ter,
O r'tirit l'beurr' por el' laver,
Et quand la chos' fut terminée,
O l'arrondit en bell' fachon.
Por qui qu'i faut qu' la destinée
Ait fait manqui l'opération ?
Et qui qu'en fut la cause ?
Cha fut, dans l'occasion, un mauvais p'tit valet,
Pas bi propre à grand chose,
Qui vint preux d' la lait'rie et, comme un indiscret,
Guettit par el' trou d' la serrure;
Cairyant faire eun' bouenn' farc', çu mauvais p'tit coquin,
Dans la porte fermée fichit un grand coup d' poing,
Qui fit sauter not' cairiature.

J' cré bi qu' san beurre était maudit,
Car, en sautant, l' pied l'i manquit.
Comne un fait exprès, la malheureus' pétiote
S’en fut tumber su l' t'chu, au biau mitan d' la motte.

« Ah ! qu'o dit se r'levant, d' çu coup là, c'est l' bouquet,
« Man beurr' va core êtr' pière,
« Qu'i n'tait la s'main' dernière,
« Et j'en ai bi deux 1ivr's de collées au fouerquet. »

Eun' pouégnie par devant, eun' pouégnie 'par derrière,
O s' débeurrait
Comme o pouvait ;
Olle y mettait d' l'action, mais v'là qu' dans la dernière,
Olle y vit d' qué d' frisé, qu'olle arrachit viv'ment
Et qu'o r'jetit comm' si qu' c'eût été un serpent.

« - Eun' chanc' que j' m'en sieus aperçue,
« Que s' dit la pétiot' tout émue;
« Si jamais la maîtresse y trouvait d' qué comm' cha,
« O m' fich'rait à la porte et sans certificat.

« Mais, qu'o dit, faut qu' j'ajout' quiqu' chose à ma méthode :
« Por que l' beurr' sé bi propr', quand je l' f'rai l' prochain coup,
« Malgré qu'à c't' endrait là, cha n' sait p'têt' pas bi c'mmode,
« Por qu'i n'en tumbe rien, faudra qu' je l' coueffe itou ! »




L’Abbé Trupot


À Madame Charles Lefèvre.




'ai connu dans man tout jeun' temps,
Un bon t'churé bi'n amusant;
C'était l'abbé Trupot, natif d'aupreux d'Cahagnes.
L'abbé Trupot
N'était pas sot.
Et c'était, au d'meurant, un bon t'churé d' campagne ;
Il 'tait bi vu d' sé parouessiens,
Mais dam', quand il était colère,
Ou qu'il avait dé r'proch's à faire,
Y n'y allait pas par quatr' chemins ;
N'importe où qu'i s'trouvait, même au mitan d' l'église,
L' pasteur, sans aucun' ménag' ment,
Vo déclanchait san compliment ;
Tant pis si dans l' discours, y s' trouvait quiqu'bêtise.

C'était Julie Tancrède, au bas du Bé d'Avis,
Qui blanchissait san linge et r'passait ses surplis.

V'là qu'un jou, not' t'churé s' mint-i' pas dans l'idée
Qu' san linge était
Mal empesé.
Y fut trouver Julie, la têt' déjà montée ;
« - Eh! qu'i l'i dit, est-c' que l'empois
« Est plus cher maint'nant qu'autrefois ?
« J'entends dorénavant, quand tu f'ras mon r'passage,
« Que mes surplis
« Soient mieux raidis;
« Te voilà avertie, j' n'en dis pas davantage. »

« - Ah! qu' dit la p'tit' Julie, vo lé trouvé trop mous
« Et vo voulé qu'à c't' heu', j'y mett' plus d' raid' partout,
« Mon Dieu! la chose est bi'n aisie,
« J' vo l's arrang'rai s'lon votre envie,
« Vos en airé tout votr' content
« Et j' vos en sou'ait' bi d' l'agrément. »

Quand vint l' dinmanch' sieuvant, qu'était jour de grand' fête,
L' t'churé, dans san surplis, n' pouvait pas r'muer la tête,
Dam', Julie avait tant prodigué l'amidon,
Que l' paure homme s' trouvait comme habilli d' carton.

Suivi d' san vieux custos Polyte,
Y s'en fut bailli l'iau bénite,
Quand v'là qu' sur un banc du milieu,
Y vit Julie périant l' bon Dieu.
Et la coquine avait la figur' si moqueuse,
Qu'en la véyant sourir', la colèr' l'i montit :
« Ah ! qu'i s' dit, la voilà qui s' moqu' de moi, la gueuse. »
Et v'là, d'vant l's autr's fidèl's, comme y l'apostrophit :

« - Asperges me... Julie Tancrède,
« Tu m'as mis çà beaucoup trop raide ;
« Satanée ross', tu m' paieras çà,
« Je n' peux pas r'muer dans c' surplis-là ! »
Encor' tout en colèr', v'là qu' sur un banc du fond,
Il avisit la grand' Phrasie,
Qu'était si décoll'tée, qu' no véyait sé nichons,
Et cha le r'mint bi'n en furie.
« - Tu n'as pas hont', qu'i dit, de t'en v'nir étaler
« Ta tripaille effrontée
« Dans un' sainte assemblée,
« Ah ! tu vas voir un peu, si j' m'en vais t' l'arroser. »
Et tout en disant cha, y s'couit su sa pouétreine
Eun' goupillonnée d'iau, qu'olle en perdit haleine,
Et qu' dans san saisiss'ment,
Olle en poussit un gémiss'ment.

Apreux çu biau coup-là, la figur' tout' réjouie,
L' t'churé fit au custos, qu'en restait goul' baîllie :

« - Hein ! Polyte, as-tu. vu
« Comm' je l'y' en ai foutu ! »





La Veuve inconsolable


À Mademoiselle Joséphine Godet.



Y'a d' mauvais gas por lé fumelles,
Terjous à lé faire enragi ;
Por mé, j'ai bi d' l'estim' por elles
Et je n' trach' qu'à lé soulagi.
Châ n' m'empêch' pas, dans' mé p'tits contes,
D' leux mettr' sû l' dos d' qué d'amusant,
Mais je n' dis rin por leux fair' honte
Ni leux causer d' désagréments.
O s'raient p't'êt' bi un brin gestières,
Et quand y leux vient quiqu' malheur,
O font d's ébrais d' tout's lé manières,
Qu' no crai qu'o vont mouéri d' douleur.

No me r'proch' bi souvent man joyeux caractère ;
Agneu, por vo changi, c'est dans la chambr' mortuaire
A maître Ugên' Corbé, qu'était mort du matin,
Que j' m'en vas vo conduir' censément par la main.
Sa veuve, la paur' maîtress' Julie,
Est assis' là, bi'n affligie,
R'gardant, d'un air navré, sé chins gentils éfants,
De qui que l' plus âgi n'a co pas sé dix ans.
Et quand o pens' qu'i's n'ont plus d' père,
O vers' dé larmes bi'n amères.

V'avait co preux du lit un grand solid' garçon,
Qui r'gardait l' paur' défunt d'un air de compassion ;
C'était l' bon gas Victor Patience,
Qui faisait l' métier d' jardinier,
Et qu'avait bitout' la confiance
Dans l' gardin du défunt fermier.
Ayant bi poliment ach'vé sa p'tit' visite,
Y saluit la maîtresse et partit au plus vite.

Julie r'marquait, tout en pleurant,
Du jardinier la bell' prestance,
 Et o savait qu'en travaillant,
Il avait eun' gentille aisance.

A pein' Victor Patienc' parti,
Qu'eune autr' visite l'y' arrivit;
C'était la vieuil' Gusteine,
Eun' de sé bouenn's vaiseines,
Qu'était confite en dévotion
Por tout's lé chos's de la r'ligion.
Et qui l'i dit qu' fallait supporter, dans la vie,
Tout's lé tristes épreuv's que l' bon Dieu nos env'ye.
Mais Julie, au lieu d' cha, gémissait co pu fort
Et qu'a voulait mouéri, pus que s'n homme était mort.
« - Qui qu' c'est que j' deviendrai d'avec ma pouchinée ?
« Ah !, qu'a dit, ma paur' fille, j' sus désespérée. »

« - J' sais bé, qu' dit la Gustein', que votr' malheur est grand,
« Mais faut s'faire eun' raison quand nos a chinq éfants.
« Por supporter votre existence,
« Ma paur' Julie, faut prendr' patience. »

Es grand's douleurs faut pas trop s' fier :
O crut-a pas, la malheureuse,
Qu' c'était d' Patience l' jardinier
Qu' l'i causait la bouenn' conseilleuse.

« - Hélas! qu'o dit comme cha, entre deux gros sanglots,
« Cairy'ous qu'i voudrait d' mé, d'avec mé chins pétiots ? »




Le Haut-du-Temps


À Monsieur Alfred Avenel




Je m' rappell' que dans man jeun' temps,
Quand no causait du « haut-du-temps »,
C'était l'entrée d' l'hiver, quand il est preux d' la porte;
No faisait po c' temps-là dé provisions d' tout's sortes;
Faut qu' no sé prévoyant
Por lé bêt's et lé gens;
Si no veut qu' tout cha sé bi'n' assuré d' sa vie,
Faut mettr' du lard dans l' pot, du foin à l'écurie
Et à bair' dans l' tonné,
Qu'y n' faut pas ombélier.

Mais v'là que l' haut-du-temps m' fait rapp'ler d'un vieux conte
Qui s'rait quasi du bouais,
D' qui qu' no fait lé grivouais ;
J' vas vo l' conter tout d' mêm', j' prends l' péché su man compte.

Y'avait dans l' Pays d' bas, un brave homm' de t'churé,
Qu'avait prins por servante
Eun' bouenn' fill' bi prév'nante,
Et por fair' la cuisine, olle en airait r'montré
A la meilleur' dé cuisinières
Mais por cha, n'n'était pas plus fière;
Seul'ment c'te paur’ Suzon,
Por l'app'ler par san nom,
Avait eun' bi vilaine ohie:
Olle était bête à faire envie ;
La malheureus' cairyait
Tout c' que no li disait.
Et olle était bi'n innocente
Sû c' qui rend l's autr's fills' bi contentes;
O s' passait bi de c't' affair' -là
Et o n' s'en' portait pas plûs ma.

L' bon t'churé li disait: « Tu fais bien la cuisine,
« Mais, ma pauvre Suzon, t'as d' quoi fair' pour êtr' fine;
« Tu n'as pas ta pareill' pour faire un bon rôti,
« Mais j' suis forcé d' te l' dire, tu n'as aucun esprit. »

En exerçant leux ministère,
Lé t'churés ont d' bouenn's occasions;
L' maître à Suzon, au presbytère,
Un jou, r'vint d'avec deux jambons.
« Tu vas, qu'i lui dit, nous fair' cuire
« Un de ces jambons pour demain ;
« Il me sembl' déjà qu' j'en respire
« La bonn' cuisson dans du p'tit foin;
« Le second prendrait bien encore un peu d' fumée,
« Nous faisons du feu d' bois, mets-le à la ch'minée,
« Surtout fais attention à c' qu'il soit bien pendu;
« C'est pour le haut-du-temps, quand il sera venu.

« Il faut encor', pendant qu' j'y pense,
« Que j' te raisonn' sur notr' dépense;
« Ce que nous donnons aux mendiants
« Me paraît bien considérable,
« Et je soupçonn' ces misérables
« D'un procédé peu édifiant :
« Au lieu d' venir un' fois la s'maine,
« Pour quémander un peu d'argent,
« Sachant ta mémoire incertaine,
« Ils doiv'nt venir bien plus souvent;
« Si tu n'es pas assez matoise
« Pour reconnaître ces fripons,
« A l'av'nir tu prendras leurs noms,
« Pour les inscrir' sur une ardoise ;
« Tu n'auras qu'à la consulter,
« Pour, en cas d' fraud' les évincer ».

L' t'churé disait tout cha, la porte enterbâillie,
Sans veie qu'un tracheux d' pain,
Qu'était muchi au coin,
En l'écoutant causer, n'n'avait la goul' réjouie.

C’ mauvais gas-là, voulant en tirer du profit,
Attendit, un biau jou, que l' t'churé fût parti
Et vint sonner au presbytère,
Où qu'était seul' not' ménagère;
Tout d' suit', la brav' Suzon vint veie qu'est-c' qui sonnait,
Et, véyant l' vieux mendiant, li d'mandit c'qu'i voulait.

« - Hélas! qu'y dît, ma bouenn' servante,
« Por mé séyé compatissante,
« Si vo saviez combi qu' j'ai faim,
« Fait's mé l'aumôn' d'un morcé d' pain. »

« - J' veux bi, qu'o dit; oui mais, comment qu' no vos appelle,
« Faut m' dir' vot' nom avant. »
« - C'est bi'n aisi, qu'i dit: por vo servir, mam'zelle,
« J' m'appelle l' Haut-du-Temps.» .
« - Tiens! qu' dit Suzon, tout étonnée,
« Moussieu l' t'churé m'a dit vot' nom;
« Cha s'rait t'i pé por vous l' jambon
« Qu'i m'a fait mettr' dans la ch'minée ? »

« - Je l' savais bien,
« Qu' dit l' vieux coquin,
« Mais vot' t'churé absent, je n' voulais pas vo l' dire. »
« - Cha n' fait rin,qu' dit Suzon, en marchant d' vant l' biau sire.
« Si vo l' voulez, m'n ami,
« La chose est bi'n aisée;
« V'nous en pa là l' trachi,
« Il est dans la ch'minée.
« Vos allé bi l'aveindr', por mé, il est trop hât.
« Montez sû c'te t'chaire ' là, mais méfi'ous d' vo fich' bas. »

« - N'y a pas d' dangi, qu'i dit, quant à mé, ma brav' fille,
« Je n' crains pas l's accidents. »
Oui, mais v'là qu'en montant,
Y fendit, au fouerquet, sa vieull' culotte en gu'nilles.

De c' qu'aperçut Suzon, sa figur' en changit :
« - Ah! qu'o dit, man paure homm', vot' couérée est d'scendue.»
« -Mais non, qu'i dit, mam'zelle, olle est plus hât pendue,
« Et c' que vo véyé là, cha s'appelle d' l'esprit. »

« - Hélas! qu' dit l'innocente,
« Faut qu' vo m' rendiez contente;
« Man maître m' dit terjous qu' j'en ai pas por deux sous,
« Von' allé bi sûr pas m'en r'fuser un p'tit bout ? »

« - Attendez, qu' dit l' vieux gas, qu'était en train d' descendre,
« J' peux pas vos en donner, mais j' peux bi vos en vendre. »

« - Pouvez-vos, qu'o l'y dit, m'en bailli por trouais francs ?
« - A caus' que c'est por vous, j'veux bi », qu'dit l' Haut-du-Temps.

Malgré qu' Suzon trouvît l'opération bizarre,
O s' laissit mettr' l'esprit¬,
Et dans ell' réfléchit
Qu'o ne r'trouv'rait jamais eune occasion si rare :
« - Dit's dont, qu'o dit, j'ai co dix sous,
« Pendant qu' vos y êt's, empél'yé tout. »

Si j'étais un bouenhomme à conter d's indécences
Dans sé moindres détails, j' pourrais vo raconter
Comment qu' triomphit l' vic' de la tendre innocence,
Mais j'ainm'rais mieux qu' no m' coup' la langu' que d'en causer,
J'ai trop d' réserv' por cha; là-d'ssus qu'i vo suffise
D'apprendr' que l' Haut-du-Temps s'acquittit d' sa mission,
Et qu' chins minut's apreux, y partait do l' jambon ;
Trouvez-en 'd'autr's que mé por vo dir' dé bêtises ;
Et d' mé cont's amusants
Voul'ous savé l'excuse ?
C'est que l' sien qui s'y amuse
Rit sans s' casser lé dents.

C'est la' fin de m'n histouèr' qu'est la plus malaisie.
Quand l' t'churé rarrivit, il était tout joyeux :
« - Eh ! qu'i dit, la Suzon, viens par là, mon amie,
« Il nous faut, pour demain, un déjeuner copieux ;
« Tu sais que mes amis aim'nt la cuisin' soignée,
« Or, j'ai quelques confrèr's à déjeuner demain,
« Entre autr's un' fin' fourchett', notre excellent doyen;
« Fais-nous cuir' le jambon qui est dans la ch'minée. »

« - Ah ! mais, qu' dit la Suzon, el' Haut-du-Temps est v'nu,
« Je l'y 'ai donné l' jambon, comm' c'est qu' c'était conv'nu. »

« - Bon! qu' dit l' t'churé, tout en colère,
« Qu'est-c' que c'est qu' cett' nouvelle affaire,
« En quoi s' peut-il que l' haut du temps
« Ait quelque chose à voir là d'dans ?
« Tu n'as donc pas deux liards d'esprit dans ta pauvr' tête. »

« - Ah! mais, moussieu l' t'churé, faut pas m' prendr' por eun' bête,
« Qu' répondit la paur' fill', pardié vo savé bi
« Qu' cha n'est pas pa la têt' que nos achèt' l'esprit ;
« Là-d'ssus, j' vas vo fermer la goule,
« Car dans l'endreit où qu' c'est qu' cha s'coule,

« Çu paur' vieux Haut-du-Temps, qu'en avait un bon bout,
« M'en a mins, à matin, por trouais francs et dix sous ! »





L' Bras tendu et la Goule ouverte


À Mademoiselle Elisabeth Pavie.




Quand j'épousis ma p'tit' Julie,
Olle avait bi dix ans d' moins qu' mé
¬Mais dame ! olle était si jolie,
Qu'o_m' faisait fair' tout c' qu'o voulait ;
Olle était p't'être un brin gouermande
De c' qu' poussait dans man gardin,
Et mé, cairgnant sa réprimande,
J' n'osais jamais l' r'fuser rin.
J' l'i baillais donc, cha fut ma perte,
Dé biaux boubons ferm's et dodus;

J'avais souvent man bras tendu
Et elle terjous la goule ouverte !


V'là quinze ans que j' somm's en ménage
Et cha n' m'a guère avantagi,
J' commench' déjà à prendre d' l'âge,
Mé paur's cheveux sont tout blanchis;
Hélas ! j' n'ai pas la mein' bi fière,
Quand ma femm', qui veut d' qué chuchi,
En r'gardant dans ma bobonnière,
N'y trouv' que deux marrons glachis ;
Adieu, lé jolies prâlin's vertes,
Mé paur's boubons sont tout fondus.

Et quand j' n'ai plus l' bras tendu,
Julie a co la goule ouverte.


J' vas vos avouer, en tout' franchise,
Que j' comptais bi tout bontiv'ment,
Qu'étant à court de fériandise,
Ma femm' s'en pass'rait facil'ment.
Là-d'ssus, j' la cairyais bi tranquille,
A l'abri d' tout's lé tentations,
Quand v'là qu' l'autr' jou, sous not' charmille,
J' l'ai prinse à mangi dé boubons,
D'avec un gas, sous lé branqu's vertes,
O l's avalait d'un air goulu.

Il avait l' bras terjous tendu
Et ell', la goul' tout' grande ouverte !
 




Lé Chendres

À Monsieur Auguste Nicolas.





Y'avait un couvent d'Ursulines,
Dans l' temps jadis, aupreux d' Bayeux,
Où qu' c'est qu' lé nonn's chantaient matines,
Tous lé matins, à qui mieux mieux.

O's avaient prins por domestique
Un vieux qu' nos app'lait Dominique;
C'était li qui faisait l' couetti, lé commissions,
Pendant qu' lé p'tit's nonnains disaient leux oraisons.
L' bouenhomme avait pas mal à faire,
Et quand l' sé arrivait,
Il était bi lassé,
D'aveir rempli san ministère.

Nos a chacun sé p'tits défauts,
Faut dir' que lé r'ligieuses
Étaient un brin curieuses,
Et quand o's entendaient l' custos,
Fair' la moindre sonn'rie dans l' clocher du village,
Y fallait qu' Dominiqu' lâch' bi vite s'n ouvrage,
Por en aller saver l' motif.
Y' avait un quart de lieue, sé gamb's étaient mauvaises,
C'est por cha qu'à chaqu' v'yage, y maugréait à s'n aise,
Trouvant qu' c'était trop abusif.

Dans l' moment dé jours gras, l'Eglis' fait dé périères,
Por réparer tout l' ma,
Qui s' fait dans l' Carnava ,
Et apaiser l' bon Dieu, qu' cha met bin en colère;
C'était por cha, qu'à tour de bras,
Pendant qu'no fêtait Mardi-Gras,
Théodore l' custos sonnait eune avolée,
Qu'arrêtit Dominique, en train d'bère eun' bolée.
L' paur' homm' commenchait à dainner,
Quand v'là qu' Madam' la supérieure
Li commandit d'aller d'mander'
Por qui donc qu' no sonnait, à c't' heure.

Ah! dame, j' vos assur' qu'i n'était pas content,
Çu paur' vieux Dominique, en sortant du couvent;
Pensez dont qu'i quittait l' 'meilleu dainner d' l'année,
Et quand y r'viendrait d' veie l' custos,
P't'êt' bi qu'i n'en r'trouv'rait qu' les os.
L'i laiss'raient' i' seul'ment eun paur' brin de terrinée  ?

Aussi, por es' vengi d'êtr' dérangi d' san r'pas,
Il inventit  un cont' qu'eut dé gross's conséquences.
Et qu' por tout l'or du mond' je n' voudrais, bi sûr pas,
Comm' c'est qu' no dit quiqu'fouais, avai sû la conscience.

Y fut p't' êt' bi eune heur' parti
Et r'arrivit tout éfabi :
« - Hélas! Madam' la supérieure,
Qu'i l'i racontit en rentrant,
« Qui qù' c'est qu' no verra co à c't' heure ?
« J'ai ouï d' qué qu'est bi révoltant.
« En entrant dans l'églis', demander por qui faire
« Que no sonnait comm' cha, si n'y avait quiqu' malheur,
« J' vis qu'oll' tait plein' de mond', moussieu l' t'churé en chaire,
« Lisait respectueus'ment un mand'ment d' Monseigneur,
« Et j' l'entendis lir' cha: « Pour ne pas qu' les impies,
« Qui tourn'nt' en dérision
« Les chos's de la r'ligion,
« Voient au front des fidèl's les saint's Cendr's, je vous prie
« À l’avenir de les donner
« Sur le ventre, pour les cacher ;
« Je dois donc, mes chers frèr's, avec obéissance,
« Exécuter les ordr's de notre saint prélat,
« En conséquenc', demain, vous voudrez bien, je pense,
« Recevoir les saint's Cendr's, pieus'ment, sû c't endroit-là. »

« - Grand Dieu ! Saint' Vierge et Saint' Monique !
« Et's-vous bien certain, Dominique,
« D'avoir réell'ment entendu
« Ces parol's-là, mon doux Jésus ? »
Qu' s'ébair'yit la bouenn' dame.

« - J'en suis tell' ment certain,
« Qu' j'en réponds, dit l' gredin,
« Sur el' salut de m'n âme. »

Sans perdre d' temps, eune heure apreux,
Lé nonnains s' trouvir'nt tout's mandées au grand chapitre;
La supérieur', lé larm's ès yeux,
Leux racontit l' mand'ment du saint porteur de mitre.
« - Et bien qu' notre pudeur en doiv' beaucoup souffrir,
Que dit la bouenne abbess', nous devons obéir ».
Lé paur’s petit's nonn', tout émues,
S' minr'nt à gémir en choeur:
« - Ah! mon Dieu; quel malheur!
« Sur notre ventr', nous somm's perdues ! »¬

Quiqu'fais qu' dans la désolation,
Arrive eun' bouenne inspiration;
« Mes chèr's fill's, dit l'abbesse, il me vient une idée:
« Pour rec'voir décemment les Cendres consacrées,
« A notre rob' faisons un trou,
« Large environ comme un gros sou,
« Par ce trou-là, sans aucun' crainte,
« Nous recevrons la Cendre sainte... »

Por sauver leux pudeur, ah ! dam', cha n' traînit pas !
Dans l'étoff' de leux rob's, en avant lé cisiâx !
Et l' lend'main au matin, d'avec leux mère abbesse,
Brav'ment lé p'tit's nonnains s'en 'allir'nt à la messe.
A la saint' tabl', leux voil' sû l's'yeux,
O s'ag'nouillir'nt d'un air bi pieux,
La main sû 1â p'tite ouverture.
Mais quand el' t'churé s'aperchit,
N' véyant pas un bout d' la figure
D' la supérieur' qu'était d'vant li :
« - Madam', qu'i dit, le temps nous presse,
« Allons, voyons, découvrez-vous. »
Montrant l'endroit: « - Voici le trou,
« Qu' 'l'i 'répondit la mère abbesse,
« Nous en avons chacune autant,
« Le trouvez-vous point assez grand ? »
« - Allons! madam', je vous en prie,
« Pourquoi tout's ces cérémonies ?
« Que r'fit l' t'churé ; finissons-en,
« Le reste des fidèl's attend;
« Allons! découvrez-vous bien vite,
« Que je vous cendr' selon le rite. »

Ah! Dominiqu', pas mêm' la mort
N' te f'rait expier c' qu'eut lieu alors !

« - La volonté de Dieu soit faite,
« Que dit l'abbesse en gémissant, »
Et aussitôt par sû sa tête,
Enl'vît sa robe et tout l' restant.

L' paur' t'churé, véyant cha, en restit goul' baîllie,
Et fut vit' s'écapper au fond d' la sacristie.

Enfin tout d' mêm', no s'expliquit,
Au pasteur no fit tout comprendre.
Et y s'en r'vint, non sans rouégi,
Es p'tit's nonnains bailli lé Chendres.

Et quant à Dominiq', çu profond scélérat,
Y fut mins à la porte, et sans certificat !!





L' Voleux d' Pain


À Madame Henry Ghéron.




Aut'fais, dans man jeun' temps, la ferme d' la Quesnée,
Qu'était p't'êt' la meilleur' que n'y' eût dans not' contrée,
Rapport à ses herbag's et à san crû itou,
Etait sûr'ment bi t'nue par Maîtr’ Françouais Rétout.
Faut dir' qu'y connaissait s'n affaire,
Su la culture, il 'tait malin;
Aussin, sa ferme était prospère,
En t'chu li, no n' manquait de rien.
No nourrit bi lé gens, par t'chu nous, dans l' Bocage,
Et n'y' a d' bon bèr' dans lé tonniâs,
Surtout l' sien qu' no fait po l' mès d'ât,
Car c'est d' qué qui rend l' mond' bi t'cheuru à l'ouvrage.

T'chu maîtr' Rétout, no boulangeait
Et no t'cheusait l' pain qu'y fallait;
La boulang'rie
Etait bâtie
Au coin d'un plant d' pommiers, par derrièr' la maison;
Et d' temps en temps, l'valet d' ménage,
De qui, qu' dans lé ferm's, c'est l'ouvrage
Boulangeait eun' vingtain' de bons 'gros pains d' cuisson.

Or, v'là qu'un biau matin, allant qu'ri sa fouernée,
Gustin, l' valet d' ménag', restit tout éjugi ;
Sû lé vingt touertes d' pain, y'en avait deux d' volées,
Y fut l' dire à san maître, aussi surprins 'comm' li.
Quand l's autr's valets connur'nt l'affaire,
Y's en fur'nt tous bi contrariés,
Car, dans tout cha, nos a biau faire,
No peut quiqu'fais rêt' soupçonné.

La chose était presqu' ombéliée,
Quand v'là qu' dans lé six mouais apreux,
Parmi lé pains d'eune autr' fouernée,
Nos en avait co volé deux;
D' çu coup-là, pensé bi qu' cha mint tout l' monde en rage,
Et l' sien, parmi tout cha, qui faisait l' plus d' tapage
C'était un dé valets, qu'nos app'lait l'Enragi,
A caus' qu'il avait mauvais' tête.
« - Oui, qu'i leux dit, vos êt's tout's bêtes,
« Si no veut m' laissi faire, j' veux bi vo gagi
« Que j' happ'rai not' voleux ; l'affaire est bi'n aisie :
« No m'enfermera l'sé, en d'dans d' la boulang'rie
« Et quand l' voleux viendra,
« J' saut'rai d'ssus comme un cat. »

« - Eh ! bi, qu' dit maîtr' Rétout, quand no r'f'ra eun' fouernée,
« Pus qu' l'Enragi est si malin,
« Qu' no happ' donc l’ voleur de pain,
« Mais dam', tant pis por li s'il a la goul' cassée. »

Quand tout fut bi conv'nu, fallait vei l'Enragi
Fair' dé grands embarras d' vant les autr's domestiques,
Nos airait cru, à l' veie, qu'il allait tout mangi,
Et y n' causait qu' du voleux, qu' tuerait à coups de trique.
Fûtés d'entendr' çu bagout-là,
Lé s’ autr's valets qui n'taient pas bêtes
Dans l' mêm' bounet s' minr' nt tous la tête
Afin d' l'i jouer l' bon tour que v’ là :

Quand l' pain fut défouerné, dans l' coin d' la boulang'rie,
Y's eur'nt soin d'apporter un p'tit lit d'écurîe ;
C'est d' qué qu'est fait à bi peu d' frais,
Eun' paillass' dans eun' caisse en bouais,
A peu' près' d' la longueur d'un homme ;
Portant y' en a qu'y font d' bons sommes,
L'Enragi tout l' permi,
Quand il 'tait fatigui.

Avant que d' l'enfermer, l's aut's valets, sé confrères,
Po l' sout'ni dans s'n expédition
Y' apportir' nt êun' boueinn' collation,
Et por bi l'arroser, eun’ douézain' d’ pots d' bère :
Y savaient bin qu'à l'occasion,
Notre homme était gouermand d' béchon :
Quand c'est qu'o l' mint au mond', sa mère, à défaut d' rentes,
L' y' avait terjous bailli un gosi bi'n en pente.
« - Allons! qu' dit l' grand valet, beis un coup, l'Enragi,
«Cha va t' bailli dé forc's, faut t'acouter, m'n ami. »

C'était du vrai fout-bas, du bon beire à plein' goule.
No mordait dans la pomm' tant qu'il 'tait parfeumé,
D'avec cha, pétillant, un brin amerteumé;
D' qué qui fait, comm' no dit, tant d' bi par où qu' cha coule.

Por happer san voleux,
L'Enragi but comm' deux ;
Aussi, la collation finie,
Y s'en sentait déjà un brin
Et véyait dans la boulang'rie
Touerniqui tout's lé touertes d' pain;
Par là-d'ssus, quand il eut avalé deux grands verres
D'un flip carabiné,
Où qu' nos avait cauffé,
Dans p't'êt' deux pots d' pur jus, eun' chopein' d'iau-d'-vie d' beire,
Çu' paur' vieux gas
S' trouvit si lâs,
Qu'à deux y l' minr'nt 'dans l' lit, quasi sans connaissance,
Où qu'i s' mint à ronfler, sans souci d' l'assistance.

« - Cha y'est,,,qu' dir'nt lé valets, le v'là bi'n endormi,
« A c't'heu' no peut l'enl'ver, y n' va pas s' réveilli ».
Là d'ssus, l's uns par devant et les autres par derrière,
Y s'emportirent l' lit, comm' no porte eun' chivière.
Et sous lé gros pommiers, au mitan du p'tit camp,
Y posir'nt gentiment not' gas terjous ronflant.

Pendant quatre heur's au moins, y cuvit sa saôlée,
Mais la fraîche d' la nieut finit pa l' réveilli.
« Nos a-t-y volé l' pain », fut sa premièr' pensée,
Et not' saôlard sautit bi vite en bas du lit.

Quand y n' vit plus la boulang'rie,
Dans qui qu'i s' cayriait enfermé,
Il en restit la goul' baîllie
Et s' mint à brair' comme un toré :
« - Ah! sacré non d' la vie,
« Qui qu' và dir' maîtr' Rétout ?
« La fouernée est partie,
« La boulang'rie itou ! »





Fanchon Cliquet


À Madame Henri Salles.




Vo n'avé bi sûr pas connu
La mèr' Fanchon Cliquet d' Biaussu ;
Par t'chu nous, no l'app'lait tout bouenn'ment « la Cliquette »,
Et dame, o n'avait pas la langue à sa pouquette ;
En l'i coupant l' filet, comm' c’est qu' no dit t'chu nous,
La sag'-femm' ne l'y' avait pas volé sé chins sous.

La Cliquette était veuv' depus bi des années
Et o vivait.
Comme o pouvait,
D'avec quiqu's vergies d' terr' pas trop mal cultivées:
Olle avait un vieux t'chien d' bergi,
Qu'était raid' bon derrièr' lé vaches;
Il 'tait bi connu dans l' pays
Et répondait au nom d' Moustache.

La bête avait du command'ment
Et, sur un sign' de sa maîtresse,
Vos airait bi sauté ès fesses,
Comme en manièr' d'avertiss'ment.

Paraît que n'y' a dé gas qu'ont d' qué dans la figure
Qui déplaît bi'n és t'chiens, quand i's en vaij 'nt comm' cha ;
Faut crair' que l' vieux Bernard, du hameau d' la Couture,
Avait d' qué dans la goul' quasiment dans c' genr'-là ;
Y faisait d' si vilain' s' grimaches
Un jou d'vant l' t'chien, qu' çu brav' Moustache
L' happit pa l' fond d' san pantalon,
En l'y' entamant un brin l' croupion.
Là d'ssus, Bernard, tout en colère,
Por dé dommag's et intérêts,
S'en fut bi vite au jug' de paix,
Qui fit citer not' ménagère.

Fallait veie la Fanchon
A l'audienc', comme un diable,
Traiter l'accusation
De d' qué d'abominable.

«- Au surplus d' tout, qu'o dit, c'est d' la faute à Bernard,
« Si Moustach' l'a mordu un brin dans l' gras du lard;
« Quand nos a eune goul' comm' la sienne,
« No n' s'en va pas derrièr' lé t'chiens
« Et apreux cha, chanter d's antiennes,
« En s' tenant lé fess's à deux mains.

« Pus qu'i m'a fait v'ni là, moussieu, vos allé veie ;
« J' vas vo conter comment qu' la chose est arrivée,
« Et qu' c'est bi li
« Qu'a commenchi.

« Supposons, moussieu l' jug', qu' vos êt's not' t'chien Moustache
« Et qu' vos avé resté tout' la nieut à l'attache ;
« No vo lâche l' matin à vot' grand content'ment,
« Vo v'là parti, la queue en l'air et l' nez au vent ;
« Vo vo n'n'allé trouver la t'chienne à Barbulée
« Et la sienne à Debieu,
« Qui sont tout's deux en feu.
« Brav'ment vos en passez à chacu'eun' eun' touernée,
« Et vo r'vené mangi vot' bouenn' soupe au caudé,
« Que j' vos ai fait boueilli d'avec du lait truté ;
« Vos en mangé eun' pleine écuelle,
« Apreux, sû la mâlière, eun' fais qu' vos êt's bi r'pu,
« Vo vo couché en rouelle.
« La queue enter lé patt' et l’ nez aupreu du t'chu.

« Vo dormé tranquill'ment, comme un t'chien bi'n honnête,
« Quand çu grand bab’ las-là, metteux d' poul' à couver,
« Qui passe amont l' chemin, s'en vient vo faire arjuer
« Et vo fait dé grimach's avec sa goul' de bête,

« Là-d'ssus, naturell'ment, vo l'y sauté au t'chu,
« C'est-y d' ma faute à mé, si vo l'avé mordu ? »

« - Messieurs, qu' dit l' jug' de paix, la cause est entendue,
« La Cliquette a, ma foi, la langu' fort bien pendue;
« Après son plaidoyer si rempli d'à-propos,
« Sur Moustache et Bernard, j' renvoie tout dos à dos. »





La Catoueilleuse


À Monsieur Louis Alain Guillaume




À mins qu' cha n' sé eune effrontée,
Ou bi por en faire san métier,
Eun' fill' paraît plutôt gênée
Quand no l'invite à jastouézer;
Portant quand o z'ont b'in envie
D'êtr', comm' c'est qu' dis'nt lé gas Bocains,
Grattées éiou qu'o sont d'mangies,
O z'y' arriv'nt par tous lé moyens.

J'ai ouï causer d'eun' bi rusée,
Por fair' sa p'tite invitation,
C'était la gentill' Désirée,
La fille au mouni d' Courvaudon;
O d'meurait tout preux du notaire,
Qu'avait un clerc de dix-huit ans,
Et Désirée, la p'tit' mounière,
Causait d'avec li d' temps en temps.

L' jeune homme était, comm' ceux de s'n âge,
Un brin timid' por tout oser,
Quand v'là qu'un jou, dans un bocage,
Y s'en fur'nt tous lé deux s' prom'ner.
« - Hélas! qu'i l'i disait, que j' t'aime,
« Ma Désirée, ça m' rend comm' fou. »
Et v'là qu'y s'enhardit tout d' même
A l'i flatter un p'tit brin l' cou.
« - Ah ! mais, qu'o dit, j' veux pas qu' no m' touche,
« Quand no m' catoueill' comm' cha, je m' couche
« Et quand ej sieus couchie à c't' heu,
« No fait d' mé tout de c' que no veut,
« J' ne r'mue pas plus qu' si j'étais tuée;

« Catoueille-mé un brin, por vée ! »





Le Chapelet


À Monsieur Fernand Lavarde.




Prosper Anthim' Cornet, du hameau d' la Bût'rie,
Etait v'nu quasiment jusqu'à sé chinquante ans,
Sans s'aperchi d' l'églis, ni d' sé saints sacrements.
Et jamàis y n'allait à pièch's cérémonies.
Cha n'tait pas comm' sa femm', c'te paur' bouenn' vieull' Fanchon,
Qu'était, comm' c'est qu' no dit, confite en dévotion.

Por qui qu' no r'vient terjous à la r'ligion divine ?
Prosper Anthim' Cornet,
Un jou, attrapit fraid
Et r'vint cheux li d'avec eun' défluxion d' poitrine.

Quand Fanchon vit que s'n homm' était en dangi d' mort,
Vite o print s'n' afflubas, qu'o mint par sû sa cotte,
Et fut trouver l' t'churé por qu'i l'i graiss' sé bottes;
La blàm' qui qui voudra, mé je n' l'i donn' pas tort.

Quand l' saint homme arrivit, y prêchit not' malade.
Et l'y fit tell'ment poue d' l'enfer,
Que çu paur' malheureux Prosper
S' véyait déjà dans l' feu, réduit en carbonade;
Aussi l' t'churé, véyant sa bouenn' disposition,
L'y administrit bi vit' la sainte Extrême-Onction.

Mais lé Bocains ont la vie dure,
Prosper Cornet n'en mouérut pas.
Et comme il 'tait d'eun' bouenn' nature,
La santé l'y r'vint à grands pas.
Seul'ment depus c' temps-là, il allait à la messe,
Et à tout's lé grand's fêt's no l' véyait à confesse.
Y s'était converti
Par la poue d'êtr' rôti.

Por bi périer l' bon Dieu, faut saveir sa périère
Du matin et du soir, et l' paur' Prosper Cornet
Avait d' qué faire avant d' lé saver tout entières.
Véyant cha, la Fanchon l'y' ach'tit un biau chap'let.
Et sa confiance était si grande
A c't' objet-là, qu' bi dévot'ment
Olle y fit mettre, en bel argent,
Eun' médaill' de La Délivrande.
Quand l' bouenhomme en avait
Récité quiqu's dizaines,
La Fanchon l'y chantait
Terjôus la même antienne :
« - Surtout, por t'écapper d' l'enfer,
« Bais' la médaill', man bon Prosper. »

À quiqu' temps d'là, v'là qu'un orage
Surprint no gens au lit,
Au biau mitan d' la nuit.
À chaque éclair, comm' c'est l'usage
Tchu nous où qu' tout l' monde a la fouai,
Y faisaient vite un sign' de crouaix ;

L'orage augmentait sa furie,
Nos aurait dit d'un incendie:
« - Si no récitait, qu' dit Fanchon,
« L' chap'let por not' préservation. »

« - Mais tu sais bi qu'il est en bas, dans notre ormouère,
« Et je n' vas pas m' risqui
« A m'en aller l' trachi,
« Qu' répondit l' paur' bouenhomm', j'ai trop poue du tonnerre;
« Mais, qu'y dit, ma Fanchon, lé gens fins n' sont pas sots,
« J'ai eune idée qu'en vaut eune autre,
« Et j' pens' que lé gros noeuds qu' t'as l' long d' la raie du dos
« Pourraient bi no servi d' pât'nôtres. »
Bi vite l' dos en l'air, s' mint la dévot' Fanchon,
Pendant que l' bon Prosper récitait l'oraison.

L' deigt posé sû chaq' nœud, tout l' long d' l'épin' dorsale,
Il arrivit bitôt preux d' l'ouvertur' rectale,
Quand, tout d'un coup, v'là qu'un éclair
Fit flamber la muraille.
« - Ah! qu' dit Fanchon, man paur' Prosper,
« Bais' bi vit' la médaille ! ».






La Migraine


À Monsieur Auguste Delanoé.





Un biau matin, maîtr' Louis Robin,
Propériétair' à Saint-Martin,
Véyant qu' san garçon Dominique
Li paraissait mélancolique,
Voulut saver
Quoi qu'il avait.
« Dominiqu' qu'i l'i dit, tu m' baill's bi d' l'inquiétude,
« Depus quiqu's jours, tu n' manjus pas,
« J' voudrais bi saver qui qu' c'est qu' t'as,
« D'avec cha, tu beis d' l'iau, cha n'est pas t'n habitude ».

« - Hélas ! qu'i dit, papa, d'avec vous j' vas rêt' franc,
« Si vo n' me donnez pas eun' chinquantain' de francs
« Por em' guéri d' man ma, p't'êt' bi qu' tout' la famille
« Et la commeune itou, jusqu'à la dernièr' fille,
« Vont rêt'e comm' mé
« Déshonorés. »

« - Ah ! diabl', que dit l' bouenhomm', v'là eun' vilaine affaire,
« Je n' veux pas te r'fuser, lé v'la té chinquant' francs.
« Seul'ment tu vas m' conter comment qu' cha pourrait s' faire
« Que c't' affaire amèn'rait dé malheurs aussi grands. »

« - Vo savé bi, papa, que j' fus, la s'main' dernière,
« Dans eune auberge, à Caen, porter un tonné d' bère ;
« D'apreux vo conventions, il était comm' cadeau,
« Bouchi, par un dé bouts, d'avec un biau picot ( ).

« Quand l' bèr' fut dépoté, lé ch'vas à l'écurie,
« Et qu' nos eut bi dainné,
« No print un bon café,
« Qui fut,' comm' de raison, bi'n' arrosé d'iau-d'-vie ;
« Je m' trouvis presque à moitié sâs,
« Et cha fut caus' de m'n aventure;
« Avec deux ou trouais autr's jeun's gâs,
« J' nos en fûm's veie lé cairyatures.

« J'airais p't'êtr' dû m' méfier, mais comment supposer,
« Qu'avec eun' si bell' dame, habillée comme eun' reine,
« J'airais, comme c'est qu'no dit, attrapé la « migraine »,
« Et portant c'est bi d'cha que j' sieus déshonoré. »

« - C'est dont cha, qu' dit l'bouenhomm', v'là t'y pas eune affaire !
« Où qu' c'est qu' tu veis là d'dans que n'y' ait du déshonneur ?
« Tu vas bi vite aller trouver l'apothicaire
« Et c'est cor li qu'aira tout l' profit d' tan malheur ».

« - Hélas ! papa, qu' fit Dominique,
« Vo n' véyé pas plus loin qu' votr' nez;
« Mé j' vé la chos' bi plus critique;
« Lé plombs port'nt plus loin qu' vo n' cairyez.
« Voul'ous saver c' qui m'épouvante,
« Hé bi, c'te sal' migrain' lanré,
« J' vas la bailli à not' servant'
« Qui va, bi sûr, vo la r'passer.
« Apreux cha, vos allé la donner à ma mère,
« Qui va bi trop souvent s' prom'ner au presbytère;
« Vo n'avé qu' fair' de vo gêner,
« C'est comm' si not' t'churé l'avait.

« Et por ach'ver notre inforteune,
« Du caractèr' qu'est çu gàs-là,
« Avant un mouais, bi sûr qu'y va
« Empouésonner tout' la commeune ! »




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